Donald Trump lors de son altercation avec le journaliste de CNN Jim Acosta. © AFP

Quand la Maison Blanche utilise une vidéo truquée pour se justifier

Muriel Lefevre

La guerre médiatique de Donald Trump atteint un nouveau sommet. Ou comment une vidéo truquée sert d’alibi pour refuser l’accès à la Maison Blanche de Jim Acosta, journaliste vedette de CNN. Explications et preuve en images.

Les relations conflictuelles entre Donald Trump et CNN connaissent depuis mercredi un nouvel épisode polémique, puisqu’on a retiré son accréditation au journaliste vedette de la chaîne. La faute à un accident qui aurait pu passer inaperçu, mais qui sera monté en épingle.

Nous sommes dans une des nombreuses salles de presse de la Maison Blanche. Jim Acosta, l’homme qui suit de près les moindres remous à la Maison Blanche pour la chaîne d’information CNN, n’est à quelques mètres du président Trump. Microphone à la main. Une jeune femme, vêtue d’une robe rouge, essaie de lui enlever ce micro. On n’entend pas ce qui se dit, le son étant soigneusement filtré du fragment. La caméra fait un zoom avant, l’image ralentit et donne l’impression que d’Acosta envoie une sorte de coup de karaté à la jeune femme.

C’est cette vidéo qui a été diffusée sur Twitter par Sarah Huckabee Sanders, attaché de presse du président.

https://twitter.com/PressSec/status/1060374680991883265Sarah Sandershttps://twitter.com/PressSec

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Elle lui sert à justifier le fait que ce même Acosta ne sera plus autorisé à entrer à la Maison Blanche puisqu’on vient de lui retirer son accréditation. Une première depuis la création de l’association des correspondants à la Maison Blanche, en 1914. « Le président Trump croit en la liberté de la presse » dit-elle encore. « Il s’attend à des questions critiques et difficiles, et il s’en réjouit même. Mais nous n’accepterons jamais qu’un journaliste devienne palpable avec une femme qui essaie seulement de faire son travail. »

Jim Acosta
Jim Acosta© Reuters

Au vu de ces images, on pourrait se demander si la sanction n’est peut-être pas justifiée. On pourrait. Sauf que celle-ci est truquée de manière à dramatiser la séquence. Des analystes et des journalistes estiment que cette vidéo a été manipulée en l’accélérant pour faire croire que le journaliste avait frappé la stagiaire avec sa main. Et montées de cette façon, les images donnent effectivement l’impression que le journaliste s’est montré violent envers la jeune femme. Mais la vérité est autre, ou du moins nettement plus nuancée.

« Vous êtes très impoli et une personne horrible! »

L’accrochage débute après une question de Jim Acosta sur la caravane de migrants centraméricains qui se dirige vers la frontière des Etats-Unis. Il faut savoir que d’Acosta, qui normalement n’a guère l’occasion de poser une question au président, est surpris d’avoir le micro. Le reporter demande à Trump s’il avait « diabolisé les migrants » au cours de la campagne des élections de mi-mandat. Donald Trump lui répond: « Non, je veux qu’ils viennent dans notre pays. Mais ils doivent venir de manière légale ». Jim Acosta insiste et précise : « Ils sont à des centaines de miles. Ce n’est pas une invasion », mot que Trump avait utilisé pendant la campagne. Le président s’énerve : « Honnêtement, je pense que vous devriez me laisser diriger le pays. Vous, dirigez CNN, et si vous le faisiez bien, vos taux d’audience seraient plus élevés », a-t-il dit. C’est à ce moment qu’intervient l’incident du micro. Le président lance un : « Ça suffit, rendez le micro », qui ne décourage pas Jim Acosta qui continue à l’interroger sans lâcher le micro. Le président s’écarte du pupitre, manifestant son intention de ne plus répondre avant de revenir cracher sa hargne : « je vais vous dire. CNN devrait avoir honte de vous employer, vous êtes très impoli et une personne horrible ». Une invective présidentielle qui va faire le tour du monde.

Jim Acosta
Jim Acosta© Reuters

Les images originales montrent clairement que c’est la stagiaire qui tente de s’emparer du micro et que Jim Acosta ne fait qu’essayer d’écarter son bras, tout en s’excusant auprès d’elle.

Acosta finira par rendre le micro. Le journaliste qui lui succède tentera de prendre sa défense en le saluant comme un « reporter scrupuleux ». Ce qui fait dire à Trump « Je ne suis pas un de vos grands fans non plus, pour être honnête », et « vous n’êtes pas ce qu’il y a de mieux ». Alors que Jim Acosta se lève une nouvelle fois pour se défendre, M. Trump a ajouté: « Lorsque vous rapportez des fake news, ce que CNN fait beaucoup, vous êtes l’ennemi du peuple ».

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Malgré les origines douteuses de la vidéo qu’elle a publiée, Sanders va persévérer lors d’une nouvelle déclaration: « La question est : le journaliste l’a-t-il touché ou non ? La vidéo est claire, il l’a fait. Nous nous en tenons à notre déclaration. » Il y a tout de même un léger problème, car la vidéo n’est pas l’oeuvre de la Maison Blanche, mais celle de Paul Joseph Watson. Il fait des vidéos pour le site Infowar, un site conspirationniste. Lui qualifie la suggestion de modification de « mensonge éhonté », mais on repassera pour la crédibilité.

Le Washington Post montre comment les deux vidéos sont juste assez différentes l’une de l’autre pour mettre l’interaction entre le journaliste et l’employé sous un jour différent.

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Inacceptable

La réaction de CNN ne se fera pas attendre « Sarah Sanders ment, présente des preuves clairement fabriquées et parle d’un incident qui n’a jamais eu lieu. Refuser l’accréditation de notre journaliste n’est qu’une vengeance pour les questions critiques posées lors de la conférence de presse. Cette décision sans précédent constitue une menace pour la démocratie. La terre mérite mieux. » Acosta parlait lui d’une expérience surréaliste. « Je ne peux plus faire mon travail parce que j’ai essayé de poser une question au président. »

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Un avis partagé par beaucoup. « Je crois que nous avons franchi une nouvelle ligne, parce que la raison donnée pour suspendre l’accréditation d’Acosta est un mensonge », a affirmé Dan Kennedy, professeur de journalisme à la Northeastern University ». Par ailleurs, les accusations d' »agression » de la Maison Blanche sont « une insulte aux vraies victimes de harcèlement et d’agression », a écrit sur le site de CNN l’éditorialiste britannique Jane Merrick.

La presse a d’ailleurs quasi unanimement dénoncé la révocation de l’accréditation de Jim Acosta, une sanction sans précédent connu depuis la création de l’association des correspondants à la Maison Blanche, en 1914. La séquence a déclenché un tollé, la presse présidentielle américaine jugeant « inacceptable » le retrait d’accréditation.

Symbole d’un CNN honni

Depuis la conférence de presse du président élu Donald Trump, le 11 janvier 2017, et un premier échange tendu, Jim Acosta est devenu le symbole d’un CNN honni de l’ancien promoteur immobilier.

Jim Acosta
Jim Acosta© Reuters

Le reporter de 47 ans s’est plusieurs fois signalé par son style abrasif qui contraste avec les manières plus policées de ses confrères, face à Donald Trump mais aussi, plus régulièrement, dans ses échanges avec Sarah Sanders. Il a notamment accusé la porte-parole de ne « pas s’en tenir aux faits » ou de ne pas vouloir rejeter l’expression « ennemi du peuple » employé par Donald Trump pour critiquer la presse. Sarah Sanders fait front avec dureté et l’a souvent taxé de vouloir avant tout attirer l’attention sur lui.

Les méthodes du journaliste sont pourtant loin de faire l’unanimité

Les méthodes du journaliste sont loin de faire l’unanimité, au sein même de sa profession. « Quand un employé de la Maison Blanche se précipite sur le micro que vous avez en main, rendez-le et laissez l’insistance du président à couper les journalistes (…) parler pour elle-même », a écrit jeudi l’éditorialiste du Washington Post, Erik Wemple. « Je ne pense pas que (les actes de Jim Acosta) justifient la suspension de son accréditation », a écrit Sara Gonzalez, journaliste du site d’informations conservateur The Blaze, « mais il est difficile d’avoir de la sympathie pour quelqu’un qui le cherchait ». L’incident illustre la transformation profonde de l’univers médiatique, dominé, sur la forme, par les chaînes d’information en continu et l’information spectacle, dont Donald Trump a fait son miel. « Acosta est journaliste, mais c’est aussi un « acteur » de télévision », a relevé Lorrie Goldstein, éditorialiste du Toronto Sun, sur Twitter. « C’est apparemment ce que veut CNN à la Maison-Blanche. »

Jim Acosta
Jim Acosta© Reuters

Une théorie qui a des arguments, lorsqu’on sait que la chaîne bénéficie d’un « effet Trump. » En 2014, CNN réunissait, en moyenne, 400.000 téléspectateurs par jour. Le mois dernier, sa moyenne est montée à 689.000. Même largement distancée par ses concurrentes Fox News (1,6 million) mais aussi MSNBC (909.000), la chaîne profite de cette guéguerre qui se prolonge bien au-delà de la campagne présidentielle.

L’échange de mercredi pose aussi la question, débattue à l’infini depuis trois ans, du traitement médiatique de Donald Trump et de sa présidence, qui diabolise en permanence la presse. « La dispute entre Jim Acosta et Trump était bizarre et pénible », a écrit la journaliste américaine Lucy Shanker pour le journal britannique Independent, « mais c’est à ça que ressemble le travail d’un organe de contrôle. » « Laissez Jim Acosta faire son travail », a plaidé la direction de la rédaction du New York Times.

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