Gérald Papy

Poker menteur à Athènes

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La Grèce a donné naissance à tant de philosophes et l’Europe s’est nourrie de tant de leurs pensées qu’il était raisonnable d’imaginer qu’Athènes et ses créanciers nous épargneraient in fine le cortège de bassesses, de tromperies et d’égoïsmes qu’ils donnent à voir depuis une semaine.

L’engrenage infernal de la plongée vers un Grexit a pourtant eu lieu. Et le référendum auquel le Premier ministre Alexis Tsipras invite ses concitoyens, ce dimanche 5 juillet, ne va pas nécessairement conduire à la clarification souhaitée.

Car c’est bien à un gigantesque jeu de poker menteur que se livrent les protagonistes du dossier. Alexis Tsipras a dégainé l’arme de la consultation populaire en pleines négociations ; il les a sabotées. Mais il est désormais prêt à les reprendre au lendemain de la sanction populaire, fort, croit-il, d’un mandat pour amender le programme esquissé. Pour le gouvernement grec, le référendum porte sur celui-ci, pourtant retiré de la table de discussion. L’Union européenne, elle, y voit un plébiscite pour ou contre le maintien de la Grèce dans la zone euro. De quelle menace, des mesures d’austérité qui ne seront pas indolores ou d’un Grexit qui accroîtra la paupérisation du pays, l’électeur voudra-t-il le plus se préserver ?

En termes de travestissement de la réalité, les créanciers de la Grèce ne sont pas en reste. Le Fonds monétaire international consentirait à une réduction de la dette grecque parce qu’il admettrait sans l’admettre que ses recettes d’austérité antérieures ont freiné une croissance pourtant cruciale. Les Européens reconnaissent le sérieux des dernières propositions d’Athènes, et implicitement l’énorme chemin parcouru par le gouvernement à dominante Syriza. Mais ils rechignent à donner du temps au temps pour les considérer avec la rigueur voulue.

Les Grecs eux-mêmes, une partie en tout cas, refusent de reconnaître la réalité. Face aux humiliations, tantôt avérées tantôt instrumentalisées, le besoin de recouvrer une certaine fierté est légitime et noble. Il ne doit cependant pas exonérer d’admettre ses lacunes et de tenter de les surmonter. Est-ce la marque d’un pouvoir arbitraire ou méprisant, dans le chef de l’Union européenne, de prôner que la Grèce se dote enfin d’une administration des impôts et d’un cadastre immobilier performants, piliers d’un Etat de droit ?

Dans le dossier grec, l’Union européenne apparaît insensible aux préoccupations d’une partie de ses citoyens

Ce poker menteur, en toutes hypothèses, ne sert pas la démocratie. Alors que les urgences grecques devraient transcender le clivage gauche-droite, le référendum de dimanche va diviser plus que fédérer la société. Alexis Tsipras n’est pas sûr d’en sortir gagnant; ses tentatives de rabibochage de dernière minute en font la démonstration. L’Union européenne montre de son côté les limites de son fonctionnement démocratique. Déjà vilipendée pour des décisions jugées arbitraires et appliquées par des responsables non élus, elle apparaît, à tort ou à raison, insensible aux préoccupations d’une partie de ses citoyens et, pour la première fois, sur le point de se révéler incapable de dégager un consensus sur un dossier d’envergure.

La réalité grecque, héritage de gouvernements irresponsables de gauche et de droite, est pour le moins spécifique. Et les dirigeants européens ne manqueront pas de se retrancher derrière cette « anomalie » pour minimiser, le cas échéant, l’impact d’un Grexit. Mais affaiblie, l’Union européenne en sortira moribonde. Mise en difficulté par la crise bancaire et par le défi de la dette publique, incohérente dans sa gestion de la problématique des réfugiés, impuissante face au fléau du terrorisme, où l’Union européenne trouvera-t-elle les assises pour fonder le renouveau dont elle a tant besoin ?

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