Les sociétés militaires privées sont de plus en plus sollicitées par les gouvernements et les entreprises. © JOHN MOORE/GETTYIMAGES

Pourquoi les sociétés militaires privées sont de plus en plus présentes dans les zones de conflits

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Missions de combat, de formation, de logistique… : les sociétés militaires privées sont de plus en plus présentes dans les zones de conflits, du Moyen-Orient au Sahel. Eclairage sur une industrie florissante peu contrôlée.

La guerre n’est plus ce qu’elle était. De plus en plus de gouvernements et d’entreprises ont recours aux services de sociétés militaires privées (SMP). Et pour cause : avec la fin de la guerre froide, les budgets défense ont été mis sous pression, les effectifs des armées nationales ont été réduits, et l’opinion publique, en Occident, n’a plus supporté de voir ses soldats mourir au combat. Les premières SMP ont fourni des mercenaires pour des missions de combat ou de sécurisation de zones pétrolières. Par la suite, d’autres firmes, surtout américaines, ont assuré la formation et l’intendance du combattant, la maintenance d’installations militaires, les transports de troupes et de matériel, la protection de personnalités et de bâtiments publics… Grâce à ces juteux marchés, elles ont engrangé des milliards de dollars.

Louées pour leur efficacité, les sociétés militaires privées sont critiquées pour leurs dérives.

La firme sud-africaine Executive Outcomes, l’une des premières entreprises de guerre créées, est intervenue en Sierra Leone et dans d’autres pays africains au cours des années 1990, avant d’être dissoute. A la même époque, sa consoeur américaine MPRI a équipé et formé les armées croate, bosniaque, kosovare… L’ingérence des armées non gouvernementales a pris une ampleur considérable lors de la  » guerre contre le terrorisme « . Les SMP américaines DynCorp et Blackwater ont proposé leurs services sur les théâtres irakien et afghan. Accusée de massacres et d’escroqueries, la seconde a été rebaptisée Xe, puis Academi. Le Groupe Wagner, une force de mercenaires russes, a opéré ces dernières années au Donbass (Ukraine), en Syrie et en Afrique, notamment en République centrafricaine et en Libye. Plus récemment, la présence de SMP a été signalée au Sahel. Une région instable dont Amandine Dusoulier, du Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité, auteure de Les sociétés militaires privées : des acteurs au coeur des conflits (Grip, 2020), suit de près les turbulences et acteurs sécuritaires.

Les SMP ont connu un essor phénoménal. Quelle place occupent-elles aujourd’hui sur les points chauds du globe ?

Il faut différencier les SMP, sociétés militaires privées, des ESP, entreprises de sécurité privées, dont les activités sont tournées vers la surveillance et le gardiennage. Beaucoup d’organisations collaborent aujourd’hui avec les ESP, dont l’ONU, qui leur confie le gardiennage de ses camps au Mali et en Centrafrique. Les SMP, elles, assurent pour des pays occidentaux des tâches militaires dans des régions où le risque sécuritaire est élevé. Du fait de leur participation aux guerres en ex-Yougoslavie, en Afghanistan et en Irak, des SMP américaines comme MPRI ou Blackwater ont acquis une réputation internationale. Elles ont été de plus en plus sollicitées par les gouvernements et les entreprises. Louées pour leur efficacité, elles sont critiquées pour leurs dérives.

Avec quelles conséquences ?

Leurs abus en Afghanistan et en Irak ont soulevé des polémiques. A la suite de plaintes d’ex-détenus, les firmes Caci et L-3 Services ont été poursuivies par la justice américaine pour avoir participé à des actes de torture et d’humiliation. D’autres SMP opérant dans ces pays se sont rendues coupable de mauvais traitement, de blanchiment d’argent… La dénonciation de ces activités criminelles a permis d’ouvrir le débat sur la responsabilité juridique de chaque partie, acteurs publics et privés.

Quels services fournissent les SMP actives en Afrique ?

Le continent africain attire l’industrie de la sécurité privée du fait de la faiblesse des institutions gouvernementales de certains pays et de la présence de firmes étrangères qui exploitent la richesse de leurs sous-sols. Les SMP offrent des services variés : participation à des missions de combat, protection de sites d’extraction, formation de forces armées locales et de gardes du corps présidentiels, évacuation médicalisée aéroportée de soldats, soutien logistique. Plusieurs sociétés sont actives dans l’espace sahélo-saharien fragilisé par le terrorisme transnational, les remous de la révolution libyenne de 2011 et la crise malienne.

Avez-vous pu récolter d’autres informations sur les firmes présentes au Sahel ?

Un rapport du Pentagone de 2017 fait état de 21 firmes de sécurité américaines au Sahel. Les SMP les plus en vue en Afrique sont américaines, britanniques, françaises, ukrainiennes et russes. Une certaine opacité règne à leur sujet. Il n’est pas simple d’obtenir des informations fiables sur le nombre de SMP actives sur le continent, leurs effectifs, clients, missions, lieux d’opérations. Il en va de même pour la nationalité de certaines de ces entreprises. La présence russe en République centrafricaine illustre ces difficultés. Alors que le Kremlin a envoyé des armes et des instructeurs pour former les forces armées centrafricaines en 2018 avec l’accord du comité de sanctions de l’ONU, plusieurs des nationaux russes arrivés sur le territoire se seraient mis à travailler en réalité pour le compte de la SMP centrafricaine Sewa Security Services.

Comment mieux contrôler les activités de ces sociétés ?

Un groupe de travail onusien surveille l’utilisation de mercenaires comme moyen de violer les droits de l’homme et d’empêcher l’exercice du droit des peuples. Il déplore que les législations nationales de plusieurs pays d’Afrique visent exclusivement les ESP, sociétés de gardiennage et de surveillance. Les SMP profitent du vide juridique pour prospérer. Contrôler efficacement les firmes privées sous contrat en Afrique s’avère donc laborieux. Elaborer une convention internationale serait un premier pas dans la bonne direction. La rendre contraignante en serait un second. Les pays qui abritent des SMP sur leur territoire devraient adhérer au Document de Montreux. Bien que non contraignante, cette initiative rappelle les obligations juridiques des Etats et des SMP et suggère des bonnes pratiques. Le texte est soutenu par cinquante-six pays, dont seulement cinq africains.

Et demain ? Des guerres de plus en plus privatisées ?

Il est clair que nos sociétés se tournent de plus en plus vers le secteur privé. Les armées régulières ne font pas exception. Les gouvernements cherchent néanmoins à conserver un certain contrôle sur leurs interventions militaires et vont donc limiter les services délégués au secteur privé. En fait, les ministères de la Défense tâtonnent encore dans la recherche d’un équilibre efficace entre délégation au privé et préservation du rôle des militaires des armées nationales.

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