Ahmed Laaouej (PS), président de la commission Panama Papers. © Christophe Licoppe/PHOTO NEWS

Panama Papers: les cartouches de l’opposition

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Une soixantaine d’amendements déposés par les socialistes, une vingtaine par les Ecolos. La commission Panama Papers n’en a pas terminé avec ses recommandations. Un ultime débat, qui s’annonce viril, attend la majorité.

Les Panama Papers constituent la plus grande fuite de données sur des placements offshores de contribuables pratiquant l’évasion, voire la fraude fiscale. Parmi eux, 700 Belges ont été épinglés par l’ICIJ, le consortium international de journalistes qui révèle les leaks. La police fédérale a ensuite identifié 332 structures liées au Panama Papers. Au niveau justice, 41 dossiers ont été ouverts au parquet de Bruxelles, une dizaine au parquet de Gand. Quant à l’ISI (Inspection spéciale des Impôts), elle a ouvert 242 dossiers, dont 173 ont été retenus pour une enquête approfondie. Bref, les Panama Papers, ce n’est pas rien, d’autant que des filiales de banques, établies dans des paradis fiscaux, se sont révélées complices du système mis en place par le désormais célèbre bureau d’avocats Mossack-Fonsca.

Il fallait bien une commission parlementaire pour comprendre ce qui avait dysfonctionné chez nous. En tout, il y a eu 29 réunions, 90 heures d’auditions de tous les services de l’Etat (administration, justice, police, cellules spécialisées…), mais aussi des banques, des avocats, des représentants du secteur diamantaire, de collègues du Parlement européen (qui a aussi lancé une commission parlementaire) et même de deux vice-ministres panaméens de passage à Bruxelles. La commission parlementaire Panama Papers touche à sa fin. Son président, le socialiste Ahmed Laaouej, a veillé, avec un sens aigu du consensualisme, à ce que les débats soient ouverts et sereins. C’était son rôle d’ailleurs. Mais, à l’heure des conclusions, l’ambiance s’électrise. Le calme dévolu à la fonction présidentielle n’est plus de mise.

La majorité a très rapidement annoncé ses conclusions et ses recommandations, adoptées bloc contre bloc, la Suédoise contre l’opposition. L’Ecolo Georges Gilkinet a déjà gratifié ce travail final d’un généreux 6 sur 10 (« pour l’encouragement »), tout en prévoyant une série d’amendements (lire ci-dessous). Le PS et le SP.A, eux, se montrent moins chauds et annoncent pas moins de 60 amendements au texte final, qui ont été présentés à quelques journalistes. Ceux-ci seront discutés lors d’un ultime débat, ce lundi 16 octobre. Débats houleux en vue? Voici dix revendications socialistes qui ont retenu notre attention.

1. Un rôle accru pour la BNB qui supervise les banques

Le texte de la majorité prévoit de renforcer le rôle de supervision de la Banque nationale, notamment en « investissant dans l’expertise fiscal ». Trop flou pour le PS-SP.A qui proposent, plus concrètement, d’engager des experts fiscaux afin d’améliorer cette expertise qui permettra au gendarme financier d’alerter le fisc en cas de détection d’un comportement suspect dans le chef d’une banque. Pour les socialistes, il faut aussi clarifier l’obligation de dénonciation de la BNB.

« Il existait auparavant une circulaire qui conférait ce rôle à l’ex-CBFA, soit l’actuelle FSMA (Autorité des services et marchés financiers), mais ce texte n’a jamais été appliqué ou alors une seule fois, constate Ahmed Laaouej. La BNB, qui est désormais le régulateur des banques, doit veiller effectivement à ce que les banques ne participent pas à des mécanismes internationaux de fraude fiscale. Les banquiers sont venus nous rassurer, durant leurs auditions, en jurant que ces pratiques appartenaient au passé. Nous voulons bien les croire, mais pas sans prévoir une surveillance efficace. »

2. Interdire les relations commerciales avec les paradis fiscaux

C’est simple et catégorique. Un substitut du parquet de Bruxelles l’avait évoqué devant la commission. Paul Gérard, de la section financière, avait plaidé pour l’interdiction générale de conclure des contrats avec des personnes morales établies dans des paradis fiscaux. La majorité a considéré que cela allait trop loin et s’est contentée d’une recommandation vague sur le contrôle du fisc en la matière. Mais, pour les socialistes, la suggestion du procureur est la bonne. Leur proposition: interdire de manière générale les relations commerciales avec des constructions juridiques établies dans des paradis fiscaux, sauf si le bénéficiaire final peut être identifié. Ce qui signifierait alors qu’il ne s’agit pas d’une structure destinée à l’évasion fiscale, mais bien d’une vraie relation commerciale.

3. Levée totale du secret bancaire

La bisbrouille entre CD&V et Open-VLD sur le sujet a déjà fait du bruit. Les deux partis n’interprètent pas de la même manière la recommandation de la majorité permettant qu’une enquête bancaire puisse être réalisée sur un compte dont le titulaire n’est pas connu (ce qui n’était pas le cas jusqu’ici). C’est fin du secret bancaire, s’est réjoui un député CD&V. « Cela ne change rien aux dispositions actuelles », a rétorqué un VLD. Les socialistes, eux, tranchent en proposant d’assouplir davantage la levée du secret bancaire: ils veulent permettre qu’une enquête puisse être exécutée sans qu’il y ait de premiers éléments de suspicion de d’évasion fiscale. Ce qui change fondamentalement les dispositions actuelles…

Le PS et SP.A veulent établir un flux automatique et structurel d’informations sur les revenus financiers des banques vers le fisc, tel que prévu par les recommandations d’instances internationales. « On le fait bien pour les données salariales, de TVA et de pension, relève Peter Vanvelthoven du SP.A. Pourquoi pas pour les revenus financiers? Ce n’est pas parce qu’on est riche qu’on peut avoir davantage de droits en matière de vie privée que le reste de la population. »

4. Pas de transaction pour les fraudes graves

La transaction pénale élargie aux délits financiers et fiscaux a déjà largement fait parler d’elle, en particulier dans le dossier du Kazakhgate. La majorité recommande de ne plus permettre de transaction amiable entre le parquet et les inculpés une fois l’instruction judiciaire clôturée. Les socialistes vont plus loin et souhaitent interdire la transaction dans les cas de fraude grave, en fonction du montant, de la structure utilisée, de la récidive… Cela reste à affiner. Ils proposent aussi un reporting précis des transactions, alors que la majorité suggère une publicité « au moins indirecte » des accords conclus avec le parquet.

5. Indemniser les lanceurs d’alerte

Sans eux, il n’y aurait eu aucun leaks et donc les Panama Papers seraient restés dans les limbes du bureau Mossack-Fonseca. La majorité recommande d’adopter un statut légal pour les lanceurs d’alerte. C’est positif mais peu précis. Les socialistes avancent l’idée d’un système d’indemnisation des lanceurs d’alerte en cas de préjudice subi. Ceux-ci perdent souvent leur boulot et se voient griller au niveau du secteur financier, quand ils ne sont pas poursuivis en justice par la société dont ils ont fait fuité les données. On l’a vu dans le Lux-Leaks, avec le procès retentissant d’Antoine Deltour au Luxembourg. Aux Etats-Unis, les lanceurs d’alerte reçoivent un pourcentage de ce qu’ils permettent au Trésor fédéral de récupérer. La récompense se chiffre parfois en millions de dollars.

6. Pouvoirs élargis pour certains fonctionnaires fiscaux

Le point fait débat au sein même du gouvernement. PS et SP.A souhaitent conférer à une cellule spécialisée de fonctionnaire de l’ISI la qualité d’officier de police judiciaire. Ce qui leur donnerait davantage de pouvoir d’investigation. « Cela se ferait sous l’autorité d’un juge », précise Ahmed Laaouej. Dans son plan contre la fraude, le ministre des Finances Johan Van Overtveldt (NV-A) avait aussi suggéré d’étudier cette possibilité, vu que cela faisait déjà l’objet, en 2009, d’une recommandation de la Commission d’enquête sur la grand fraude fiscale. Mais, au sein de l’équipe Michel 1er, l’Open-VLD ne veut pas en entendre parler. Les socialistes souhaitent également augmenter l’effectif de l’ISI, comme l’a demandé son patron Frank Philipsen, devant la commission Panama Papers.

7. OCDEFO: stop au démantèlement!

Ses enquêteurs se sont vu largement décentraliser par le gouvernement Michel, au début de la législature, suscitant une vive controverse, mais octroyant à la haute hiérarchie de la police fédérale ce que celle-ci n’avait pas obtenu sous le précédent gouvernement. Devant la commission Panama Papers, le très écouté professeur Adrien Masset, pénaliste à l’ULiège et avocat, a loué la « redoutable efficacité » de l’Ocdefo, avisant que cette police spécialisé dans la criminalité financière, devait être « privilégiée de manière centralisée ». C’est ce que réclament les socialistes, pour qui « toute forme de démantèlement n’est pas rentable », alors que l’OCDEFO centralisé a fait ses preuves sur le plan belge et international.

8. Augmenter la capacité de la CTIF

La cellule antiblanchiment (CTIF) est devenue, au fil des années, un acteur incontournable de la lutte contre la fraude fiscale et le blanchiment d’argent. C’est elle qui reçoit les dénonciations, que sont contraints d’effectuer toute une série de professionnels (institutions financières, comptables, avocats…). Elle transmet ensuite les cas qui en valent la peine au parquet. PS et SP.A proposent de revoir les moyens de la CTIF sensiblement à la hausse, avec un budget augmenté de 20%. Ils veulent aussi élargir l’obligation de dénonciation de comportements suspects en matière de blanchiment aux conseillers fiscaux, notamment ceux qui travaillent au sein des Big Four, les quatre grandes sociétés d’audit internationales.

9. La jurisprudence Antigone coulée en loi pour les dossiers fiscaux

Cela fait l’objet d’un long chapitre dans les recommandations. Pour l’expliquer simplement: depuis 2003, la cour de Cassation a développé une jurisprudence qui ne permet plus aux avocats tatillons de mettre fin à un procès pour une question de procédure mineure. Ainsi, même si une preuve a été obtenue de manière irrégulière, le juge peut en tenir compte, pour autant que les droits fondamentaux de la défense ne soient pas violés. Dix ans plus tard, une loi Antigone a été votée pour consacrer cette jurisprudence.

La cour de Cassation s’est également prononcée de la même manière en ce qui concerne les enquêtes fiscales pour qu’une preuve obtenue de manière irrégulière ne soit pas nécessairement déclarée nulle si elle peut être utile pour résoudre de grandes affaires de fraude. L’idée est de couler cette jurisprudence spécifique également en loi. Mais, pour le PS, la majorité se dirige vers un texte qui va en-deçà de ce que dit la haute cour. Elle tente de renverser la charge de la preuve en défaveur de l’administration, ce qui risque de compliquer énormément le travail de l’ISI. Les socialistes veulent que la jurisprudence de la cour de Cassation soit reprise telle quelle dans la loi.

10. Une loi sur la taxe Caïman plus ambitieuse

« C’est le drapeau agité par la majorité pour dire qu’on lutte contre la fraude fiscale, mais cette loi doit être renforcée », assène Ahmed Laaouej. Depuis 2015, cette taxe permet au fisc d’imposer les contribuables belges qui possèdent des constructions étrangères (trusts, fondations…) et ce pour rendre plus difficile la dissimulation de biens patrimoniaux au sein d’une telle construction juridique offshore. Cette « taxe de transparence » est prélevée grâce à une obligation de déclaration que les socialistes veulent étendre aux intermédiaires fiscaux qui conseillent les contribuables fortunés adeptes de ces constructions offshore.

Les amendements d’Ecolo

Le parti Ecolo compte également introduire des amendements, lundi prochain. Une vingtaine. Beaucoup vont dans le même sens que ceux des socialistes: la consolidation des interactions entre la BNB et l’ISI, la protection renforcée des lanceurs d’alerte, l’inscription de la jurisprudence Antigone dans la loi, le statut d’officier de police judiciaire à certains fonctionnaires fiscaux, l’interdiction de la transaction pénale pour les dossiers de grande fraude fiscale… D’autres sont plus personnels aux Verts : la possibilité de racheter des données bancaires à des Etats voisins sous certaines conditions, l’aggravation des sanctions à l’égard des banques et des professionnels du chiffre complices de fraude, la suppression du caractère permanent de la régularisation fiscale, l’augmentation chiffrée des effectifs de l’OCDEFO.

On peut s’étonner que les partis de l’opposition ne se soient pas concertés pour faire un tir nourri commun. « On a vu les dissensions entre CD&V et VLD sur le secret bancaire côté majorité, nous ne voulions pas prendre le risque de devoir nous mettre d’accord sur chaque virgule côté opposition, explique Ahmed Laaouej. Il vaut mieux respecter notre diversité. De toute façon, nos amendements sont ouverts aux signatures d’autres partis. » Rendez-vous le 16…

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