En 1902, Georges Méliès s'inspire du roman d'anticipation de Jules Verne pour son Voyage dans la Lune. © MÉLIÈS/THE KOBAL COLLECTION/THE PICTURE DESK/AFP

« On n’a jamais marché sur la Lune »

Pour une frange de passionnés de science-fiction, les expéditions Apollo constitueraient la plus grande escroquerie de tous les temps. Le plus absurde, c’est qu’ils ont réussi à semer le doute autour d’eux…

Oubliez les célèbres images du premier homme posant le pied sur l’astre de la nuit ! Il ne s’agirait que d’un film réalisé par Stanley Kubrick lui-même, à la demande de la CIA. Bien que loufoque, cette idée a pourtant trouvé un large écho. Tout au long de l’été, Le Vif/L’Express vous invite à découvrir les extraits du livre Théories folles de l’histoire, à paraître en septembre. Fruit de l’imagination fertile de complotistes acharnés, ces thèses partent du même principe : la vérité est ailleurs, on nous la cache. Le credo de ces dingues ?  » Une proposition est vraie, parce que rien ne prouve qu’elle est fausse.  » Si débattre avec de tels interlocuteurs semble généralement inutile, étudier leurs élucubrations est, tout compte fait, passionnant. D’abord, parce qu’elles sont fort distrayantes. Ensuite, parce qu’elles démontrent par l’absurde la pertinence et la grandeur de la méthodologie historique. Enfin, parce que comprendre et analyser forge des armes contre les  » assassins de la mémoire « .

EXTRAITS

Le lundi 21 juillet 1969, à 2 heures 56 minutes et 20 secondes UTC, Neil Armstrong foulait le sol lunaire en prononçant sa phrase devenue historique : « Un petit pas pour l’homme, un bond de géant pour l’humanité. » Quelques heures auparavant, le module d’excursion lunaire (Lem) Eagle s’était posé sans dommage sur la mer de la Tranquillité, à sept kilomètres du site initialement prévu. Pour l’occasion, les journalistes forgèrent un néologisme : l’alunissage. […]

Trois jours plus tard, la capsule Apollo 11 retombait dans l’océan Pacifique, ramenant sains et saufs Armstrong, Aldrin et le troisième membre d’équipage, Michael Collins, qui était resté en orbite autour de la Lune. Près de 700 millions de personnes ont assisté en mondovision à cette fantastique odyssée. Durant les trois années suivantes, six autres missions Apollo prendront le chemin de l’astre de la nuit. Au total, 12 hommes auront ainsi le privilège d’accomplir les rêves de Cyrano de Bergerac, de Jules Verne et de Hergé.

 » Les cieux font désormais partie du monde des humains « , selon la formule de Nixon. Nul ne doute qu’il ne s’agit là que d’une première étape. Que, très bientôt, des colonies permanentes s’établiront sur notre satellite, que de hardis pionniers s’élanceront vers Mars, Vénus et Jupiter… Hélas, les contraintes budgétaires conduisent à annuler les missions Apollo 18 et 19. Depuis lors, des robots ont poursuivi l’exploration de l’espace. Aucun homme n’est retourné sur la Lune…

Sans doute cette désillusion a-t-elle contribué à semer le doute dans certains esprits. En 1974, un certain Bill Kaysing-ex-employé de la Rocketdyne, sous-traitant de la Nasa pour les moteurs de fusée – signe un livre au titre choc : Nous ne sommes jamais allés sur la Lune : une escroquerie américaine à 30 milliards de dollars. Selon l’auteur, les Etats-Unis n’auraient pas eu l’expertise technique suffisante pour mener à bien un tel projet. Aussi une fausse opération a-t-elle été montée, en liaison avec la DIA-Agence de renseignement de la Défense. Kaysing relève des anomalies et dénonce un vaste complot :  » Ma conviction ne se fonde pas sur une preuve unique, explique-t-il, mais sur tout un ensemble d’éléments.  » […]

Le poison du soupçon se répandra surtout à partir des années 1990, avec l’essor d’Internet. Au tournant du millénaire, 11 % des Américains croyaient que les missions Apollo relevaient du trucage ou n’avaient pas d’avis sur la question. En 2001, John Moffet produit pour Fox TV un documentaire intitulé Conspiracy Theory : Did We Land on the Moon ? ( » Théorie de la conspiration : nous sommes-nous posés sur la Lune ? « ). Les élucubrations de Bill Kaysing y sont habilement présentées.

Quels sont ses arguments ? Et quelles réponses leur donner ? Ils sont pour la plupart fondés sur une analyse critique des clichés et des vidéos réalisés sur la Lune. Voici quelques-unes des  » preuves « , telles qu’elles sont développées sur la Toile…

Sur les images de la mission Apollo 11, la bannière étoilée plantée par Armstrong et Aldrin présente un aspect plissé et semble flotter. Or, chacun sait qu’il n’y a pas d’air sur la Lune, donc pas de vent. En réalité, les mouvements initiaux du drapeau sont dus à l’inertie, lorsque les deux astronautes tentent de l’enfoncer dans le sol très dur. Il s’immobilise très vite et demeurera ensuite parfaitement immobile, maintenu à l’horizontale par une potence métallique. Sa toile a été renforcée de fil de fer rigide, afin d’imiter un aspect fripé. Dans l’émission de vulgarisation américano-australienne MythBusters, l’expérience a été reproduite dans une chambre sous vide. Le comportement du drapeau y est exactement le même que sur la Lune. […]

Les empreintes de bottes photographiées par les astronautes apparaissent bien trop nettes, comme si elles avaient été prises dans du sable mouillé. Or, il n’y a pas d’eau sur la Lune. En fait, le sol lunaire se compose d’une couche d’une vingtaine de centimètres de régolithe, une très fine poussière produite par l’impact incessant des météorites. Fortement chargé par le rayonnement solaire, en l’absence d’atmosphère, le régolithe adhère aux objets, à la manière du charbon de bois pulvérisé ou de la cendre volcanique.

Théories folles de l'histoire, par Philippe Delorme. Collection Documents, L'Express/Presses de la Cité, 400 p., (parution le 22 septembre).
Théories folles de l’histoire, par Philippe Delorme. Collection Documents, L’Express/Presses de la Cité, 400 p., (parution le 22 septembre).© SDP

La poussière sélénienne n’a pas fini de s’insinuer dans les neurones des complotistes… Pourquoi n’en aperçoit-on pas le moindre grain sur les pieds du Lem ? D’ailleurs, on ne voit aucun cratère sous l’engin ! Pareillement, au cours du décollage, la poussière déplacée aurait dû recouvrir les traces des astronautes alentour. L’explication est simple, là encore. Il n’y a aucun déplacement d’air sur la Lune, donc les seules choses qui bougent sont celles avec lesquelles on interagit directement. Dans ce cas, la poussée du module n’a mis en mouvement que la poussière qu’elle a atteinte directement, en n’affectant pas son environnement. Comme le réacteur a été coupé juste avant de toucher le sol, par souci de stabilité, la poussière déplacée est retombée immédiatement. […]

Pour réussir une mystification d’une telle ampleur, il aurait fallu mobiliser des dizaines de milliers de complices dans toutes les disciplines, en s’assurant par la suite de leur silence absolu. De nombreux observatoires et des centaines d’astronomes amateurs ont suivi les missions Apollo en orbite lunaire. Auraient-ils eux aussi été trompés ? Les transmissions venant de la Lune ont été captées par l’ensemble des nations, y compris par les Soviétiques, qui se seraient empressés de dénoncer cette incroyable forfaiture commise par les  » impérialistes « . Et si l’alunissage d’Apollo 11 avait été falsifié, pourquoi six missions supplémentaires, elles aussi truquées, multipliant ainsi les risques d’indiscrétions ? Sans parler d’Apollo 13, qui manquera de s’achever tragiquement et n’atteindra jamais la Lune… […]

Aujourd’hui, les preuves surabondent. Les satellites de reconnaissance en orbite autour de la Lune ont photographié les sites d’atterrissage des six missions Apollo. Sur l’une d’entre elles, on distingue clairement le Lem d’Apollo 11, sur d’autres les instruments scientifiques laissés par Apollo 14. Des copies des bandes-vidéo originales de la sortie de Neil Armstrong ont été retrouvées en 2009 et remastérisées. Cependant, ici, comme dans d’autres spéculations folles, la volonté de croire est acharnée, en dehors de toute rationalité. La science – comme l’histoire – n’est pas une religion à laquelle on demande d’adhérer par un acte de foi, mais une discipline appuyée sur des faits. Et le merveilleux garde davantage d’attraits… […]

Selon le dernier avatar de ce roman fantastique, le réalisateur des  » faux  » tournages d’Apollo ne serait autre que Stanley Kubrick, le père de 2001. L’odyssée de l’espace en personne. Le Pentagone l’aurait choisi, dès 1963, en raison de ses compétences techniques. Jay Weidner, ex-animateur de radio à Seattle et amateur de théories alternatives, en est persuadé. Comme plus tard Dan Brown avec son Da Vinci Code, Kubrick aurait truffé son film d’horreur Shining, d’après le roman de Stephen King, d’allusions codées dévoilant son implication dans l’affaire. […]

Tout cela n’est guère convaincant. Stanley Kubrick était certes féru de symbolisme caché, peut-être doutait-il lui-même de la véracité de la conquête de la Lune, mais on ne saurait aller plus loin sans sombrer corps et biens dans la  » mer de la Crédulité « …

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