Du palais présidentiel au centre de détention... Madame Park, jugée pour corruption, demande pardon, mais nie tout en bloc. © E. JONES/AFP

Park Geun-Hye, de la présidence de la Corée du Sud à l’incarcération

Le Vif

Destituée en mars dernier, l’ex-présidente de la Corée du Sud gouvernait le pays sous l’emprise d’un gourou. Comme son père avant elle…

Durant les auditions, au tribunal, elle griffonne de petits dessins, les efface, et fabrique de petites boules avec les résidus de gomme. Le soir, lorsqu’elle retourne dans sa cellule 503, au centre de détention de Uiwang, dans la banlieue de Séoul, elle s’assoit, face au mur, et murmure des mots mystérieux. Parfois, elle demande au gardien un plateau-repas… alors qu’elle vient de déjeuner. A quoi joue Park Geun-hye ? Destituée en mars dernier, incarcérée pour  » corruption, abus de pouvoir et extorsion « , l’ex-présidente de la Corée du Sud est-elle malade ou simule-t-elle la folie pour émouvoir les juges ? Depuis plusieurs semaines, psychologues et magistrats s’étripent sur la question, sans la trancher.

Enigmatique Mme Park.  » J’ai toujours su que j’aurais une vie dure « , écrivait-elle, dans son journal, en 1990. Mais elle n’avait certainement pas imaginé une chute aussi brutale… Park Geun-hye est née le 2 février 1952 à Samdeok-dong, dans le centre du pays. Elle vient d’avoir 9 ans lorsque son père, Park Chung-hee, s’empare du pouvoir, à la faveur d’un coup d’Etat. Durant dix-sept ans, cet ancien militaire va diriger le pays d’une main de fer, contraignant la population à d’immenses sacrifices. Les repos hebdomadaires sont bannis, les syndicats interdits. Efforts payants : la Corée du Sud entre dans le club fermé des grandes puissances économiques. En dix ans, son PIB explose. Les chaebols, ces grands conglomérats (Samsung, Hyundai) conquièrent les marchés étrangers. Homme du  » miracle coréen « , Park Chung-hee se fait, toutefois, de nombreux ennemis. Dictateur impitoyable, il n’hésite pas à torturer, et même à tuer ses opposants.

En 1974, il échappe à un attentat, mais sa femme, Yuk Young-soo, est tuée sur le coup. Alors âgée de 22 ans, leur fille Park Geun-hye fait ses études à Grenoble. A la demande de son père, elle rentre à Séoul pour assurer les fonctions de première dame. Mais la Maison-Bleue, le palais présidentiel, se transforme vite en prison dorée. Confrontée à la dureté du pouvoir, Park Geun-hye se referme sur elle-même. Elle n’a pas d’ami, pas d’amant, et ne se confie à personne. Un homme, toutefois, réussit à percer sa carapace : Choi Tae-min.  » Je peux communiquer dans l’au-delà avec votre mère « , lui assure-t-il, lors de leur première rencontre. La solitude rend-elle – à ce point – vulnérable ? L’ancien moine, marié six fois et fondateur d’un mouvement mêlant bouddhisme et chamanisme, gagne sa confiance. Il parvient même à séduire son père, Park Chung-hee. Au fil des mois, l’influence de ce Raspoutine coréen ne cesse de croître, au point de déstabiliser le régime. Le 26 octobre 1979, le chef des services secrets assassine le président Park Chung-hee. Il justifiera son geste par la nécessité de mettre le gourou hors d’état de nuire…

A la barre, le peuple coréen ne voit pas l’ex-dirigeante, mais la fille du dictateur

Après la mort de son père, la jeune orpheline reste très proche de Choi Tae-min.  » Ce pasteur exerçait, selon la rumeur, un contrôle total sur le corps et l’âme de Mme Park « , écrit, en 2007, l’ambassadeur américain à Séoul, dans un câble révélé par WikiLeaks. Park Geun-hye se lie aussi avec l’une de ses filles, Choi Soon-sil. Une relation exclusive, qui ne cessera de se renforcer.  » J’ai eu des moments difficiles, elle a toujours été là pour moi « , expliquera-t-elle plus tard. Choi Soon-sil va, notamment, l’aider à surmonter la crise mystique qu’elle traverse retirée du monde dans les années 1990. Dans ses Mémoires, exhumés par le quotidien The Hankyoreh, elle raconte qu’elle est allée,  » comme Jésus « , chercher très loin les moyens de vaincre ses problèmes…

Et comme le fils de Dieu, Mme Park sort du désert. En 1998, elle est élue députée. Politicienne avisée, elle grimpe les échelons du parti conservateur. Surnommée la  » reine des urnes « , car elle ne perd jamais une élection, elle remporte en 2012 l’investiture pour la présidentielle. Elle promet la justice sociale, plaide pour un environnement propice à l’innovation… Ses idées plaisent. Le 25 février 2013, Park Geun-hye devient la première femme présidente du pays.

Dans l’ombre, une femme jubile : Choi Soon-sil. Depuis longtemps, elle a pris l’ascendant sur Park Geun-hye. Elle va se servir d’elle pour faire fortune. En son nom, elle  » incite  » les dirigeants des chaebols à verser des dons. En tout, près de 65 millions d’euros. En échange, ces grands groupes bénéficient de faveurs – le gouvernement autorise, par exemple, les dirigeants de Samsung à réaliser une mégafusion.

Lorsqu’elle éclate, l’affaire, appelée  » Choigate « , provoque un séisme politique. Les Coréens découvrent, stupéfaits, qu’ils ont élu un pantin à la tête du pays. La vraie patronne, c’est Choi Soon-sil. Elle relit les discours, nomme les fonctionnaires, valide les décisions stratégiques. Rien ne lui échappe, pas même des négociations secrètes avec la Corée du Nord. Comment Park Geun-hye a-t-elle pu, à ce point, se laisser  » coloniser  » ? Solitaire, la présidente sort rarement de son palais. Elle communique par écrit avec ses ministres, dîne seule. Coupée du monde. Lors du naufrage du ferry Sewol, qui a causé la mort de 304 personnes, en avril 2014, elle a mis plus de sept heures à se manifester. Personne, dans cette société confucéenne où l’on prône le respect des aînés, n’avait osé la presser d’intervenir…

Chassée du pouvoir le 10 mars dernier, incarcérée trois semaines plus tard, Park Geun-hye a demandé pardon, mais elle nie toujours les accusations dont elle fait l’objet. Elle sait qu’elle risque gros.  » Il y a, dans ce procès, une part de non-dit, analyse un diplomate occidental. A travers elle, les Coréens cherchent à se venger de son père. A la barre, ils ne voient pas l’ex-présidente, mais la fille du dictateur. Ils ne vont pas lui faire de cadeau…  »

Par Charles Haquet, envoyé spécial à Séoul.

Condamnée à mort par… Pyongyang

La peine capitale « par n’importe quel moyen, n’importe où et par n’importe quelle méthode » : les autorités nord-coréennes ont annoncé, le 28 juin dernier, qu’elles voulaient tuer Park Geun-hye. La raison ? Son rôle présumé dans un projet d’assassinat du dirigeant nord-coréen, Kim Jong-un. A Séoul, on prend la menace au sérieux. Personne n’a oublié le sort de Kim Jong-nam, le demi-frère de Kim Jong-un, tué en février à Kuala Lumpur. Un meurtre attribué aux services secrets nord-coréens.

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