© REUTERS/Hamad I Mohammed

Pas de printemps pour Bahreïn

Alors que plusieurs pays arabes avancent peu ou prou sur la voie des réformes, Bahreïn a choisi la régression en réprimant durement les manifestations et en faisant interdire le principal parti d’opposition.

Dans un premier temps, la révolte populaire qui a secoué Bahreïn en février-mars a ressemblé à celles en cours en Tunisie ou en Egypte. Mais alors que ces derniers ont vu fleurir les premiers bourgeons du « Printemps arabe », c’est une glaciation qui tombe sur le petit royaume du Golfe. La contestation est peu à peu étouffée et les quelques longueurs d’avance qu’avaient le régime en matière d’ouverture politique sur ses très archaïques voisins de la péninsule arabique sont menacées.

Morts en détention

Un mois après la dispersion brutale des manifestants qui occupaient la place de la Perle à Manama, la capitale, la répression est implacable. Et l’organisation de défense des droits de l’Homme Human Rights Watch a dénoncé mercredi la mort suspecte de droits nouveaux détenus: Ali Isa Ibrahim Saqer, 31 ans, Zakaria Rashid Hassan al-Asherri, un blogueur de 40 ans, et Hassan Jassim Mohammed Maki, 30 ans.

L’opposition chiite avait déjà annoncé mardi la mort d’un autre détenu, l’homme d’affaires Karim Fakhrawi, « mort dans des circonstances mystérieuses en prison », selon Al-Wifaq, le principal groupe d’opposition, dont il était membre. Karim Fakhrawi, arrêté le 3 avril, était alors la quatrième personne à succomber dans les prisons bahreïnies depuis l’écrasement, à la mi-mars, du mouvement de contestation, selon l’opposition.

Vers l’interdiction du principal parti d’opposition

Les autorités de Bahreïn ont par ailleurs annoncé ce jeudi qu’elles allaient engager une action en justice pour dissoudre les deux mouvements de l’opposition chiite, al-Wifaq et l’association de l’Action islamique, un groupe radical. Ils sont accusés d’avoir mené des « activités qui ont nui à la paix civile et à l’unité nationale » et « incité au non respect des institutions », selon le ministère de la Justice et des Affaires islamiques.

Al-Wifaq était le principal groupe de l’opposition au Parlement où il contrôlait 18 des 40 sièges. Il avait, durant les manifestations de la mi-février à la mi-mars, demandé des réformes politiques pour transformer Bahreïn en une véritable monarchie constitutionnelle. Les chefs de ce groupe, dont les députés ont présenté leur démission en bloc durant les troubles, n’ont jamais appelé publiquement au départ de la famille des Al-Khalifa.

Arrestations, intimidation des médias et jusque dans les hôpitaux…

Après des semaines de manifestations, la famille régnante Al Khalifa, de confession sunnite, qui règne sur un pays comprenant 70% de chiites, a décrété la loi martiale et obtenu le soutien des troupes saoudiennes pour mettre fin, le 16 mars, au mouvement de contestation de manifestants majoritairement chiites. Les arrestations d’opposants et de blogueurs se sont alors multipliées dans l’île où près de 400 personnes ont été placées en détention et plusieurs dizaines d’autres sont portées disparues, selon l’opposition. Le Centre bahreïni des Droits de l’Homme évalue lui le nombre de détenus à 600.

Même les hôpitaux font l’objet de la surveillance des forces de sécurité comme le raconte un reportage du New York Times. « Au moins une douzaine de médecins et d’infirmières ont été arrêtes et maintenus en détention au cours du mois écoulé, et plusieurs membres du personnel médical ou ambulanciers sont portés disparus ». Leur tort? Avoir soigné des manifestants. Il s’agit aussi de décourager de futurs contestataires. Le quotidien explique également que « les forces de sécurité ont installé de nombreux barrages dans l’île où ils contrôlent les conducteurs et leurs passagers, cherchant des marques de blessures par balles ou d’ecchymose, fréquentes chez les manifestants qui ont été confrontés aux forces de police. »

Les intimidations de l’opposition portent aussi sur les médias. HRW dénonce l’acharnement du régime contre le journal Al Wasat et son directeur de la rédaction Mansoor al-Jamri. Suspendu, le quotidien proche de l’opposition, est poursuivi en justice pour « diffusion de fausses nouvelles » pendant la contestation.

Le blog Printemps arabe évoque une lettre adressée à Barack Obama par une jeune blogueuse de Bahreïn, Zainab al-Khawaja, dont le père, Abdoulhadi Al-Khawaja, président du Centre bahreïni des droits de l’homme, a été arrêté par les forces de sécurité le 9 avril dans la nuit au domicile de la jeune femme, en même temps que son mari et son beau-frère.

Le voisin saoudien…

Les contestataires ne demandaient pas la chute du régime mais une monarchie constitutionnelle, plus de justice sociale et d’égalité. Mais les Bahreïnis ont la malchance de se trouver beaucoup trop près de l’Arabie saoudite qui craignait que la revendication démocratique ne fasse tache d’huile. C’est pourquoi ils ont dépêché sur place, le 13 mars, un millier de soldats.

… et la timidité d’Al Jazeera

Beaucoup d’observateurs ont relevé une différence de couverture des événements de Bahreïn par la chaîne Qatarie Al Jazeera avec ceux de Tunisie ou d’Egypte ou elle a constitué un des ferments des révoltes. L’explication tient moins dans le clivage doctrinal entre sunnites et chiites souvent avancé, que dans les « pressions insoutenables que l’Arabie Saoudite exercerait sur les autorités qataries pour leur signifier que la chute de la famille al-Khalifa constitue une ligne rouge à ne pas franchir » estime Mohammed El Oifi, maître de conférence à Science Po, sur Rue89.

Le faux prétexte confessionnel

« Ce sont les éléments les plus réactionnaires dans la famille royale qui ont à la fois utilisé la violence en faisant tuer des manifestants pacifiques et avivé le caractère confessionnel du conflit », explique Alain Gresh sur son blog Nouvelles d’Orient. Et il cite la tribune de cheikh Abdalatif Al-Mahmoud, le leader d’un petit parti sunnite, publiée dans Al-Sharq Al-Awsat, pour qui « les chiites avaient un plan pour s’emparer du pouvoir et organiser un coup d’Etat. Il divise les chiites bahreinis en trois catégories: ceux qui travaillent avec l’Iran, ceux qui attendent le résultat de la confrontation et ceux qui soutiennent le régime. » « Rarement a-t-on vu quelqu’un dénoncer la majorité de son propre peuple comme des agents de l’étranger », ironise le chroniqueur, qui précise que cette tribune n’a pas été publiée sur le site en anglais du journal.

Catherine Gouëset, L’Express.fr

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