Heinz-Christian Strache, l'actuel président du parti d'extrême droite FPÖ, a un profil fort différent de son lointain prédécesseur Jörg Haider. Dix-sept ans plus tard, rééditera-t-il l'expérience de participation au pouvoir ? © Hans Punz/Belgaimage

Pourquoi l’extrême droite autrichienne est-elle banalisée ?

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Grand vainqueur des législatives, le conservateur Sebastian Kurz pourrait privilégier une alliance avec l’extrême droite du FPÖ. Elle ne suscitera pas la même réprobation européenne que celle portée par Louis Michel en 2000 contre Jörg Haider. Pourquoi ?

A 31 ans, Sebastian Kurz, leader du parti conservateur autrichien ÖVP, sera prochainement le plus jeune dirigeant à la tête d’une démocratie occidentale. Fort des plus de 31 % des voix récoltés par sa formation lors des élections législatives du dimanche 15 octobre, il a la main pour bâtir la coalition qu’il présidera en tant que chancelier. Des deux options qui s’offrent à lui, la plus plausible est une alliance avec l’extrême droite du FPÖ emmenée par Heinz-Christian Strache. Parce que le Parti de la liberté d’Autriche est arrivé en deuxième position du scrutin avec quelque 27 % des suffrages et parce que, depuis son élection à la tête de l’ÖVP, en mai 2017, Sebastian Kurz a droitisé son programme, notamment sur les questions de réfugiés et du rôle de l’islam. Une coalition avec les sociaux-démocrates du SPÖ, qui s’est stabilisée à plus de 26 % (alors que les verts se sont effondrés), est la deuxième hypothèse de gouvernement. Sebastian Kurz ne pourrait la défendre devant ses électeurs que s’il imposait un vrai changement de ligne politique, fort de sa prédominance électorale. C’est en effet lui qui a provoqué la rupture avec les sociaux-démocrates de la coalition sortante après l’échec des partis traditionnels à la présidentielle autrichienne de 2016 et l’élection de l’écologiste Alexander Van der Bellen, de justesse face au candidat du FPÖ Norbert Hofer.

La perspective d’une alliance entre les conservateurs et l’extrême droite ravive les souvenirs de la bronca européenne qui avait accueilli la formation du gouvernement de Wolfgang Schüssel entre les mêmes ÖVP et FPÖ à l’issue des élections législatives du 3 octobre 1999. Le leader du FPÖ était alors le fantasque Jörg Haider, très éloigné de l’actuel président policé Heinz-Christian Strache. Pourquoi une entrée du FPÖ dans le gouvernement autrichien est-elle perçue différemment aujourd’hui ? Eléments de réponse avec Tanguy de Wilde d’Estmael, professeur de relations internationales à l’UCLouvain et auteur, en 2000, pour la revue Critique internationale d’une étude sur les sanctions européennes contre l’Autriche.

Le FPÖ de 2017 est-il différent du FPÖ de 2000 ?

Le FPÖ est un ancien parti libéral qui était membre de l’Internationale libérale. Il en a été exclu après les rodomontades de Jörg Haider sur le nazisme. Il insistait beaucoup sur la victimisation de l’Autriche, contestable d’un point de vue historique, et il avait déclaré que la politique de l’emploi du IIIe Reich n’avait pas été si mauvaise. La résistance à l’époque des 14 (NDLR : l’Union européenne comptait alors 15 Etats) était fort liée à la personne de Jörg Haider. Le FPÖ avait d’ailleurs pris comme première mesure, en réaction aux sanctions européennes, de remplacer Jörg Haider à la direction du parti et de le renvoyer dans son fief de Carinthie.

La N-VA, elle, réussit le test de compétence de la participation à un gouvernement »

Voulez-vous dire que le FPÖ d’aujourd’hui n’a plus ce rapport problématique avec le nazisme qu’il avait en 2000 ?

On y trouvera toujours des nostalgiques de la justification du régime nazi. Le plus dérangeant pour le FPÖ de 2017, ce sont ses affinités avec l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) ou avec le Front national en France. C’est une question délicate pour le leader conservateur Sebastian Kurz. Il risque de diriger une coalition qui apparaîtra eurosceptique alors que son parti, l’ÖVP, ne l’est pas. En 2000, la crainte des Européens relevait davantage du respect des règles démocratiques. Le président social-démocrate autrichien Viktor Klima avait même forcé les membres de la coalition à signer une déclaration qui consistait en une profession de foi démocratique et un geste de repentance vis-à-vis des propos du FPÖ sur  » l’Autriche victime de la Seconde Guerre mondiale « .

Une coalition avec l’extrême droite ne suscitera plus les réactions indignées observées en 2000. Pourquoi ?

Parce qu’il y a eu des précédents : en Slovaquie, où les socialistes du Premier ministre Robert Fico se sont alliés aux nationalistes du parti SNS, au Danemark, où le gouvernement du libéral Lars Lokke Rasmussen est soutenu par l’extrême droite du Parti populaire danois. Et surtout, parce que les mesures politiques prises par l’Union européenne en 2000 se sont avérées inutiles. Leur objectif était de prévenir une évolution contraire à la démocratie. Or, elle n’a pas eu lieu. Une mission de surveillance et de monitoring de l’UE a même analysé la situation après la formation de gouvernement de Wolfgang Schüssel et elle a conclu à l’absence de dérive antidémocratique. Les mesures ont dès lors été levées. Si elle a de la mémoire, l’Union européenne est donc relativement mal placée pour prendre des mesures coercitives aujourd’hui alors que l’expérience précédente a montré leur inanité. A l’époque, les 14 avaient clairement fait un procès d’intention à l’Autriche. Cet élément explique la réticence d’aujourd’hui même si la diplomatie déclaratoire fourmillera toujours de mises en garde.

Sebastian Kurz a réussi à donner l'apparence du changement à un parti conservateur qui a pourtant été de tous les gouvernements autrichiens depuis 1986.
Sebastian Kurz a réussi à donner l’apparence du changement à un parti conservateur qui a pourtant été de tous les gouvernements autrichiens depuis 1986.© L. FOEGER/REUTERS

Cela démontre-t-il une banalisation de l’extrême droite ? En 2000, Louis Michel justifiait son combat par le souci de ne pas la banaliser.

Louis Michel a raison. Il ne faut pas banaliser l’extrême droite. En 2000, son attitude était aussi motivée par une conjoncture belge dans laquelle le Vlaams Belang était beaucoup plus puissant que maintenant. Il ne faut jamais négliger les ressorts de politique interne dans les prises de position des dirigeants. Aujourd’hui, beaucoup de partis d’extrême droite veulent mettre en avant de nouvelles figures politiques, étrangères au nazisme ou au fascisme. De la sorte, ils espèrent présenter un visage acceptable et jouer le jeu démocratique. Plutôt qu’une banalisation, je dirais donc qu’il y a une intégration dans le jeu démocratique. En Italie, le Mouvement social italien (MSI) était l’héritier du fascisme. Puis, il s’est transformé en parti convenable de droite classique sous le nom d’Alliance nationale, avec la personnalité de Gianfranco Fini devenu ministre. Là, le changement s’est opéré. D’autres partis d’extrême droite ont tendance à suivre cette orientation, avec plus ou moins de succès. Le FPÖ a effectué le chemin inverse. Libéral, il était présentable. Ensuite, il a dérivé et n’est jamais revenu dans son giron originel.

Certains partis d’extrême droite n’arrivent cependant pas à réaliser une transformation sur le mode de l’Alliance nationale…

Le grand examen est le test de compétence. Le FPÖ ne l’a pas franchi quand il a participé au gouvernement de Wolfgang Schüssel en 2000. Il a beaucoup perdu aux élections suivantes parce que le vote s’opère sur la compétence. Certains Autrichiens avaient d’ailleurs avancé cet argument : les mettre au pouvoir pour montrer leurs incapacités. La N-VA réalise un peu l’inverse en Belgique aujourd’hui. Dans les ministères dont elle a la responsabilité, elle réussit, aux yeux de ses électeurs, le test de compétence. Le FPÖ, pas plus que le Front national, n’a réussi la transformation radicale observée en Italie.

Kurz prendra-t-il le risque de diriger une coalition eurosceptique alors que son parti ne l’est pas ? »

Quelle devrait être l’attitude de l’Union européenne en cas d’alliance gouvernementale avec l’extrême droite en Autriche ?

En tant que telle, l’Union européenne n’a rien à dire dans cette affaire pour l’instant. Les mécanismes internes de rétorsion ont été activés par l’Union à l’encontre de partis de gouvernement en Hongrie et en Pologne qui n’étaient nullement considérés comme d’extrême droite quand ils ont accédé au pouvoir. Cela laisse d’autant moins augurer une réaction du type de celle des 14 en 2000.

Le projet du FPÖ d’adhérer au groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie) traduit-il ce raidissement à droite de l’Europe centrale ?

Il y a peut-être deux autres explications. D’une part, la logique régionale : avoir un groupe de discussion de ce type-là s’inscrit dans l’aire naturelle d’intérêt de l’Autriche. D’autre part, sa politique étrangère ne peut pas être comprise si on ne se souvient pas que l’Autriche a été un empire, austro-hongrois, qui englobait des parties de ces quatre pays-là. En revanche, la logique politique ne présiderait pas à l’éventuelle décision de rejoindre le groupe de Visegrad : les dirigeants de ces pays ne s’accordent quasiment que sur la question des réfugiés. Leurs approches sociales, par exemple, sont fort différentes.

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