© E. CONTINI/NURPHOTO/AFP - K. NIETFELD/DPA/AFP-G. FISCHER/DPA/AFP

Petry, Weidel, von Storch : le trio de l’extrême droite allemande

Le Vif

Trois figures féminines ont joué un rôle déterminant dans l’ascension du parti populiste de droite allemand, l’AfD. Portrait de groupe.

Frauke Petry, cofondatrice démissionnaire, Alice Weidel, représentante de l’aile islamophobe, et Beatrix von Storch, la fondamentaliste chrétienne. Elles sont trois à avoir joué ou à détenir encore un rôle de premier plan dans le petit parti d’extrême droite, l’AfD (Alternative für Deutschland), entré avec fracas au Bundestag le mardi 24 octobre (92 députés), mais aujourd’hui sur le point d’imploser. Les carrières de ces trois égéries sont d’autant plus exemplaires que l’AfD est avant tout un mouvement d’hommes. Son électeur type est un homme blanc, issu des classes moyennes, sensible au discours viril de reprise en main du pays. Ce parti est né en février 2013, dans l’ouest du pays. Ses mots d’ordre : non à l’euro, non au diktat de Bruxelles, oui à une immigration contrôlée, susceptible de répondre aux seuls besoins de l’industrie… Un professeur en économie, Bernd Lucke, et un ancien patron des patrons allemands, Hans-Olaf Henkel, font partie des parrains. Petry figure parmi les membres fondateurs. Les premiers adhérents portent alors pull en cachemire et chaussures cirées, ils sont recrutés parmi le petit patronat et les professions libérales de l’ouest de l’Allemagne. Le succès est fulgurant. En août 2014, Frauke Petry est élue au parlement régional de Saxe, en ex-RDA. Sa victoire marque le début du schisme. Dans l’est du pays, la rhétorique anti-euro prend mollement. Un autre thème s’annonce plus juteux : l’immigration. Petry flirte alors avec le mouvement anti-islam de Dresde, Pegida. Puis arrive la crise des réfugiés, pain bénit pour le courant Petry au sein de l’AfD. En juillet 2015, c’est le putsch. La branche conservatrice nationaliste qu’elle incarne s’impose face aux  » modérés « .

Longtemps, Frauke Petry a été le visage emblématique de ce drôle de parti. Mais, à 42 ans, elle a changé de cap : elle vient de claquer la porte de la formation, après être entrée au Bundestag par un mandat direct obtenu dans le Land de Saxe – où l’AfD a réalisé son meilleur score avec 27 % des voix, le 24 septembre. Avec sondeuxième mari, Marcus Pretzell, elle vient de fonder le Parti bleu, qui se veut plus à droite que la CDU d’Angela Merkel et à même de former des alliances avec les conservateurs allemands. Le départ de Petry signe ainsi l’échec de sa tentative de dédiaboliser l’AfD.

Cette fille de l’Est à l’allure juvénile, coupe à la garçonne, a grandi entre deux systèmes. Elle vit d’abord à Dresde ; elle a 14 ans lorsque son père profite d’un voyage d’affaires pour fuir à l’Ouest. Mère et fille feront de même à la chute du Mur. La famille s’installe alors dans la Ruhr. A l’école, Frauke est toujours la meilleure. Elle épousera le deuxième de sa classe, Sven Petry, pasteur protestant et père de quatre de ses cinq enfants. Son itinéraire politique se caractérise par le fait qu’elle a plusieurs fois retourné sa veste : favorable aux quotas féminins, elle les condamne aujourd’hui ; opposée à l’intervention de l’Etat en économie, elle a profité des soutiens publics pour fonder sa PME ; d’abord engagée sur la question de la famille, elle n’aborde plus ce sujet depuis qu’elle a quitté, en 2015, son pasteur de mari pour Marcus Pretzell, rencontré au sein du parti. Critique envers Marine Le Pen, elle a su réunir autour d’elle, au printemps, les dirigeants d’extrême droite européens.

Des cybermilitants du mouvement mondialiste Avaaz dénoncent, en avril dernier, les
Des cybermilitants du mouvement mondialiste Avaaz dénoncent, en avril dernier, les « racistes déguisés en agneaux » qui dominent le parti AfD.© W. RATTAY/REUTERS

Apôtre des valeurs familiales

Frauke Petry n’aura conservé le pouvoir que brièvement. Calculatrice, individualiste, la cheffe s’est rapidement mis à dos la plupart des cadres du parti. L’ultraprotestante Beatrix von Storch, par exemple. A 46 ans, Storch, née duchesse d’Oldenburg, incarne la fraction réactionnaire de l’AfD. Farouche opposante au mariage gay, à la contraception, à l’IVG, à la théorie des genres et à l’éducation sexuelle à l’école, cette avocate de formation, sans enfant, se pose en apôtre des valeurs familiales. Elue du Parlement européen, petite-fille d’un ministre des Finances de Hitler, mariée à Sven von Storch, héritier d’un propriétaire terrien spolié de ses biens par la RDA, elle a fondé avec son mari une demi-douzaine d’associations ou sites Internet aux titres évocateurs tels qu’Alliance pour l’Etat de droit, La démocratie directe, un droit citoyen, ou Initiative pour la protection de la famille. A plusieurs reprises, le fisc a enquêté sur le couple, accusé notamment d’avoir détourné des dons destinés à leurs associations. La rupture entre Frauke Petry et Beatrix von Storch remonte en fait à l’été 2015, lorsque Storch se dit favorable à l’usage des armes par la police contre les réfugiés,  » y compris contre les femmes et les enfants « , pour protéger les frontières. Loyale, Beatrix von Storch avait tenté par cette sortie de soutenir Petry empêtrée dans des déclarations malencontreuses sur les réfugiés, pour être finalement lâchée par la cheffe et lynchée par la presse. Depuis, le contact est rompu entre les deux femmes.

L’échec de Frauke Petry à brider les dérives extrémistes au sein de son parti va compliquer un peu plus la tâche d’Alice Weidel, 38 ans, le nouveau visage féminin de l’AfD. Coprésidente avec Alexander Gauland du groupe parlementaire que constituent les 92 députés AfD du Bundestag, Weidel représente l’aile dite  » islamophobe respectable « . Coiffure et tailleurs stricts, double diplôme en économie, courte carrière chez Goldman Sachs, séjour en Chine, maîtrise du mandarin et engagement dans le parti libéral FDP avant de rejoindre l’AfD… Son parcours ne cesse d’interroger en Allemagne, où la presse souligne les nombreuses contradictions de son curriculum vitae. Homosexuelle déclarée, Alice Weidel élève deux fils avec sa compagne d’origine sri-lankaise. Cette farouche opposante à l’accueil des réfugiés aurait, selon le magazine Der Spiegel, employé au noir une réfugiée syrienne dans son domicile suisse. Alice Weidel veut déférer Angela Merkel devant la justice pour sa politique d’accueil des réfugiés et multiplie les déclarations hostiles à l’islam. La compétition féroce entre les ambitions féminines ne fait que participer au durcissement de la ligne idéologique d’un parti qui reste une inconnue dans la vie politique de la République fédérale.

Par Nathalie Versieux.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire