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Pourquoi les républicains ne lâchent-ils pas Donald Trump ?

Muriel Lefevre

Même les républicains qui s’étaient distanciés de Donald Trump semblent s’agglutiner en rang serré autour de lui à l’approche des élections présidentielles. Ils restent bien quelques francs-tireurs qui osent l’attaque frontale, mais ils ne sont pas légion. Et il y a une raison très pragmatique, pour ne pas dire franchement cynique, à cela.

Aujourd’hui, la question principale qui agite le parti républicain n’est pas tant un débat idéologique, mais la réponse à une question binaire : va-t-on suivre Trump, ou non ? Et c’est là l’un des plus grands mystères de la politique américaine, dit De Morgen. Qu’est-il arrivé au parti républicain depuis l’avènement de Donald Trump ? Ce parti qui s’était arcbouté, depuis ce qu’on a appelé la révolution Reagan des années 1980, autour d’une idéologique axée sur un gouvernement peu interventionniste, de faible taxe, le libre-échange, le respect des valeurs chrétiennes et une guerre par-ci par-là est aujourd’hui en pleine crise identitaire.

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Et si les républicains avaient pu éviter jusqu’à présent d’avoir à trancher sur le cas Trump, ils seront bientôt acculés à se positionner suite à la procédure de destitution qui est en cours. Au rythme où vont les choses, ils devront bel et bien voter pour ou contre lui. Le destin de Trump se trouve donc littéralement entre leurs mains.

Soutien aveugle

Lors du Watergate, les républicains avaient remis en question leur soutien à Nixon, explique Kevin Mattson, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de l’Ohio. Pour certains d’entre eux, « il y avait des efforts pour travailler (avec les démocrates) et reconnaître qu’il y avait plus important que la loyauté à Nixon », abonde Ken Hughes. En 1974, les membres républicains de la commission d’enquête avaient approuvé les demandes démocrates d’audition et de remise des documents par la Maison-Blanche, « dont des preuves décisives comme les enregistrements clandestins », dit M. Hughes. Aujourd’hui, les républicains « apportent un soutien aveugle à M. Trump et il le sait ». Les nombreux sénateurs qui brigueront un nouveau mandat en novembre 2020, en même temps que le scrutin présidentiel, « vivent dans la peur d’avoir des concurrents lors des primaires » du parti. Or, dans de nombreux Etats, une victoire lors de ces primaires garantit généralement un succès à l’élection générale. Mais, rappelle Louis Caldera, « nous prêtons serment, notre devoir n’est pas seulement de servir le parti, mais aussi le Congrès ». « S’il y a un soutien populaire pour l’impeachment, alors cela offrira une couverture aux républicains pour être courageux », ajoute-t-il. Ken Hughes souligne que Richard Nixon avait été lâché après les primaires, car les élus « avaient beaucoup plus à craindre des électeurs modérés, puisque les indécis étaient très remontés contre le président ».

Pas de quoi donner des sueurs froides à Trump, les républicains semblent encore faire front pour défendre « leur » président. Pour ce faire, ils remettent en question des faits qu’ils jugent périmés. Une tactique qui a surtout payé parce que les principaux témoins ont mis Trump à l’abri en ne se présentant pas aux auditions. En mettant en doute certaines pièces du puzzle ukrainien, les républicains sont parvenus à rendre l’ensemble de la procédure bancale.

Pour la majorité des républicains, la position adoptée est que Trump n’a rien fait, parce qu’il n’a, d’un point de vue technique, pas dit explicitement ce qu’il voulait qu’on fasse et que du coup « deux présomptions n’égalent pas un fait ». La nouvelle ligne de défense républicaine rappelle ainsi la déclaration d’un ancien avocat du président des Etats-Unis, Michael Cohen, qui est aujourd’hui en prison pour mensonges et fraude. Il avait dit à propos du président : « Il ne vous pose pas de questions, il ne vous donne pas d’ordres, il parle de manière codée ».

Un des exemples flagrants de ralliement surprise est les cas d’Elise Stefanik, une jeune parlementaire de l’État de New York, connue comme l’une des républicaines les plus modérées et les plus indépendantes et certainement pas une adepte servile de Trump.

Elise Stefanik
Elise Stefanik© Reuters

Pendant les audiences, Stefanik s’est révélé être un des chiens de garde les plus féroces des républicains, aboyant dès que possible, voire se montrant particulièrement mordante envers certains témoins, par exemple contre Adam Schiff, chef démocrate de la commission du Renseignement. Trump, ravi, dira d’elle : « Une nouvelle étoile est née ! »

Un autre républicain modéré de la Commission du renseignement, Will Hurd, a également rejoint les rangs du président jeudi dernier. Tout comme le sénateur Lindsey Graham, qui avait traité Trump de fou en 2016. Plus surprenant encore, Nikki Haley, ancienne ambassadrice de l’ONU et souvent citée comme future candidate à la présidence, a, elle aussi, adopté un ton remarquablement doux dans son nouveau livre. Son ambition d’être vice-présidente pourrait avoir joué un rôle, se murmure-t-il dans les couloirs. Et cet opportunisme pourrait bien être la véritable clé derrière ce regain d’amour.

Pourquoi les républicains ne lâchent-ils pas Donald Trump ?
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Une réélection passe avant les nobles principes

Selon Mark Sanford, gouverneur de la Caroline du Sud, membre de la Chambre des représentants et l’un des rares à s’être officiellement présenté contre Trump,  » Haley a juste regardé les sondages. La procédure d’impeachment n’a pas beaucoup influencé les chances électorales de Trump. Ceux qui veulent avoir un avenir avec les républicains à court terme n’ont pas d’autre choix que de jurer allégeance au chef. »

Mark Sanford
Mark Sanford© Reuters

Un avis partagé par Levitsky, professeur à Harvard et auteur de l’ouvrage van How Democracies Die paru en 2018 repris par De Morgen : « les membres du Congrès qui s’opposent à Trump courent le risque d’obtenir un candidat d’opposition de même type que Trump lors des prochaines élections. C’est simple, l’objectif principal de nos représentants élus est souvent leur réélection. Beaucoup de politologues pensent qu’à un moment les principes prennent le dessus et que leur ambition personnelle est mise de côté pour sauvegarder les institutions et le pays dans son ensemble ou encore la démocratie. Mais jusqu’à présent, force est de constater que pour la plupart des républicains, l’ambition est plus importante et je ne sais honnêtement pas s’il y aura un moment où les principes prendront le dessus » dit encore Levitsky.

Si en privé, les républicains continuent de dire qu’ils ne l’aiment pas, qu’il est stupide, voire dangereux ; en public, ils sont tous derrière trump. Outre un certain opportunisme, la peur joue également un rôle majeur. Trump a son compte Twitter et de puissants amis à la radio et à Fox News. « Si tu n’obéis pas, tu peux être détruit », précise Levitsky qui a été surpris par la rapidité avec laquelle Trump a pris le contrôle du parti.

Il y a bien quelques tentatives de rébellion, mais elles viennent de coins situés loin du Capitole. Et personne pour personnifier l’opposition en se présentant comme challenger crédible à Trump. En effet, outre Sanford qui, de son propre aveu, disait « qu’il n’a rien à perdre, pas même ma réputation. Ça aide. », il y a encore deux autres candidats officiels à la présidence. Ainsi il y a l’ancien gouverneur du Massachusetts Bill Weld et Joe Walsh, élu au Congrès en 2010 pour un seul mandat. Pas besoin de préciser qu’aucune de ces candidatures ne menace réellement l’entreprise de réélection du président sortant. Malgré sa hargne, Sanford va lui-même rapidement jeter les gants. Le 12 novembre 2019, il déclare forfait. Il est vrai que sa tentative de contester l’investiture républicaine du président en exercice, lancée il y a deux mois, n’avait pas suscité beaucoup d’engouement. « Je vous écris aujourd’hui pour vous signaler que j’abandonne ma candidature pour la présidentielle », a-t-il ainsi annoncé sur Facebook, appelant à « un débat sur ce qu’être républicain signifie aujourd’hui ».

Sanford et l’escapade argentine

Il a fait la une dans les médias en 2009 lorsqu’il disparait mystérieusement pendant 6 jours en 2009. Il aurait pris la poudre d’escampette pour rejoindre une maîtresse en Argentine. L’Affaire va lui couter son mariage, mais pas son poste de gouverneur. Il sera même réélu malgré le scandale. L’affaire va pourtant lui permettre de voir la vie avec une autre perspective, moins tournée vers sa carrière. Ce n’est que lorsqu’il a été l’un des premiers républicains à ne pas être réélu à la Chambre des représentants l’année dernière, après que Trump eut soutenu un challenger, qu’il s’est lancé dans la campagne présidentielle.

Malgré le peu de combattants, le parti a également veillé à éviter tout combat. Les républicains annuleront ainsi les primaires dans de nombreux états. « Une élection est une bataille, une bataille d’idées, c’est ainsi que l’Amérique s’est développée « , dit pourtant Sanford. « Abolir les élections, c’est agir comme la Corée du Nord, c’est un signe de faiblesse. Ce n’est pas bon pour le parti et ce n’est pas bon pour l’Amérique. » Levitsky, pense aussi qu’il est risible que le parti n’ose pas aller aux primaires. « Les candidats opposés n’ont aucune chance. Alors pourquoi le parti républicain saboterait-il le processus ? C’est simplement parce que Trump ne supporte pas la critique. Ce sont les traits d’un autocrate et le parti les suit. »

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