Vladimir Poutine et Hillary Clinton en 2012 © Reuters

Poutine essaie-t-il de manipuler les élections américaines?

Rudi Rotthier
Rudi Rotthier Journaliste Knack.be

La veille de la Convention démocrate, toute l’attention s’est focalisée sur une fuite qui a permis à WikiLeaks de publier 20 000 e-mails de la direction du parti. Les e-mails ont coûté la tête de la présidente du parti et ont déclenché la fureur des partisans de Sanders, mais qui est responsable ? Et quel est le rapport avec Donald Trump ?

La dernière fois qu’on a cambriolé le quartier général du parti démocrate, l’effraction a coûté la tête du président Richard Nixon. C’était en 1972, il y a onze élections présidentielles, et cette année-là il était impossible que Nixon perde. Il n’a pas perdu les élections, mais la nouvelle du cambriolage et l’implication de la Maison-Blanche ont entraîné un scandale entré dans l’histoire sous le nom de Watergate. C’était le nom du bâtiment où était situé le quartier général des démocrates. Les jeunes journalistes du Washington Post, Bob Woodward et Carl Bernstein, ont réalisé un véritable exploit de journalisme d’investigation, images à l’appui.

Depuis le Watergate, beaucoup de scandales se sont vu coller un -gate à leur nom. Un certain nombre de ces gates ont touché les Clinton, comme le Troopergate (Paula Jones) et bien évidemment le Zippergate (Monica Lewinsky).

Comme les faits ne sont pas incontestés, il n’y a pas encore de nom pour le vol de données d’e-mail du DNC, le Democratic National Committee, la direction du parti et puis tard de deux autres instances démocrates, dont le QG de campagne d’Hillary Clinton. Mais à première vue, l’effraction n’est pas moins grande qu’à l’époque du Watergate, c’est plutôt le contraire.

On sait que 20 000 e-mails ont été volés après une série de piratages du système d’ordinateur du parti. À en croire les sources concordantes auprès des services secrets américains, ce piratage a eu lieu en deux phases.

En juin 2015, le système a été piraté par les services secrets russes FSB, le successeur du KGB. Les pirates ont eu accès au serveur pendant un an.

En avril 2016, toujours selon les sources auprès de services de renseignement américains, il y a eu une seconde fuite plus importante et de plus grande ampleur : le serveur a été piraté par le service de renseignements russe militaire GRU. On n’a pas seulement piraté les e-mails, mais aussi les listes de donneurs et les recherches sur les opposants (Donald Trump!).

Les deux fuites ont été colmatées en juin 2016.

À en croire des sources américaines citées par The New York Times, le piratage militaire est à l’origine de ce que WikiLeaks a publié il y a une semaine.

Cependant, un dénommé Guccifer 2.0 a revendiqué le piratage et les fuites. « Il » prétend être roumain et avoir agi seul. Cependant, ses communications avec les médias prouvent qu’il maîtrise à peine le roumain. L’analyse de ses échanges d’e-mails désigne plutôt la Russie. D’après la BBC, Guccifer 2.0 utilise des adresses IP pour sa communication employée par le cyberunderground russe, même s’il détourne le trafic via un VPN français. Toujours selon la BBC, il utilisait in circuit employé par des groupes criminels russes pour envoyer du spam.

‘Kompromat’

Tout cela ne prouve rien jusqu’ici, mais les services secrets américains sont « fermement convaincus » que Guccifer 2.0 est un individu ou un collectif engagé par les services secrets militaires russes, comme façade ou comme manoeuvre de distraction. Mi-juillet, Guccifer 2.0 a fuité des données vers plusieurs sites d’informations et le 22 juillet, « il » a envoyé les 20 000 e-mails à WikiLeaks.

Les services de renseignement américains et les politiques ne confirment pas encore de version officielle, « parce qu’on ne peut pas prouver les accusations, et parce qu’il est inopportun de les prouver maintenant », a déclaré une source à CNN.

Les accusations de cybercrime sont difficiles à prouver.

Le président Barack Obama déclare que « tout est possible ». « Nous savons que les Russes piratent nos systèmes » et « qu’ils essaient régulièrement d’influencer les élections en Europe ». Les soupçons à l’égard de la Russie sont à ce point sérieux que le ministre des Affaires étrangères John Kerry en a parlé à son homologue russe.

Le président russe Vladimir Poutine nie les accusations qu’il qualifie d' »absurdes ». Trump a pour sa part affirmé qu’il pourrait s’agir des Chinois, « ou de quelqu’un assis dans son lit ».

Quels sont les objectifs des hackers?

En supposant qu’il s’agit d’instances russes, ou même de Chinois : dans ces pays, il y a une tradition de ‘Kompromat’, miner les adversaires à coup de matériel compromettant. On montre un adversaire qui fait quelque chose d’illégal, de gênant ou de bizarre pour le réduire au silence ou le rendre inéligible.

Les cyberattaques contre les démocrates, suggère The New York Times, signifient probablement une internationalisation (plus poussée) de cette stratégie du Kompromat.

Même si jusqu’ici les fuites n’ont rien dévoilé d’illégal, elles exercent déjà une influence sur la situation politique. Les e-mails ont en effet révélé que le sommet des démocrates cherchait des façons de rabaisser Bernie Sanders pour avantager Hillary Clinton.

Seuls quelques observateurs américains privilégiés pensent que l’affaire va plus loin que le ‘Kompromat’, même si celui-ci peut être une raison suffisante : exercer de l’influence, perturber la situation, mettre de l’huile sur le feu.

James Clapper, directeur de l’intelligence nationale et donc conseiller direct du président, l’a formulé de la façon suivante. « Évidemment, ils voient des complots américains partout, et ils nous attribuent plus d’influence que nous n’en avons. C’est leur système de pensée. Et leur approche, c’est de croire que nous exerçons une influence sur les développements politiques en Russie, que nous nous orientons sur le changement, et leur réponse naturelle c’est de rendre les coups, et de nous faire ce qu’ils pensent que nous leur faisons ».

Lui non plus ne veut pas dire explicitement que les Russes sont responsables du hacking, mais « on sait tous qu’il n’y a que quelques ‘usual suspects' ».

D’après David Ignatius du Washington Post, spécialisé en questions étrangères et en services secrets, l’hostilité personnelle de Poutine contre Clinton joue également un rôle. En tant que ministre des Affaires étrangères, Hillary Clinton a soutenu des dissidents russes lors des élections en 2011 et en 2012. D’après Poutine elle a donné « un signe » aux dissidents qui a entraîné une opposition plus forte. « Autrement, dit », écrit Ignatius, « Poutine pense que Clinton a tiré le premier coup ».

Le manager de la campagne d’Hillary Clinton, Robby Mook, va encore plus loin et établit un lien avec Donald Trump – Poutine veut aider Trump à se faire élire, dit-il. Le clan Trump s’est cabré à cette idée. « C’est absurde », a déclaré Paul Manafort, le directeur de campagne de Trump. « Il n’y a aucun fondement à cette affirmation ».

Mercredi, Trump a tenu une conférence de presse où il a joué les vertus outragées. « Je n’ai rien à voir avec Poutine. Je ne lui ai jamais parlé. Je ne sais rien de lui sauf qu’il me respectera. » Dans ce sens, il a raison : il n’y a aucune preuve de soutien des hackers pour Trump. En même temps, ce n’est pas une histoire forgée de toutes pièces.

Donald Trump et Vladimir Poutine s’entendent très bien depuis plusieurs mois. Les déclarations anti-OTAN de Trump et sa « prise en considération » de reconnaître la Crimée comme une partie de la Russie sont évidemment bien reçues par Poutine qui qualifie Trump de personnage « haut en couleur » et de « talentueux, sans aucun doute « . Trump décrit quant à lui Poutine comme un « leader fort ». « Personne ne doute qu’il est un dirigeant plus fort que Barack Obama ».

Dans le cadre de cette déstabilisation et surtout d’une publicité sans bornes, Trump a formulé un appel à d’autres tentatives de hacking. « Russie, si vous écoutez, j’espère que vous serez capable de retrouver les 30.000 emails qui manquent » (Hillary Clinton a détruit 33 000 e-mails de l’époque où elle était ministre des Affaires étrangères, NDLR) ». Un jour plus tard, le candidat a affirmé que ses déclarations étaient du sarcasme.

En 1972, un fait-divers bizarre au sujet d’un cambriolage à Watergate s’est transformé en scandale qui a coûté une tête présidentielle. Ici, il est fort possible que le vol prenne plus d’ampleur et que l’intrigue et les instigateurs ne soient pas moins complexes. On verra s’il fait tomber des présidents, même si pour le moment c’est improbable. À suivre, peut-être au cinéma.

Rudi Rotthier depuis Philadelphie, Pennsylvanie, États-Unis

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