Le président ne fait même pas campagne pour assurer sa réélection. Il laisse son entourage parler à sa place. © M. SHEMETOV/REUTERS

Poutine saison 5 : quand s’arrêtera-t-il ?

Le Vif

En presque deux décennies de pouvoir, Vladimir Poutine a fait le ménage autour de lui et restauré la place de la Russie sur la scène internationale. Fort de ces deux atouts, il se présente à sa propre succession le 18 mars avec la certitude de gagner.

On ne saurait affirmer qu’il est devenu chaleureux, mais le glacial Vladimir Poutine fait tout de même un peu moins peur qu’auparavant. Peut-être, tout simplement, parce qu’après tant d’années l’ancien colonel du KGB au regard métallique nous est devenu familier. Dix-huit ans déjà qu’il nous accompagne ! Presque une vie entière. Lorsque, le 31 décembre 1999, Boris Eltsine présente au monde ce blondinet inconnu, Bill Clinton règne encore à la Maison-Blanche.

Depuis, le président russe a connu trois autres présidents américains, mené quatre guerres (Tchétchénie, Géorgie, Ukraine, Syrie), annexé la Crimée, renforcé l’armée russe (ainsi que ses propres biceps), posé torse nu ou en judoka, nagé la brasse papillon dans une rivière glacée, volé en ULM en Sibérie, accueilli des Jeux olympiques (Sotchi, 2014), décroché l’organisation de la Coupe du monde de football 2018 (du 14 juin au 15 juillet). Il a aussi interféré dans les élections américaines et résisté aux sanctions occidentales, même si ces dernières rétrécissent significativement les marges de manoeuvre du gouvernement russe.

Le président Poutine et le Premier ministre Medvedev avaient inversé les rôles en 2008. Certains envisagent un scénario identique pour le scrutin de 2024.
Le président Poutine et le Premier ministre Medvedev avaient inversé les rôles en 2008. Certains envisagent un scénario identique pour le scrutin de 2024.© SPUTNIK/E. SHTUKINA/REUTERS

Logique byzantine

Autre exploit : depuis l’an dernier, la longévité de Poutine au pouvoir dépasse celle de Leonid Brejnev (1964-1982). A la tête d’un pays de 145 millions d’âmes qui s’étire sur neuf fuseaux horaires, Vladimir Vladimirovitch totalise quatre mandats. Du moins si l’on considère, comme le fait tout un chacun à Moscou, que l’intérim du président Dmitri Medvedev (2008-2012) n’était qu’une pièce de théâtre mise en scène par Poutine, Premier ministre, pour gouverner depuis la coulisse. Et ce n’est qu’un début !

Le 18 mars, le maître du Kremlin brigue un nouveau mandat.  » Briguer  » est un bien grand mot.  » Appelez ça un plébiscite, une acclamation, un cérémonial, ce que vous voudrez, mais pas une élection présidentielle « , prévient le sociologue Lev Goudkov, qui dirige l’institut de sondages Levada, lequel est autorisé à réaliser des enquêtes d’opinion mais non à les publier, depuis que le pouvoir considère cette structure comme un  » agent de l’étranger « .

L’organisation du scrutin répond à une logique byzantine. Ainsi, le seul authentique homme politique d’opposition n’est pas autorisé à y participer. Il s’agit de l’avocat Alexeï Navalny, activiste anticorruption nationaliste qui, depuis plusieurs années, structure un réseau de militants à l’échelle nationale, mobilise des manifestations et inquiète le pouvoir. Navalny, auteur de la formule populaire  » le parti des escrocs et des voleurs « , qui désigne Russie unie, le parti de Poutine, effectue des séjours réguliers en prison, de courtes durées, ce qui a pour effet de le neutraliser. Aujourd’hui, il appelle ni plus ni moins au boycott du scrutin.

A cheval sur les apparences et expert en politicheskaya technologia, cette science complexe qui vise à donner l’impression d’une offre politique diversifiée, le Kremlin tient à organiser quelque chose qui ressemble à une vraie élection.  » Les sanctions imposées par l’Occident à la Russie après l’annexion de la Crimée, le scandale du dopage des athlètes olympiques russes et la détérioration des conditions de vie de la population signifient que le président doit montrer au monde qu’il bénéficie d’un soutien inconditionnel chez lui « , écrit, dans le Moscow Times, Grigori Melkoniants, un dirigeant de Golos (la Voix), ONG vouée à l’observation des élections, elle aussi considérée comme un  » agent de l’étranger  » du fait qu’elle recevait des subventions internationales.

Alexeï Navalny, activiste anticorruption nationaliste, appelle au boycott du scrutin.
Alexeï Navalny, activiste anticorruption nationaliste, appelle au boycott du scrutin.© M. SHEMETOV/REUTERS

Sans suspense ni surprise à espérer, le résultat de la présidentielle, qui compte cette année huit candidats (un record), pourrait ressembler à ceci : de 60 à 70 % des voix pour Vladimir Poutine ; autour de 13 % chacun pour l’éternel ultranationaliste Vladimir Jirinovski et l’homme d’affaires communiste Pavel Groudinine ; de 4 à 8 % pour la star pro-occidentale de la société civile Ksenia Sobtchak ; un score comparable pour le figurant social-démocrate Grigori Iavlinski (déjà candidat en 1996 !), et des miettes de pain noir pour le trotskiste Maxime Souraïkine (Communistes de Russie), le businessman Boris Titov (Parti de la croissance) et le nationaliste Sergueï Babourine (Union nationale russe).

Sûr de lui et crédité d’avoir restauré la grandeur russe en annexant la Crimée, Vladimir Poutine ne fait même pas campagne. Il laisse son entourage parler à sa place sur les chaînes de télévision, contrôlées à 100 % par le Kremlin, où les opposants sont dénigrés quotidiennement. En réalité, la participation des votants constitue l’enjeu essentiel, sinon le seul.  » Si elle est faible, alors la victoire paraîtra incomplète « , reprend, à Moscou, Lev Goudkov, de l’institut Levada. Du coup, l’appareil d’Etat au sens large se mobilise pour réveiller des électeurs peu motivés par une campagne ennuyeuse.

 » Dans les zones rurales, on explique aux gens que les routes ne seront pas réparées s’ils ne se rendent pas aux urnes ; dans les entreprises publiques, on fait pression sur les fonctionnaires pour qu’ils aillent bien voter ; dans les services de gériatrie, le personnel est utilisé comme agent électoral auprès des personnes âgées « , détaille Goudkov. Objectif : tenter d’atteindre une participation aussi élevée qu’il y a six ans (65 % des Russes avaient voté), ce qui démontrerait l’amour sincère du peuple pour son chef.

D’autres aspects de la présidentielle méritent attention, à commencer par le score de Poutine et la participation en Crimée.  » Là-bas, explique le très informé rédacteur en chef de la radio indépendante Echo de Moscou, Alexeï Venediktov, esprit libre à la crinière blanche de savant fou, l’élection s’apparente à un second référendum sur le rattachement de la péninsule à la « mère patrie ».  » En 2014, celui organisé en Crimée (non reconnu par la communauté internationale) avait donné le oui gagnant à 96,77 %.

Autre question soulevée par le vote du 18 mars : le candidat communiste arrivera-t-il en deuxième position, comme c’est toujours le cas depuis la fin de l’URSS ? Ou sera-t-il devancé par l’ultranationaliste Jirinovski ?  » Cela préfigurerait le début de la fin du Parti communiste… « , pointe Venediktov, observateur avisé qui possède ses entrées dans les allées du pouvoir.

Grigori Yavlinski, candidat social-démocrate, pourrait récolter de 4 à 8 % des voix.
Grigori Yavlinski, candidat social-démocrate, pourrait récolter de 4 à 8 % des voix.© V. BELOUSOV/SPUTNIK/AFP

Et enfin : quel sera le score de la candidate des citadins pro-occidentaux, Ksenia Sobtchak, à Moscou et à Saint-Pétersbourg, deux villes où les scrutins passent pour être transparents ?  » Si la candidate libérale y atteint respectivement 20 % et 15 %, alors elle peut envisager de peser sur la municipale de Moscou en septembre prochain et viser la mairie de Saint- Pétersbourg pour elle-même en 2019 « , commente Venediktov, très distancié à l’égard de cette ex-star télévisuelle au pedigree d’enfant gâtée. Fille de feu Anatoli Sobtchak, l’ancien maire de Saint-Pétersbourg dont Vladimir Poutine fut le proche collaborateur, Ksenia est aussi, dit-on, la filleule du président. Ce qui ne l’empêche pas de mener une campagne audacieuse (elle est la seule à s’être rendue en Tchétchénie) et offensive à l’égard du Kremlin.

Mais la grande question demeure : qui après Poutine ? En théorie, le président ne peut se présenter au-delà de deux fois consécutives. C’est la raison pour laquelle il avait cédé sa place à Dmitri Medvedev, en 2008, et avait remplacé celui-ci au poste de Premier ministre, à la manière du roi et d’une tour qui roquent aux échecs. En 2008 également, Medvedev avait fait adopter par la Douma (Chambre basse du Parlement) et le Conseil de la Fédération (Chambre haute) le passage du mandat présidentiel de quatre à six ans, appliqué à partir de l’élection de 2012 – qui a vu, comme par hasard, Vladmir Poutine revenir au poste suprême. Logiquement, ce dernier, qui aura 71 ans à la fin de son prochain sexennat, ne pourra pas concourir à la présidentielle de 2024.

En principe, son prochain mandat devrait donc être consacré à la préparation d’un dauphin. Déjà, depuis deux ans, le président renouvelle ses équipes et promeut une nouvelle génération de quadragénaires à des postes de gouverneur, de chef d’administration, de ministre délégué, de commandant militaire, d’ambassadeur. Certains optimistes ont cru comprendre qu’il s’agissait d’autant de rampes de lancement destinées à placer l’un d’eux sur orbite le moment venu. D’autres envisagent tout simplement que Medvedev et Poutine roquent à nouveau en 2024.

L'ultranationaliste Vladimir Jirinovski devancera-t-il le candidat communiste ?
L’ultranationaliste Vladimir Jirinovski devancera-t-il le candidat communiste ?© S. PIVOVAROV/REUTERS

Troisième hypothèse : la révision constitutionnelle. Au début de février dernier, une poignée de députés de Russie unie, le parti poutinien, ont entrepris des démarches préliminaires en vue d’une éventuelle convocation, le temps venu, d’un Congrès réunissant la Douma et le Conseil de la Fédération. Par un tour de passe-passe, le pouvoir pourrait alors créer de nouvelles institutions avec, par exemple, un Conseil d’Etat au sein duquel Poutine deviendrait une sorte de  » leader national « , au-dessus du président. A suivre…

 » Conservateur, le pouvoir poutinien est toutefois réticent par nature à se livrer à des manipulations constitutionnelles aux conséquences imprévisibles « , remarque la politologue de plus en plus en vue Ekaterina Schulmann. Selon la jeune femme, Vladimir Poutine se trouve face à un problème aigu :  » Il n’est pas dans la situation d’Eltsine (qui avait désigné son successeur), car le volume de pouvoir qu’il a accumulé et concentré entre ses mains n’est quasiment pas transmissible à un autre individu. De fait, la passation de pouvoir pacifique est la spécialité des démocraties, pas celle des régimes autoritaires.  » Autrement dit : le fragile système d’équilibres et de contrepoids bâti par Poutine sur des rivalités internes est bien trop complexe pour être démonté sans risque d’une guerre fratricide entre successeurs potentiels.

Voilà pourquoi l’élite politique s’accommode d’un statu quo qui préserve ses intérêts particuliers.  » Nous sommes entrés dans une ère de glaciation « , résume le politologue Dmitri Orechkine. Ainsi, en 2024, le successeur naturel de Vladimir Poutine pourrait être un personnage que nous connaissons bien : un certain Poutine, Vladimir de son prénom. Encore et encore lui.

Par Axel Gyldén, avec Alla Chevelkina.

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