A la gauche du PS français et de Benoît Hamon, Jean-Luc Mélenchon occupe l'espace du socialisme historique. © Mehdi Chebil/PHOTO NEWS

Pourquoi la gauche radicale supplante le PS

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

« L’entre-deux socialiste » a déçu beaucoup de monde en Europe. Pour autant, la gauche révolutionnaire n’a pas encore trouvé de modèle de gouvernement, même imparfait », analyse Jean-Numa Ducange, de l’université de Rouen.

Voyez-vous d’autres partis socialistes en Europe débordés par la gauche radicale dans des circonstances similaires à celles observées en Belgique, à savoir l’usure du pouvoir et les affaires ?

La France et l’Espagne sont deux exemples caractéristiques : les partis socialistes sont concurrencés voire devancés par des formations récentes et contestataires qui bouleversent les équilibres politiques habituels, sans pour le moment être en mesure de peser véritablement sur les majorités. Le cas belge est, de ce point de vue, un peu particulier parce que le PTB est un parti assez ancien, qui a certes évolué récemment, mais qui conserve son sigle historique là où, par exemple, La France insoumise (FI) a nettement pris ses distances avec les vieilles organisations comme le Parti communiste français. Jean-Luc Mélenchon, candidat de la FI, a lui-même mis en congé l’organisation qu’il avait fondée en 2008, le Parti de gauche, même si, dans les faits, les principaux cadres de FI en sont issus.

Qu’est-ce qui explique plus généralement la désaffection pour la gauche socialiste ?

La gauche socialiste classique est piégée par une double évolution. D’une part, en son sein et à sa droite, dans la quasi- totalité des pays européens, une partie veut assumer un tournant libéral à la Tony Blair (le New Labour des années 1990) et ne plus s’encombrer avec l’histoire du socialisme et des restes d’anticapitalisme que celle-ci induit. D’autre part, toujours en son sein mais cette fois à sa gauche, et le phénomène touche là encore de nombreux pays, des regroupements émergent avec ceux qui, au contraire, refusent d’accepter la construction européenne actuelle et renouent, souvent avec un vocabulaire et un profil différents, avec les vieux idéaux d’égalité sociale de la gauche révolutionnaire.

La France insoumise est-elle appelée à supplanter durablement la gauche socialiste ?

Jean-Numa Ducange :
Jean-Numa Ducange : « La stratégie politique du « Tout sauf la méchante droite » ne fonctionne plus. »© DR

Formellement, la FI a réalisé une belle percée aux élections législatives mais n’a pas réussi non plus à rayer de la carte le PS ni son allié  » encombrant  » qu’est le PCF. Il n’en demeure pas moins que la dynamique est incontestablement pour le moment de ce côté. La figure de Mélenchon est connue et populaire, clairement identifiée, quand le PS et le PCF peinent à exister dans l’espace médiatique. Reste que le mouvement de la FI risque de connaître les mêmes débats internes que Podemos en Espagne sur les alliances politiques à construire, sauf à parier sur une dynamique majoritaire sans autres alliés qui, pour le moment, paraît difficile.

En Grèce, Syriza ne s’est-il pas « social-démocratisé » en arrivant au pouvoir ?

Il est clair que l’échec de Syriza pèse lourd. La Grèce devait être le premier pays à rompre avec les politiques austéritaires de l’Union européenne. Cela n’a finalement pas été le cas. Cela a découragé beaucoup de militants non seulement en Grèce mais aussi ailleurs. Un des problèmes de la gauche radicale européenne, par-delà sa diversité, c’est qu’elle n’a pas de modèle existant, même imparfait. La force propulsive des grands partis communistes en Europe des années 1930 aux années 1970 s’expliquait notamment par l’existence d’un modèle socialiste alternatif au capitalisme. Cela pesait lourd dans l’imaginaire politique et les mobilisations populaires. Aujourd’hui, un autre monde est théoriquement possible, mais aucun pays n’a encore tracé une voie, même imparfaite et critiquable.

Les programmes des partis de la gauche radicale en Europe sont-ils solubles dans la démocratie européenne ou sont-ils voués à être « nivelés » par l’option libérale qui prévaut au sein de l’UE ?

Une lecture pessimiste de l’expérience Syriza pourrait conduire à dire : proclamez ce que vous voulez lors des élections, de toute manière au pouvoir vous ne pourrez rien faire ! Mais à ce jeu-là, rien n’aurait jamais été possible dans l’histoire… Ce qui est certain, c’est que sans changement politique dans les pays au coeur de la zone euro – la France et l’Allemagne en tout premier lieu – toute velléité de changement politique risque de se retrouver face à un mur. C’est pour cela que l’évolution du champ politique français et allemand sera vraisemblablement décisif.

Au Portugal, le gouvernement minoritaire socialiste est soutenu par des formations de la gauche radicale. Existe-t-il d’autres exemples en Europe de collaborations fructueuses entre forces de gauche ? Ou la tendance majoritaire est-elle à l’affrontement, comme en France, en Espagne… ?

La tendance est plutôt à une recomposition politique qui passe, en effet, par un affrontement très clivé. Cela peut se produire au sein même de la sociale-démocratie historique : l’exemple du Parti travailliste avec Jeremy Corbyn en est un exemple éloquent. Mais le niveau de violence contre lui au sein du Labour vaut bien les affrontements entre Valls et Mélenchon en France. L’exemple portugais de ce point de vue est assez unique mais semble avoir relativement peu de portée internationale.

Les formations socialistes traditionnelles ne souffrent-elles pas de ne pas avoir réussi à proposer une alternative à l’ultralibéralisme au moment de la crise financière de 2008-2009 ?

Absolument. Encore une fois, face à l’ampleur de la crise, ce sont plutôt les réponses  » populistes  » de gauche et de droite (qui ne se confondent pas) qui ont progressé, ou bien celles libérales assumées, quitte à injecter quelques mesures sociales pour compenser (Angela Merkel a, par exemple, fait voter le salaire minimum coupant l’herbe sous le pied aux sociaux-démocrates allemands).  » L’entre-deux  » socialiste qui avait connu de belles victoires électorales dans de nombreux pays européens à la fin des années 1990 a déçu presque tout le monde, d’où la décomposition accélérée de ces partis. Leurs membres ont pensé qu’ils pouvaient automatiquement être réélus comme un moindre mal face à la droite libérale et aux droites populistes/nationalistes. Hollande avait ainsi gagné de peu contre Sarkozy. Mais, à terme, cette stratégie est mortifère. Car ce n’est justement qu’une stratégie politique jouant sur le  » Tout sauf la méchante droite  » qui ne fonctionne plus.

Le PS francophone belge était considéré comme un des rares en Europe à avoir conservé un électorat ouvrier. En France, ce dernier se tourne de plus en plus vers le Front national. Que devraient mettre en oeuvre les partis socialistes pour reconquérir le  » peuple  » ?

L’électorat ouvrier se tourne certes vers le FN, mais aussi et surtout vers l’abstention ! Le niveau de participation des classes populaires à la politique atteint un niveau préoccupant en France : en Seine-Saint-Denis, département pauvre de la région parisienne, de nombreux députés sont élus avec des taux d’abstention de 60 voire 70 %… Des scores similaires se retrouvent dans le Nord, à la composition sociale assez proche de la Belgique ex-industrielle mitoyenne. Le PS français de cette région avait longtemps gardé un ancrage populaire lui aussi, qui s’est progressivement évaporé. Retrouver un attrait auprès du  » peuple « , qu’il faudrait définir, passe certainement par un abandon des formes les plus classiques de la politique traditionnelle qui ont dégoûté l’électorat habituel de la gauche. Mais gare au  » Tout nouveau, tout beau  » car la décomposition des structures politiques classiques peut aussi favoriser la reproduction des pires mécanismes derrière des apparences  » mouvementistes  » séduisantes. Surtout, ces partis devraient se donner les moyens de réfléchir sur un projet de long terme, au-delà des slogans court-termistes.

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