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« Pourquoi n’y a-t-il pas de jeunes Turcs en Syrie ? »

Annelies Van Erp

« S’il n’y a que l’islam qui pousse les djihadistes à partir combattre en Syrie et en Irak, pourquoi il n’y a pas de jeunes turcs ou de Berbères marocains qui partent? » se demande l’historien Lucas Catherine.

Djihadistes, salafistes ou califat : tous les jours, on répète ces mots à propos du groupe terroriste État islamique (EI) ou de la guerre en Syrie et en Irak. « Mais on ne peut comprendre ces notions qu’à condition de connaître l’histoire de l’islam » explique l’historien Lucas Catherine à nos confrères de Knack.be « Mais malheureusement, toutes les références au passé et au colonialisme sont ignorées. » En collaboration avec le chercheur belgo-palestinien Kareem El Hidjaazi, Catherine a écrit un livre intitulé Jihad en Kolonialisme » afin de tenter de répondre à une série de questions dont l’auteur estime qu’elles ne sont pas posées dans le discours traditionnel.

« S’il n’y a que l’islam qui pousse les djihadistes à partir combattre en Syrie et en Irak, pourquoi il n’y a pas de jeunes turcs ou de Berbères marocains qui partent? Les Turcs aussi sont musulmans et en passant par leur famille en Turquie il serait très facile pour eux de se rendre en Syrie » affirme-t-il.

« Je me demandais aussi s’il existe un lien entre les organisations terroristes qui sèment la peur et la destruction (État islamique, Boko Haram, Al-Shabaab) et j’ai rapidement abouti à la conclusion qu’on peut bel et bien tracer un fil rouge : le colonialisme.

Sykes-Picot

« Je ne suis pas le seul à en parler, les djihadistes terroristes aussi établissent ce lien » ajoute-t-il. Dans son livre, il évoque la première vidéo diffusée par l’EI. On y voit des bulldozers qui écrasent symboliquement la frontière entre la Syrie et l’Irak en hurlant « We do not agree with the Sykes-Picot Agreement ». En 1917, ce sont en effet les diplomates britannique et français Mark Sykes et Georges Picot qui ont défini la frontière entre la Syrie et l’Irak d’aujourd’hui. La France et le Royaume-Uni ont conclu des accords secrets pour se partager l’Empire d’ottoman après la Première Guerre mondiale.

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Pourtant, les politiques n’évoquent que rarement le rapport entre le djihad et le colonialisme et même dans l’enseignement, l’histoire coloniale n’est traitée qu’accessoirement. « Notre passé colonial est toujours partiellement tabou » résume Catherine. « Le colonialisme est considéré comme faisant partie d’un passé lointain, quand nous avons utilisé les matières premières du Congo pour notre propre développement. » Mais pour l’historien bruxellois, les « temps coloniaux » ne sont pas encore passés. « Le colonialisme a provoqué une vague de racisme dans notre société. Et je ne parle même pas du comportement discriminatoire d’un ou de quelques individus, mais de racisme institutionnalisé. Il suffit de regarder le marché du travail ou du logement. »

Frustration

Pourtant, le racisme et la radicalisation ne sont pas toujours liés. « Il existe différentes façons de répondre à la discrimination et à l’exclusion » explique Catherine. « Regardez les Turcs en Belgique, par exemple. Ils s’appuient sur un discours nationaliste. Les Turcs belges votent en masse pour Erdogan et son parti AK. Erdogan entretient en effet l’époque glorieuse de l’Empire ottoman et la grandeur de la nation turque. » Et le nationalisme semble fonctionner comme solution pour lutter contre la frustration. Aucun Turc ne se sent en effet appelé à rejoindre la Syrie au nom de l’islam.

Et les Marocains belges non plus ne deviennent pas djihadistes. Certains d’entre eux se jettent sur les activités culturelles, alors que d’autres diplômés de l’enseignement supérieur retournent dans la région de Casablanca, où leur diplôme belge leur sert plus qu’ici. Ou ils émigrent au Québec, car le Canada est un pays immigration pratiquement exempt de racisme qui cherche des diplômés francophones de l’enseignement supérieur.

Pour échapper au racisme, Catherine indique encore une troisième piste : étudier l’impérialisme occidental d’un point de vue islamique. C’est pourquoi il laisse la parole à Kareem El Hidjaazi dans le livre. Ce dernier a quitté Bruxelles pour le Yémen où il vit depuis quinze ans dans la tradition du prophète.

Stigmatisation

« Kareem souhaite riposter aux (futurs) djihadistes de l’EI à l’aide d’arguments religieux. Et bien que dans certains domaines, je suis fondamentalement en désaccord avec Kareem, je trouve qu’il est important de l’écouter, car un grand nombre des jeunes radicalisés n’ont qu’une connaissance limitée de l’islam. « Ils croient ce que prétend l’imam Google, alors que leurs messages de haine ne figurent nulle part dans le Coran. »

Catherine souhaite également mettre fin à la stigmatisation de croyants particulièrement orthodoxes. « Tous les musulmans vêtus d’un pantalon trop court et d’une chemise trop longue ne sont pas dangereux. « 

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