Pour Ivan Duque, Nicolas Maduro cherche à déstabiliser la Colombie. © N. GALEANO/SDP

Pour le président colombien Ivan Duque, « Nicolas Maduro doit être arrêté et jugé »

Le Vif

Ivan Duque, président de la Colombie, ne mâche pas ses mots à l’égard de son voisin et homologue vénézuélien. Interview.

Largement élu voilà un an, le chef d’Etat conservateur Ivan Duque, 42 ans, affronte plusieurs défis : la crise migratoire vénézuélienne, un nouveau boom de la cocaïne, la mise en oeuvre de l’accord de paix avec la guérilla des Farc, récemment démobilisée. Rencontre à l’occasion de sa visite en France.

Avec plus de 2 000 kilomètres de frontière commune, la Colombie est le principal voisin du Venezuela. Comment se passent les relations ?

C’est comme d’habiter un appartement dont le voisin de palier frappe sa femme et ses enfants tous les soirs. Et d’entendre leurs cris et leurs pleurs à travers le mur mitoyen. Notre devoir moral, c’est de dénoncer au monde ce voisin de palier nommé Nicolas Maduro et de ne pas nous conduire comme ceux qui continuent de le saluer chaque matin comme si de rien n’était. Voilà pourquoi, avec d’autres députés, j’ai déposé plainte contre lui devant la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye, en 2017. Il faut accroître la pression internationale afin de le pousser à quitter le pouvoir. J’espère qu’un jour prochain la CPI ouvrira une enquête et que le dictateur sera arrêté, jugé et condamné.

Comment l’afflux d’au moins 1,3 million de Vénézuéliens affecte-t-il la société colombienne ?

Un exemple parmi 100 : l’année dernière, nous avons recensé 400 cas de rougeole, alors que cette maladie avait été éradiquée en Colombie. La raison ? La vaccination contre la rougeole a cessé au Venezuela, voilà plusieurs années. L’exode vénézuélien impacte nos systèmes de santé et d’éducation, le marché de l’emploi, etc. Mais notre politique d’immigration est fondée sur la fraternité, pas sur la xénophobie. Fermer les frontières ou exiger des visas ne ferait qu’encourager les réseaux d’immigration illégale.

En février dernier, vous avez affirmé : « Les heures de Nicolas Maduro sont comptées. » Or, il est toujours là…

On m’a reproché d’avoir employé le mot  » heures « . J’aurais peut-être dû dire  » jours  » ou  » semaines  » ou  » mois « . Reste que, voilà six mois, Maduro se sentait infaillible. Aujourd’hui, il dort mal. 54 pays le considèrent comme un usurpateur et reconnaissent Juan Guaido comme seul président légitime. Il ne contrôle plus les forces armées, traversées par des divisions profondes. Plusieurs officiers supérieurs ont fait défection ou soutiennent Guaido.

Une négociation avec Maduro, toujours soutenu par la Russie, Cuba et la Chine, est-elle possible ?

Le préalable à la négociation, c’est son départ, la fin de l’usurpation du pouvoir et la fin de la dictature. Ensuite, il faudra installer un gouvernement de transition très largement représentatif de la société vénézuélienne et organiser des élections libres.

Quelle différence entre feu Hugo Chavez et son successeur, Maduro ?

Le premier a subverti les institutions démocratiques de l’intérieur pour instaurer une  » démocrature « . Le second a hérité de cette structure et l’a renforcée. La seule différence, c’est que Chavez était un dictateur joyeux.

L’intelligentsia européenne n’est-elle pas trop discrète sur le sujet du Venezuela ?

Il serait inconsistant pour un libre-penseur d’avoir la moindre sympathie pour une dictature, qui est la principale antithèse du libéralisme, au sens philosophique du mot. A d’autres époques, des intellectuels européens, mus par des convictions, ont su créer des grands mouvements contre les dictatures latino-américaines. Aujourd’hui, ils sont absents.

Maduro espère-t-il que l’exode vénézuélien déstabilise la Colombie ?

Il cherche la déstabilisation, c’est certain, mais plutôt par d’autres moyens. Par exemple, il protège et parraine des organisations terroristes colombiennes qui ont trouvé refuge au Venezuela, hors de notre portée. C’est là que se trouvent notamment des chefs guérilleros de l’Armée de libération nationale, comme Antonio Garcia et  » Pablito « , ainsi que des commandants de la dissidence des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc). Tout cela, en violation de la résolution 1 373 du Conseil de sécurité des Nations unies, qui oblige les Etats à lutter contre les organisations terroristes.

Plus de trois millions de Vénézuéliens ont fui leur pays depuis 2015.
Plus de trois millions de Vénézuéliens ont fui leur pays depuis 2015.© J. P. BAYONA/REUTERS

L’Amérique latine est le continent du populisme par excellence, incarné par Juan Peron ou Hugo Chavez. Quelle est votre définition de cet « art » politique ?

Rappelons que le populisme trouve ses racines en Europe… En Amérique latine, le clivage se situe entre  » démagogues  » et  » pédagogues « . Les démagogues vendent de l’espoir et gouvernent à l’applaudimètre, tandis que les pédagogues veulent transformer la société de façon rationnelle. Ils ont le sens des responsabilités fiscales et le désir de réussir économiquement en s’appuyant sur la classe moyenne, qu’ils veulent développer.

Qui sont ces « pédagogues » ?

On les trouve en Equateur, au Pérou, en Argentine, au Chili, au Paraguay et aussi, cela va vous étonner, au Brésil. Des gens comme le ministre des Finances ou le président de la Banque centrale du Brésil veulent y rééquilibrer les comptes publics, ouvrir le marché aux investisseurs, diversifier l’économie, trouver une solution au vieux problème du financement des retraites. Avec le président Jair Bolsonaro, je partage l’idée que la sécurité est une valeur démocratique essentielle : elle est la condition indispensable à l’entrepreneuriat et au progrès économique.

L’accord de paix signé en 2016 avec la guérilla des Farc est peut-être imparfait, mais il a le mérite d’exister. Pourquoi voulez-vous l’amender ?

J’ai toujours dit qu’il faudrait modifier ce qui, dans sa mise en oeuvre pratique, fonctionne mal. Il y va de la crédibilité de ce processus, sans quoi les Colombiens n’y adhéreront pas. Afin de respecter l’esprit de réconciliation nationale, il est vital que les dirigeants des Farc devenus parlementaires (dix sièges leur sont automatiquement réservés au Congrès en vertu de l’accord de paix) n’utilisent pas leur position dans le seul but de bénéficier de l’immunité parlementaire. Au contraire, ils doivent dire la vérité sur les crimes contre l’humanité qu’ils ont éventuellement commis. Le cas échéant, à charge pour les Farc de leur trouver des remplaçants au Congrès…

La production de cocaïne en Colombie bat des records. Pourquoi ?

Sous mon prédécesseur (Juan Manuel Santos, 2010-2018), la superficie des champs de coca est passée de 70 000 à 209 000 hectares. C’est soit de la complaisance, soit de l’inefficacité. De plus, de 2010 à 2018, les groupes d’éradication manuelle des cultures illicites sont passés de 100 à 23. Aujourd’hui, nous sommes revenus à 100. En outre, nous avons rétabli les vols de fumigation (supprimés sous le gouvernement précédent) au-dessus des zones inaccessibles et protégées par des mines antipersonnel. Je suis ravi que le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, ait reconnu, l’autre jour, que les saisies et éradications effectuées par nos soins avaient augmenté de 50 %.

Votre popularité baisse et 60 % des Colombiens se déclarent aujourd’hui mécontents…

Je comprends leur frustration, mais je gouverne sur la base de la victoire électorale la plus large de l’histoire colombienne. Et je fais ce que j’ai dit durant ma campagne. N’oublions pas qu’en Amérique latine il y a eu des présidents très populaires, comme Hugo Chavez, qui ont ruiné leur pays. Ce qui m’importe, ce ne sont pas les applaudissements, mais de laisser la Colombie en bon état à la fin de mon mandat, en 2022.

Par Axel Gyldén.

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