Asia Bibi, de Pakistanaise chrétienne de condition modeste à symbole de la lutte contre l'arbitraire religieux. © ARIF ALI/belgaimage

Pakistan : Asia Bibi, le calvaire d’une chrétienne

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Elle a toujours nié le blasphème contre l’islam dont on l’accusait. Elle raconte dans un livre son combat judiciaire qui est aussi celui des musulmans contre les islamistes.

D’Asia Bibi, on connaît l’histoire. Accusée par des voisines d’avoir le 14 juin 2009, blasphémé contre l’islam, cette chrétienne pakistanaise de condition modeste est arrêtée, condamnée à mort, emprisonnée pendant neuf ans, élevée au rang de symbole planétaire de la résistance à l’arbitraire religieux, acquittée en octobre 2018 et autorisée à se réfugier au Canada sept mois plus tard. Du combat d’Asia Bibi, on découvre tous les enjeux dans le récit qu’elle publie avec la journaliste Anne-Isabelle Tollet sous le titre Enfin libre ! (1). Ils ne relèvent pas simplement de la discrimination des chrétiens au  » pays des purs « , fondé pour accueillir une partie des musulmans de feu l’Empire britannique des Indes. Ils concernent surtout la lutte des démocrates, musulmans et chrétiens, contre le fondamentalisme religieux, en l’occurrence islamiste. Et l’acceptation ou pas d’un droit au blasphème, particulièrement débattu en Europe depuis les attentats contre Charlie Hebdo et ravivé par les propos de la jeune Lyonnaise Mila sur la religion musulmane (lire l’encadré plus bas).

Une loi utilisée pour des règlements de comptes

C’est bien au nom d’une loi qui punit le blasphème au Pakistan qu’Asia Bibi est déférée devant la justice d’une petite localité du Pendjab, au centre-est du pays, un jour torride de l’été 2009. Une voisine qui la jalouse l’accuse de s’être désaltérée avec un gobelet réservé à ses collègues musulmanes lors d’une cueillette de fruits rouges, ce qu’elle ne nie pas. Et d’avoir dans la foulée proféré des injures contre le prophète Mahomet, ce qu’elle dément fermement. Paroles de bonnes citoyennes musulmanes et de l’imam du village contre dénégations d’une chrétienne : le procès, expéditif, la condamne à mort et l’envoie en détention, à l’isolement. Une bataille juridique s’engage. Elle va durer presque dix ans avec, en filigrane, la question de l’instrumentalisation pour régler des litiges privés de la fameuse législation sur le blasphème, instaurée par… l’autorité coloniale britannique en 1860 et renforcée par le général dictateur islamiste Muhammad Zia-ul-Haq (1978-1988).

Faut-il rappeler que la liberté de religion est inscrite dans notre Constitution ?

Le mouvement de solidarité avec Asia Bibi pour obtenir la révision du jugement originel et sa libération ne s’est pas limité à sa famille, à ses amis de même confession ou au ministre chrétien des Minorités Shahbaz Bhatti, qui le paiera de sa vie le 2 mars 2011 dans une attaque attribuée aux talibans pakistanais. Des musulmans aussi se sont mobilisés pour la défendre et fustiger les dérives de la législation antiblasphème. Au cours d’une conférence de presse qu’il tient en présence d’Asia Bibi, sortie pour l’occasion de sa cellule, le gouverneur du Pendjab, Salman Taseer, s’insurge contre  » l’inquiétante montée des islamistes dans notre pays  » :  » Faut-il rappeler que la liberté d’exercer sa religion est inscrite dans notre Constitution ? Nous sommes les héritiers du fondateur de notre pays, Ali Jinnah […] qui l’a édifié en 1947 en inscrivant cela dans la Constitution « . Salman Taseer sera, lui aussi, assassiné le 29 février 2016 par un de ses gardes du corps, Mumtaz Qadri, élevé depuis au rang de héros par une frange des Pakistanais.

(1) Enfin libre !, par Asia Bibi, avec Anne-Isabelle Tollet, éd. du Rocher, 210 p.
(1) Enfin libre !, par Asia Bibi, avec Anne-Isabelle Tollet, éd. du Rocher, 210 p.

Un pouvoir sous influence des islamistes

Les islamistes,  » tout le monde les craint, même les ministres et le président « , écrit Asia Bibi dans Enfin libre !.  » Ils ne sont pas représentatifs, d’ailleurs on n’en croise pas à tous les coins de rue, mais ils dictent leur volonté au Parlement.  » Cette influence sur la politique pakistanaise explique la marge de manoeuvre étroite de ses soutiens pour disculper Asia Bibi.  » Cette mobilisation internationale que je suscitais, ici ou là, confie la journaliste Anne-Isabelle Tollet qui fut vigile de son combat à l’étranger, risquait aussi d’être contre-productive parce que ça renforçait les préjugés des islamistes qui pensent que vous, les chrétiens, vous êtes des agents de l’Occident qui font la guerre à l’islam, ce qui n’est évidemment pas vrai. D’un autre côté, j’avais aussi très peur qu’ils te laissent mourir à petit feu si je laissais passer le temps…  »

L’accession au poste de Premier ministre du modéré Imran Khan, qui permit une enquête en révision de son procès, la fragilité des accusations à son encontre, et le sursaut d’indépendance de la justice malgré la pression des mollahs se conjuguèrent en 2018 pour délivrer Asia Bibi de la réclusion et des mauvais traitements, pas de l’opprobre public. Une sorte de miracle dans un pays où à l’arbitraire répond souvent l’impunité par la puissance de la pression sociale.  » Sais-tu combien de personnes accusées de blasphème sont lapidées sur-le-champ sans autre forme de procès ?  » lui assène Anne-Isabelle Tollet pour la motiver à ne pas abandonner la lutte.  » Les lois sur le blasphème au Pakistan sont trop larges, vagues et coercitives « , juge Amnesty International. Une quarantaine de personnes croupiraient en prison après avoir été condamnées à mort pour cette prévention. La plupart sont musulmanes.

Etonnante parité en France

Le droit au blasphème fait débat en France. D’après un sondage de l’institut Ipsos pour l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, 33 % des Français sont  » plutôt pas favorables  » à la loi de juillet 1881 sur la liberté de la presse qui autorise l’expression de critiques, y compris outrageantes, à l’encontre d’une croyance, et 17 % n’y sont  » pas du tout favorables « , soit 50 % qui ne verraient sans doute pas d’un mauvais oeil une pénalisation du blasphème. L’autre France, elle, se répartit entre 29 % de sondés  » plutôt favorables  » à la loi en vigueur et 21 % qui y sont  » tout à fait favorables « . Cette enquête a été menée dans la foulée des insultes et menaces de mort dont a été l’objet une Lyonnaise de 16 ans, Mila, qui avait qualifié l’islam de  » religion de haine  » sur Instagram.

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