" Non à un cinquième mandat ! " A Alger, le 13 mars, les manifestants s'opposent à la candidature d'Abdelaziz Bouteflika et dénoncent son clan. © Z. BENSEMRA/REUTERS

Pourquoi la corruption en Algérie est le ferment de la révolte

Le Vif

L’opacité du système politique favorise malversations et détournements. Des travers que les Algériens veulent voir disparaître.

 » L’époque du cachir, c’est fini !  » D’abord sortis manifester, le 22 février, pour dénoncer la candidature d’Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat, les dizaines de milliers d’Algériens qui ont pris possession de la rue ont vite étendu leurs récriminations et s’en sont pris à l’ensemble du  » système « . Le cachir, c’est un saucisson halal, distribué lors des meetings électoraux du parti au pouvoir. Au fil du temps, il est devenu un symbole de l’achat de voix et de la corruption.  » La corruption, c’est l’épine dorsale du régime « , soupire Hocine Malti, ancien vice-président de la Sonatrach, la compagnie pétrolière nationale.

Les détournements de fonds ont toujours existé en Algérie, notamment pendant la période coloniale. Au tournant des années 1990, cependant, la pratique change de nature. Les privatisations et la libéralisation du commerce extérieur voient prospérer les oligarques, hommes d’affaires liés au pouvoir, surnommés les  » barons de l’import-import  » – pour les bénéfices qu’ils tirent de l’importation de marchandises, au détriment de la production locale. En parallèle,  » d’innombrables biens fonciers de l’Etat sont vendus à bas prix. Plusieurs responsables politiques font des acquisitions pour un dinar symbolique « , constate Halim Feddal, de l’Association nationale de lutte contre la corruption (ANLC). A son arrivée au pouvoir, en 1999, Bouteflika promet de combattre ce fléau.  » Mais, peu après l’adhésion du pays à la convention de l’ONU sur la corruption, en 2004, rappelle Halim Feddal, le pouvoir modifie la loi. Le délai de prescription passe de dix à trois ans, et l’inculpation pour corruption est ravalée du rang de « crime » à celui de « délit ». 6 000 procédures judiciaires sont annulées. En 2013, 100 000 opérateurs économiques sont inscrits au fichier des fraudeurs. Cinq ans plus tard, ils sont 120 000. Et encore, il faudrait multiplier par quatre ou cinq ces chiffres officiels !  »

Plusieurs scandales retentissants éclatent pendant le règne de Bouteflika, dont l' » affaire Khalifa « , du nom du fils d’un ancien ministre arrivé en quelques années à la tête d’un empire de 14 000 salariés ; celui de la Sonatrach, qui fait tomber le ministre de l’Energie, en 2013 ; ou encore celui de l’autoroute Est-Ouest, tonneau des Danaïdes des deniers publics.  » La prévarication généralisée, du sommet de l’Etat jusqu’au petit fonctionnaire qui prend quelques dinars pour accélérer la délivrance d’un document d’Etat civil, est créée à dessein, souligne Hocine Malti. Ainsi, tout le monde est complice.  » Un exemple : l’Agence nationale de soutien à l’emploi des jeunes, fondée en 1996, était censée favoriser la création d’entreprises.  » En pratique, son objectif est d’acheter la paix sociale : nombre de jeunes utilisent les prêts accordés pour réparer la maison familiale ou se marier – une cérémonie coûteuse pour bien des Algériens. Ils ne remboursent pas et l’administration ferme les yeux. Une façon comme une autre de tenir la population.  » Bien des profiteurs ont placé leurs avoirs à l’abri, au-delà de la Méditerranée.  » Les partenaires européens de l’Algérie devraient être plus vigilants sur les transferts d’argent suspects vers leurs banques « , déplore Halim Feddal. Ils sont pourtant dotés de lois très strictes en matière de lutte contre la corruption, mais ils n’en font pas suffisamment usage avec les élites africaines.

Par Catherine Gouëset.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire