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Pourquoi admiraient-ils Hitler ?

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Dans son dernier ouvrage, l’historien Arnaud de la Croix dresse le portrait de douze admirateurs du dirigeant nazi, de Léon Degrelle à Martin Heidegger. Comment, éloignés de son cercle rapproché, ont-ils été attirés par le dictateur ? Les raisons sont diverses, hors une constante : l’antisémitisme.

L’écrivain Arnaud de la Croix poursuit son exploration du nazisme et de l’univers hitlérien en publiant Ils admiraient Hitler. Portraits de 12 disciples du dictateur. Un des principaux intérêts de la démarche est que l’auteur a choisi des personnalités pour la plupart éloignées de l’entourage du Führer et que leurs motivations sont donc diverses, de la lutte contre le communisme athée au dégoût du parlementarisme, de la rancoeur envers l’impérialisme britannique au refus du modernisme destructeur en passant par  » la hantise de voir la civilisation occidentale disparaître au sein d’un melting-pot généralisé « . Pourtant, souligne Arnaud de la Croix dans sa conclusion, tous, le roi, le prix Nobel de littérature, l’industriel, la réalisatrice, le journaliste, l’ecclésiastique, le mufti…,  » tous, sans exception, cultivent la haine du Juif « .

Le biographe d’Hitler François Delpla, qui signe l’introduction, offre tout de même une petite note d’espoir dans ce tableau sinistre. L’un des douze, l’écrivain de science-fiction Howard Phillips Lovecraft,  » rendu raciste par la peur du déclassement dans la société américaine, sera plus effrayé encore par Hitler une fois celui-ci au pouvoir depuis quelques années et se rabattra sur le New Deal de Roosevelt « . Preuve que le pire n’est pas fatal et que l’homme peut évoluer dans tous les sens, y compris le meilleur.

Extraits Edouard VIII, roi du Royaume-Uni

A en croire Bruce Lockhart, diplomate et agent du renseignement britannique, Edouard ne faisait pas mystère de ses sympathies :  » Le prince de Galles était très pro-Hitler et déclarait que ce n’était pas notre rôle d’intervenir dans les affaires intérieures de l’Allemagne, qu’il s’agisse des Juifs ou de tout autre chose. Il ajoutait que les dictateurs sont très populaires de nos jours et que nous pourrions bien en avoir besoin en Angleterre avant longtemps.  »

Ce dernier point rapproche une nouvelle fois Edouard de son contemporain Léopold III de Belgique, également tenté par une forme d’antiparlementarisme, ainsi qu’il ressort du Testament politique de ce dernier, rédigé le 25 janvier 1944. Le roi des Belges, indiquant que la guerre conduisait à  » l’enfantement d’un ordre nouveau « , concluait que  » la Nation n’admettra pas un retour pur et simple aux errements de l’avant-guerre. Elle désire que le Pouvoir soit exercé par des hommes intègres et compétents qui cessent d’estimer le bien général à la mesure des intérêts de parti…  » […]

On peut dès lors se poser la question : le gouvernement britannique, s’il avait décelé dans le nouveau roi un ennemi du parlementarisme comme un sympathisant de l’Allemagne nazie, n’avait-il pas sciemment conduit le monarque en direction de l’abdication, au prétexte du mariage  » scandaleux  » qu’il s’était mis en tête de conclure avec Wallis Simpson ? […]

C’est la thèse de Ribbentrop – et, semble-t-il, celle d’Hitler également -, ainsi qu’il ressort des propos que tint le ministre des Affaires étrangères du Reich au maître-espion Walter Schellenberg en juillet 1940 :  » Le duc de Windsor était l’un des Anglais les plus avertis qu’il ait rencontrés, l’esprit ouvert aux questions sociales et possédant les idées les plus saines qui soient. Voilà précisément ce qui avait déplu à la clique gouvernementale ; l’histoire du mariage avait procuré un excellent prétexte pour mettre à l’écart cet ami loyal et fidèle de l’Allemagne. Toutes les questions de tradition et de cérémonial qui avaient été soulevées étaient tout à fait secondaires.  »

En juillet 1936, Charles Lindbergh (à g.) rencontre Hermann Goering, alors commandant en chef de la Luftwaffe.
En juillet 1936, Charles Lindbergh (à g.) rencontre Hermann Goering, alors commandant en chef de la Luftwaffe.© BETTMANN/GETTY IMAGES

Charles Lindbergh, pionnier américain de l’aviation

Aux Etats-Unis, les Juifs sont effarés par la visite qu’effectue ce héros national en Allemagne nazie, où leurs coreligionnaires sont ostracisés depuis la promulgation des lois raciales de Nuremberg en septembre 1935. Par sa seule présence, l’aviateur semble apporter une caution au régime et à ses persécutions. […]

Dans ce Journal(NDLR : Journal du temps de guerre, paru en 1970), Lindbergh, que son éditeur présente comme un  » observateur  » avant le conflit, devenu, à dater de septembre 1939,  » une figure de proue de la politique isolationniste (NDLR : américaine) « , ne dissimule pas ses prises de position :  » Je ne peux m’empêcher d’aimer les Allemands « , note-t-il par exemple à la date du 16 mars 1938, tandis que vient de se dérouler l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne.  » Ils ressemblent à nos gens. Nous devrions collaborer avec eux et non croiser l’épée. Si nous nous battons, nos pays n’arriveront qu’à perdre leurs meilleurs hommes. Nous n’y gagnerons rien.  » […]

Le 13 novembre (1938), séjournant en Bretagne où il retrouve Mme Carrel, il est choqué par la lecture du Times (anglais), qui détaille les persécutions dont sont victimes les Juifs en Allemagne nazie : le pogrom de la Nuit de cristal a eu lieu dans la nuit du 9 novembre. Il observe :  » [Les Allemands] ont indiscutablement un problème juif difficile à résoudre « , mais ne comprend pas pourquoi ils recourent à des  » émeutes « , car elles lui paraissent  » contredire leur sens de l’ordre « . […]

Comment cet explorateur des tréfonds du psychisme humain s’est-il tourné vers le nazisme ?

Relevons cependant qu’aux dires de Henry Ford, qui fera appel à l’aviateur en tant que conseiller en matière d’aviation civile et militaire au cours de la Seconde Guerre mondiale,  » quand Charles vient ici [à Dearborn], on ne parle que des Juifs « . Lindbergh observe pour sa part :  » Un petit nombre de Juifs ajoute force et caractère à un pays, mais un trop grand nombre crée le chaos.  » […]

En 1940, l’aviateur se fait le porte-parole officiel du comité America First (L’Amérique d’abord), militant en faveur de l’isolationnisme et prenant le Président pour cible. Le mouvement prend rapidement une ampleur considérable, recrutant jusqu’à 800 000 membres. Lindbergh, lors de ses meetings à travers le pays, s’adresse à des millions d’auditeurs. Roosevelt, lui, à dater du 5 octobre 1939, entre en contact téléphonique direct avec Churchill, court-circuitant les procédures diplomatiques.

Lindbergh, pendant ce temps, hausse le ton, mettant clairement en cause les Juifs. Il déclare par exemple sur les ondes de CBS, en avril 1940 :  » Le seul facteur qui nous pousse à entrer dans le conflit, c’est que des éléments puissants en Amérique souhaitent que nous nous y engagions. Ils ne représentent qu’une petite minorité d’Américains, mais ils contrôlent les rouages de l’influence et la propagande. Ils ne manquent pas une occasion de nous pousser au bord du gouffre.  »

Knut Hamsun (à g.) salue Otto Dietrich, le chef du service de presse du Reich lors d'un congrès de journalistes à Vienne en 1943.
Knut Hamsun (à g.) salue Otto Dietrich, le chef du service de presse du Reich lors d’un congrès de journalistes à Vienne en 1943.© SUDDEUTSCHE ZEITUNG/RUE DES ARCHIVES

Knut Hamsun, prix Nobel norvégien de littérature

Le personnage du vagabond sans attache (NDLR : héros de son livre Mystères, paru en 1892) annonce tant la Beat Generation américaine (Sur la route de Jack Kerouac paraîtra en 1957) que le troublant Théorème de Pier Paolo Pasolini (1968), un film où un étrange visiteur bouleverse l’équilibre d’une famille. L’audace et la novation des romans d’Hamsun lui valent une reconnaissance internationale et, en 1920, le prix Nobel de littérature.

Comment cet homme singulier, cet explorateur des tréfonds du psychisme humain, sans doute l’un des plus grands écrivains du siècle finissant et du début du sanglant siècle s’est-il tourné vers le nazisme et Hitler ?

Il semble que le Führer incarne à ses yeux ces  » puissantes révoltes d’individualités capables de faire soudainement avancer l’humanité pour plusieurs générations  » qu’il appelle de ses voeux dès 1899, dans un bref essai intitulé De la vie intellectuelle de l’Amérique moderne, après avoir vécu un temps en exil aux Etats-Unis (de février 1882 à juillet 1884).

A l’été 1932, il vitupère :  » Mais que se passe-t-il donc dans notre pays ? La brutalité et le laxisme sont partout présents, favorisant la violence, l’illégalité, la révolution. Et nous ne sommes pas confrontés à une agitation éphémère, il s’agit en fait d’un plan mûrement réfléchi qui vise à anéantir la vie, la loi et le droit. Ici, c’est la police, la gardienne de notre société, que l’on démembre. Là, ce sont des bandes qui interdisent aux gens de travailler. Les uns sortent le couteau, les autres font le coup de feu. Violence, illégalité, révolution. Je replie mon quotidien du jour dans l’attente de nouveaux débordements qui me seront annoncés demain. Est-ce que vraiment je vis en Norvège ?  »

Les troubles sociaux qui se font jour dans toute l’Europe, à la suite de la grande crise financière de 1929, troubles attisés en sous-main par l’URSS de Staline, irritent profondément l’écrivain devenu célèbre. Il s’est depuis peu rapproché de Vidkun Quisling, ex-capitaine et ex- ministre de la Défense, qui forme en mai 1933 son propre parti, le Nasjonal Samling ( » Rassemblement national « ). A en croire l’écrivain, seul cet homme, qui s’inspire du fascisme de Mussolini et du national-socialisme hitlérien, est à même de redresser le pays.

Ils admiraient Hitler. Portraits de 12 disciples du dictateur, par Arnaud de la Croix, éd. Racine, 160 p.

Les intertitres sont de la rédaction.

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