On sait un peu mieux comment fonctionne le « califat » de l’EI
Des milliers de documents abandonnés par le groupe terroriste Etat islamique (EI) dans les zones sinistrées d’Irak et de Syrie ont été analysés par le New York Times qui révèle, après un an d’investigation, comment les djihadistes ont pu instaurer leur califat trois ans durant.
Plus de 15.000 pages de documents ont été collectées par la journaliste Rukmini Callimachi qui les a analysées, avec l’aide d’une équipe de journalistes et experts, pour livrer une enquête de fond déconstruisant le mode opératoire du groupe terroriste Etat islamique.
En peu de temps, les djihadistes ont pu établir leur pseudo-état, baptisé califat, en s’appuyant sur « deux outils complémentaires: la brutalité et la bureaucratie », décrypte l’enquête baptisée « The ISIS files ».
« Ils ont bâti leur état sur le dos de ce qui existait auparavant, absorbant les connaissances administratives des centaines de cadres gouvernementaux. Une examination de la façon dont le groupe gouvernait révèle un modèle de collaboration entre les militants et les civils sous leur férule ».
L’EI s’est en outre assuré de pouvoir compter sur un flux de rentrées financières, non pas issues du commerce du pétrole principalement, mais bien de l’agriculture locale, dont les exploitations ne pouvaient être bombardées par la coalition internationale. « Les carnets, livres de comptes et budgets décrivent comment les militants ont monétisé chaque centimètre de territoire conquis, taxant chaque boisseau de blé, litre de lait de brebis et chaque pastèque vendus sur les marchés qu’ils contrôlaient. Avec l’agriculture seule, ils ont récolté des centaines de millions de dollars », décrit l’enquête.
Celle-ci démontre que ces revenus dépassaient ceux obtenus grâce au pétrole. Un tableau trouvé dans un attaché-case fait état de gain de 1,9 million de dollars en une journée seule par la vente d’orge et de blé. Un autre évoque un bénéfice de 3 millions de dollars en trois mois grâce à la vente de farine en trois endroits à Mossoul seulement. « C’est le commerce quotidien et l’agriculture – pas le pétrole – qui ont alimenté le califat », ressort-il de l’investigation.
L’analyse des documents couplée aux explications d’un ancien fonctionnaire irakien responsable de l’agriculture en province, forcé d’oeuvrer sous l’EI, démontre en outre comment le califat s’est saisi des terres de chrétiens ou chiites, pour les allouer à des sunnites irakiens. Les militants « ont pris nos dossiers, les ont parcourus, cherchant des propriétés qui appartenaient à des chiites ou des apostats, certains d’entre eux qui avaient quitté le califat », explique celui-ci.
La publication du New York Times révèle encore les punitions infligées pour les méfaits relevés par l’Etat islamique: l’emprisonnement pour une coupe de cheveux inappropriée ou une partie de domino et la lapidation pour l’adultère ou un niqab laissant apparaitre le regard d’une jeune fille, par exemple. « Des spécialistes de la religion évaluaient le crime, et remplissaient un formulaire », décrit l’enquête évoquant la police de la moralité.
A mesure que la brutalité du califat s’étalait dans les rues, avec des exécutions publiques, les services de base comme la récolte des déchets ou l’accès à l’eau et à l’électricité s’amélioraient, témoignent encore d’autres survivants. « Les militants ont imposé une discipline qui s’avérait manquante (…) Rares sont ceux qui ont quelque chose de bon à dire à propos de leurs anciens dirigeants – à moins d’être incités à parler des services qu’ils ont fournis », observe la journaliste à l’issue de ses recherches et interviews. « Il faut être honnête », selon l’un des témoins interrogés, « il faisait plus propre sous l’EI ».