Oliver Stone questionne une nouvelle fois l'identité et les engagements de l'Amérique dans Snowden.

Oliver Stone: « L’Amérique n’a de leçon à donner à personne » (entretien)

Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Réalisateur de Platoon, JFK, Natural Born Killers et Wall Street, scénariste de Midnight Express et Scarface notamment, Oliver Stone publie son autobiographie, A la recherche de la lumière. Il y revient sur les quarante premières années d’une existence mouvementée l’ayant conduit du bourbier du Vietnam à Hollywood, son histoire se confondant également avec celle d’une Amérique dont il s’est posé, à son corps défendant parfois, en mauvaise conscience.

Qu’est-ce qui vous a donné à penser que le moment était venu d’écrire vos mémoires (1)?

L’âge, et le désir de regarder en arrière afin de mieux me comprendre, envisager ma vie et mes jeunes années. J’avais déjà tenté de le faire dans un livre, écrit alors que je n’avais que 19 ans, mais j’ai voulu y revenir pour tenter d’apprécier, avec le recul, les choix que j’avais faits dans l’existence et en interroger le sens. J’ai réalisé à l’écriture que beaucoup d’actes que j’avais posés reflétaient une contradiction fondamentale inscrite au plus profond de mon âme à cause de mes parents. C’est une longue fracture: ils ne sont pas restés ensemble, leur histoire d’amour était magnifique, mais ce n’était pas la vraie vie, et ils se sont séparés. Ma mère avait beaucoup de difficultés à faire la différence entre les films et la réalité, mais c’est aussi grâce à elle, et à son amour du septième art, que je suis venu au cinéma. Quant à mon père, il était écrivain, parmi d’autres activités, comme financier. Il m’a appris à écrire, jusqu’à un certain point, et je me suis modelé sur sa discipline. Ma mère, c’est le réalisateur en moi, et mon père l’auteur. Je voulais que tout cela sorte, prendre le temps de l’introspection. La vie va tellement vite. On enchaîne les films à toute vitesse, sans prendre le temps de réfléchir, et j’ai voulu comprendre chacun d’entre eux, les échecs comme les succès, parce qu’ils ont autant d’importance. Ce processus s’est avéré pour moi fort utile.

Donald Trump utilisera n’importe quel moyen pour être réélu.

Vous êtes un enfant du divorce, mais aussi un enfant de la guerre, votre engagement au Vietnam, en 1967, ayant largement façonné votre vision du monde. En êtes-vous encore affecté aujourd’hui?

C’est une question à laquelle il est difficile de répondre. On dirait que les choses qui vous forgent, dans la vie, sont les mensonges. Je me souviens du choc ressenti quand mes parents ont divorcé: je n’avais pas le moindre soupçon de leur séparation. Et cela m’a choqué, parce qu’ils m’avaient menti, même si c’était pour me protéger. Je me suis ensuite porté volontaire au Vietnam pour diverses raisons, mais cette guerre n’était qu’un vaste mensonge: on nous a menti sur son objet, le combat contre les communistes, blablabla ; on nous a menti sur ses causes, chaque jour passé au Vietnam n’était que mensonges et conneries, et nous en étions bien conscients. Et le plus grand mensonge n’était autre que celui consistant à nous seriner que nous étions en train de gagner la guerre, alors que nous savions pertinemment que c’était faux. Nous étions juste occupés à patauger et essayer de nous en tirer en bombardant tout le monde, en y consacrant un équipement et des sommes d’argent considérables, c’est tout. A mon retour, j’ai commencé à réfléchir à l’assassinat de JFK, en 1963, entre le divorce de mes parents et le Vietnam, et ce qui s’est vraiment produit ce jour-là est choquant quand on s’intéresse aux détails. On a alors vu en moi un adepte des théories du complot, ou que sais-je. Mais l’essentiel est que tout cela n’était qu’un immense mensonge. Les mensonges ont forgé mon caractère et m’ont poussé à chercher la vérité, à me lancer à la recherche de la lumière.

Pour Oliver Stone,
Pour Oliver Stone, « nous assistons aujourd’hui à la même opposition qu’à l’époque de Nixon entre forces du progrès et du conservatisme ».© getty images

Votre parcours à Hollywood est très particulier: échecs ou succès, vous êtes toujours resté un outsider. C’était la meilleure façon de pouvoir y survivre dans la durée?

Je n’ai jamais eu le sentiment d’appartenir à quelque club que ce soit. Je suis le genre de personne à avoir toujours eu l’impression d’être un outsider, même quand on m’invitait, je n’ai jamais connu d’autre sentiment. Enfant, j’étais seul, ceci expliquant peut-être cela, et je mène une existence largement solitaire, à écrire. Pour autant, il est important également de rejoindre le monde, et de se frotter au collectif, c’est ainsi que l’on apprend et que l’on découvre d’autres modes de vie et de pensée. C’est ce qui s’est produit quand je me suis engagé à l’armée: je n’avais jamais rencontré de soldats noirs avant, et la plupart d’entre eux sont devenus mes amis. J’ai adopté à l’époque une attitude voisine de la leur, qui était le manque de respect pour l’autorité et pour les Blancs, l’absence de respect pour ceux qui leur disaient ce qu’ils avaient à faire, et notamment d’aller se battre contre des Vietnamiens.

Vous consacrez un passage au climat qui régnait aux Etats-Unis en 1968, et écrivez notamment: « L’été 1968 fut ponctué d’émeutes, les flics matraquaient des gamins et des Noirs conformément à la politique punitive du law and order: le pays était en pleine implosion. » On ne peut s’empêcher de faire le rapprochement avec la situation présente…

Exactement, rien n’a changé, c’est la guerre civile. Enfin, je n’irais pas jusque-là, mais… Si vous y regardez de plus près, Platoon ne raconte rien d’autre qu’une guerre civile à l’intérieur d’un peloton, qui se divise sur le meurtre d’un paysan vietnamien, tué par un sergent, l’autre sergent accumulant des charges très sérieuses sur lui. Jusqu’au jour où le premier le tue au combat, sous couvert de « tir ami »… Pour en revenir à votre question, à l’époque, je rentrais du Vietnam, et cela coïncide avec l’élection de Nixon. Il n’a été élu que parce que les gens réagissaient au désordre, ils avaient peur du changement, ce qui engendre souvent le même type de phénomène: le candidat de droite prend le train en marche de la loi et de l’ordre, soutenant que c’est ce dont nous avons besoin. Mais Nixon a-t-il rétabli la loi? Pas le moins du monde: la loi bafouée, et le désordre, voilà ce qu’il a laissé en héritage avec le Watergate et toute cette merde. Le pays n’avait jamais été à ce point dans la confusion. Et c’est ce qui se produit à nouveau aujourd’hui: Donald Trump utilisera n’importe quel moyen pour être réélu. Il n’a aucun principe, pour autant que je puisse en juger. Il utilise l’immigration, la loi et l’ordre comme thèmes porteurs, et mise sur la peur des autres, des criminels, des Noirs, en faisant appel aux instincts les plus bas, et faisant de la division un principe politique. Nous assistons aujourd’hui à la même opposition qu’à l’époque de Nixon entre forces du progrès et du conservatisme. Il y a des raisons au conservatisme, c’est quand le progrès, parfois, veut aller trop vite. C’est intéressant à observer. Mais si je m’attends à des violences, on n’en est pas à la guerre civile.

L’Amérique est un pays où le respect de la loi est toujours très fort.

Donald Trump a laissé entendre qu’il pourrait ne pas reconnaître le résultat des élections, le cas échéant. Qu’en serait-il alors?

C’est possible, mais je crois qu’ils le feront dégager. Le pays y est préparé, et l’Amérique est un pays où le respect de la loi est toujours très fort, c’est l’un de ses bons côtés. Même s’il arrive qu’on l’enfreigne, comme partout, quand on a le sentiment que c’est nécessaire. Je pense qu’ils vont le faire partir. Et Trump ne va pas y arriver, même s’il va tout tenter, et qu’il en sera peut-être plus proche qu’on ne l’imagine. Il monopolise toute l’attention. Personne ne parle de l’autre candidat, qui tient pourtant également des propos très fermes en matière de politique étrangère, parle de guerre, etc. La guerre semble désormais populaire aux Etats-Unis, c’est un pays moche en ce sens, très agressif. Quand Trump a voulu quitter l’Afghanistan ou la Syrie, les démocrates ont cherché à l’en empêcher, l’invitant à bombarder et bombarder encore. C’est dingue, mais c’est comme ça: les Etats-Unis sont un pays extrêmement militariste, agressif, qui pense avoir le droit de dicter à d’autres Etats et d’autres peuples que faire de leur vie. Je ne suis absolument pas d’accord: à mes yeux, l’Amérique n’a de leçon à donner à personne. Tout cela me fâche, parce que je suis moitié Français, j’ai un peu la même mentalité que De Gaulle: « Allez vous faire f…, vous n’avez pas à me dicter ma conduite! » (rires)

(1) A la recherche de la lumière, par Oliver Stone, éd. de l'Observatoire, 480 p.
(1) A la recherche de la lumière, par Oliver Stone, éd. de l’Observatoire, 480 p.

Vous avez consacré des films biographiques à Richard Nixon ( Nixon) et George W. Bush ( W.) notamment. Pourriez-vous en faire autant de Donald Trump?

Je ne sais pas. Tant de films vont être consacrés à ce personnage. Et l’histoire n’est pas finie: les gens veulent connaître la suite. Tout le monde parle de Trump, que l’on soit à un dîner, n’importe où, on ne peut y échapper: « Que va-t-il se passer avec Trump? » C’est un personnage, parce qu’il a réussi à nous intéresser à un feuilleton: « Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire aujourd’hui? » « Je pourrais aplatir la Corée du Nord? Ou faire ceci? » ; « Je pourrais divorcer de ma femme? Ou coucher avec elle? » Chaque jour, il peut lâcher une nouvelle bulle, susceptible d’exploser. C’est une histoire intéressante.

Bio express

  • 1946 Naissance à New York, d’un père américain et d’une mère française.
  • 1967 Volontaire au Vietnam.
  • 1979 Premier Oscar, pour le scénario de Midnight Express, d’Alan Parker.
  • 1986 Aligne la même année Salvador et Platoon, Oscar du meilleur film et du meilleur réalisateur.
  • 1991JFK.
  • 2010 Donne une suite à son grinçant Wall Street, le bien nommé Wall Street: Money Never Sleeps.
  • 2020 Publie ses mémoires.

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