Image du film "La main sur le berceau", de Curtis Hanson, sorti en 1992 © DR

Procès d’une nounou assassine : l’impossible face-à-face

Le Vif

Pleurs, cris, insultes: le face-à-face entre la mère des deux enfants massacrés par leur nounou en 2012 à Manhattan et son ex-employée s’est avéré intenable vendredi au tribunal, et la mère a quitté la barre au beau milieu de sa déposition.

Comme la veille à l’ouverture du procès, Marina Krim, 41 ans, dont les enfants Lucia et Leo, âgés de six et deux ans, ont été tués à coups de couteau le 25 octobre 2012 dans leur chic appartement de l’Upper West Side, est arrivée à la barre en fusillant du regard son ex-nounou, Yoselyn Ortega, 55 ans, assise menottée au banc des accusés.

Interrogée pendant une trentaine de minutes par l’avocate de la défense, Valerie Van Leer-Greenberg, sur ses rapports avec Mme Ortega, Mme Krim a plusieurs fois réagi avec colère aux questions qui lui étaient posées, avant d’éclater en sanglots.

Elle a demandé une interruption de séance, et quitté la barre en criant à l’attention de l’accusée et de son avocate: « Vous mentez! », « Vous êtes le mal! ».

Dix minutes plus tard, elle reprenait sa place pour raconter, dans des sanglots étouffés, un moment délicat de ses relations avec Mme Ortega. Avant de re-craquer très vite et de quitter la salle d’audience, en hurlant « Elle est narcissique, pour elle tout tourne autour de l’argent! », « Elle est le mal! ». Cette fois,

Face à ces invectives, Mme Ortega, une immigrée originaire de République dominicaine, est restée silencieuse, le regard fixe derrière ses lunettes.

En quelque cinq heures de déposition jeudi et vendredi, Mme Krim a brossé un tableau sombre de ses rapports avec sa nourrice, en apparence sans problèmes: payée 500 dollars par semaine pour quelque 25 heures de présence, « jamais (Mme Ortega) ne se plaignait » ni ne « demandait d’augmentation ».

Bien que Mme Krim apprécie la culture hispanophone de sa nounou au point d’emmener sa famille en République dominicaine, et qu’elle eut souligné à la barre n’avoir rien eu de concret à lui reprocher, elle a relaté une série d’épisodes troublants de non-dits et de colère rentrée.

A plusieurs reprises, Mme Krim, une institutrice qui avait préféré arrêter de travailler pour s’occuper de ses enfants, a critiqué Mme Ortega pour ses réactions soit « trop émotives », soit glaciales.

« Trop émotive », quand Mme Krim lui a confié qu’elle était à nouveau enceinte, et que la nounou « l’a prise dans les bras » en lui disant « Je vous aime, je vous aime. »

Ressentiment et résilience

Glaciale quand cette grossesse a tourné à la fausse couche, et que la nounou est restée, à l’en croire, « sans émotion: on aurait dit qu’elle m’en voulait d’avoir fait une fausse couche ».

Une autre fois, dans la cuisine, Mme Ortega aurait regardé Mme Krim avec un air « particulièrement mauvais », sans qu’elle comprenne pourquoi.

Des moments d’incompréhension dont les deux femmes ne parlaient pas, mais qui semblent avoir causé des deux côtés un ressentiment grandissant, jusqu’au drame.

Aussi pénible qu’ait été cette semaine son face-à-face avec Mme Ortega – le premier depuis 2012 – Mme Krim et son mari Kevin, en voyage d’affaires le jour des assassinats, passent pour beaucoup comme un modèle de résilience.

Restés New-Yorkais, même s’ils ont changé d’appartement, ils ont eu deux autres enfants depuis, âgés aujourd’hui de quatre et deux ans, qu’ils considèrent « génétiquement et spirituellement » comme un « demi Lulu et demi Leo ».

Dès novembre 2012, ils créaient « le fonds Lulu et Leo » et une organisation « Choisissez la créativité » (Choosecreativity.org), qui encourage la créativité artistique comme moyen de surmonter les difficultés de la vie.

« Nous partagions Marina et moi l’impulsion créatrice de faire quelque chose de constructif face aux effets destructeurs de la violence », expliquait en avril dernier Kevin Krim, sur un blog.

Le procès de ce fait divers – qui a inspiré à l’auteure franco-marocaine Leïla Slimani le roman Chanson Douce, Prix Goncourt 2016 – devrait durer plus de trois mois.

L’accusation entend prouver aux jurés que Mme Ortega avait planifié ces assassinats, mais la défense plaide un accès de folie, affirmant que Mme Ortega souffrait depuis des années de troubles mentaux non traités.

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