Jonathan Dehoust

Oser redessiner l’Europe au 21e siècle

Jonathan Dehoust Etudiant en sciences politiques à l'UCL

« Souverainisme » et « indépendantisme » sont deux mots que l’on ne doit pas prononcer. Quiconque tient un iota de discours à tendance indépendantiste est traité, par les idéologues du débat public, de fasciste, terme par excellence discréditant.

Enfant, mes parents m’ont appris à ne proférer aucune insulte à l’égard d’autrui. Il y avait une série de mots qui ne pouvaient être prononcés qu’une fois adulte – et là encore, dans certaines situations, et avec la volonté sincère d’une modération dans les propos tenus. J’intériorisai ainsi rapidement l’existence de mots interdits dans une langue que j’apprenais à maîtriser et c’était pour moi le premier apprentissage d’une autocensure à mener dans le cadre d’une conformité aux normes sociétales.

Désormais adulte, je découvre, jour après jour, débat après débat, que la liste de mots que l’on ne doit pas prononcer vient à s’allonger. Et si la sérieuse infraction langagière est commise, elle procure plus le malaise d’une mauvaise caricature qui en serait faite à mon égard que l’excitation d’un interdit bravé.

« Souverainisme » et « indépendantisme » en sont deux parfaits exemples. Revendiquer l’idéal d’autonomie et de pouvoir d’un territoire donné et d’une population donnée en Europe est « la » prohibition politique première. Quiconque tient un iota de discours à tendance indépendantiste est traité, par les idéologues du débat public, de fasciste, terme par excellence discréditant. Et le travail d’appauvrissement de son sens dans le vocabulaire politique au moindre discours politique anticonformiste se complète avec regret.

Parce que pour ces criminalistes de la pensée, être favorable à l’indépendance d’une contrée politique (Flandre, Ecosse, Catalogne, etc.) est un affront au fédéralisme européen que nous vendent, sans trouver une quelconque assise populaire en dehors des classes moyennes et supérieures au capital culturel certain, des Verhofstadt, Cohn-Bendit, Hollande, Merkel, et j’en passe tant la liste est longue. Ceux-là parlent d’union, de solidarité, de force et aussi aveugles qu’ils sont, ils persuadent le peuple européen que cette union, cette solidarité, cette force ne peuvent se faire qu’à travers les institutions eurocratiques et l’abandon progressif de la souveraineté nationale.

Pourtant, la crise gouvernants/gouvernés frappe de plein fouet l’Europe. On ne le répétera jamais assez. Le dialogue des leaders européens avec les populations soumises aux réglementations « made in Schuman » donne petit à petit lieu à une constellation de gouvernements composés de partis eurosceptiques – bien souvent plus de droite radicale ou d’extrême droite que de gauche. Refuser de comprendre les maux de cet électorat exténué est une erreur. Le citoyen s’imagine, sans posséder un diplôme en études de l’intégration européenne ou procéder à une quelconque expertise politologique, que l’Europe sociale, un continent aux 26 langues et presque deux fois plus de culture unifiée, une zone euro du bien-être économique pour tous, est aussi utopique qu’un gouvernement mondial vertueux et humaniste qui mettra un terme aux dictatures persistantes, aux inégalités de richesse et à la crise du climat.

Une solution au déficit démocratique de l’Union européenne existe. Elle n’est pas miraculeuse et appelle à d’autres mesures complémentaires. Un des solutions est de revitaliser la liberté collective d’une population à mener le vivre-ensemble qu’elle souhaite avoir. Il est temps de reconnaître à sa juste valeur la liberté d’un corps social et politique comme celui d’une sous-nation déterminée et aux aspirations d’indépendance progressive, légaliste et démocratique :

  1. progressive en ce sens qu’elle ne prendrait bien évidemment pas cours dès sa reconnaissance, il y aurait un long travail diplomatique administratif pour redessiner frontières et pouvoirs publics ; chose qui prendrait des décennies à se finaliser correctement sauf précipitations néfastes au projet politique et créatrices de différends inutiles ;
  2. légaliste, car l’indépendance serait réalisée dans le respect des règles de droit et sous la surveillance attentive d’une autorité légitime composée d’experts neutres et indépendants à la manière d’une délégation de l’ONU ;
  3. démocratique parce qu’elle résulterait d’une volonté populaire illustrée à travers un exercice de vote comme le référendum et dont le quorum pourrait être spécifiquement établi au préalable par la Commission Européenne et signé par l’ensemble des responsables politiques (quorum de 60%, par exemple, pour éviter les tensions d’un résultat 51% pro-indépendance contre 49% anti-indépendance).

En ce sens, le débat sur l’indépendance de la Flandre ne serait pas exclu – bien que Bruxelles, malgré elle, soit à tout jamais la preneuse d’otages du rêve des nationalistes flamands.

Après quoi, je peux comprendre la hantise des replis nationalistes et la peur qu’ils apportent une nouvelle version des cauchemars du passé. Il faut les dépasser. Les nouvelles régions indépendantes (ou en voie d’indépendance) ne se replieraient pas naturellement sur elles-mêmes. L’image de la création d’un nouveau pays qui basculerait, dès sa naissance reconnue, vers le bloc fermé façon Berlin-Est est une manipulation consciemment voulue et entretenue par la pensée unique européiste.

Le repli nationaliste n’est pas un horizon indépassable d’un scénario d’anticipation : il faut oser redessiner l’Europe.

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