Entaché de fraude, le scrutin du 30 juillet, qui devait marquer la fin de plus de trente ans d'autocratie, a été endeuillé par une violente répression. © Z. Auntony/AFP

« Nouveau » Zimbabwe, mauvais karma

Le Vif

Election douteuse, répression sanglante : les poisons de l’ère Mugabe ont la vie dure.

Chassez le naturel, il revient au pas de l’oie. Le double scrutin, présidentiel et législatif, du 30 juillet dernier devait, paraît-il, solder à tout jamais l’héritage calamiteux laissé par l’autocrate cacochyme Robert Mugabe, 94 ans dont trente-sept aux commandes du Zimbabwe. Funeste illusion. La répression à balles réelles, à Harare et dans ses banlieues, de l’élan protestataire né le surlendemain des suspicions – légitimes – de fraude électorale, aura dessillé les yeux des plus candides. Bilan : au moins six civils tués, dont un marchand de fruits et légumes qui tentait de protéger son étal des pillards… Un retour du refoulé que confirment la rafle opérée le 2 août au siège du Mouvement pour le changement démocratique (MDC, opposition), mais aussi la traque de ses militants, réels ou supposés, menée de jour comme de nuit par des policiers et des militaires en uniforme, ou par des soudards en civil, masqués au besoin.

Cibles favorites de cette soldatesque, que l’ONG Human Rights Watch accuse, dans un rapport circonstancié, de  » frapper et de harceler une multitude de citoyens  » : les bas quartiers d’une capitale coupable d’avoir  » mal  » voté. En clair, en faveur du jeune quadra Nelson Chamisa, candidat du MDC, et non du chef de l’Etat par intérim, Emmerson Mnangagwa, 75 printemps, champion de la Zanu-PF, ex-parti unique détenteur du pouvoir depuis l’indépendance, opportunément crédité de 50,8 % des suffrages. La férocité de cette mise au pas de la rue conduira d’ailleurs les chefs des missions diplomatiques de l’Union européenne, des Etats-Unis, du Canada et de la Suisse à signifier la  » grave inquiétude  » que leur inspirent tant  » l’éruption de violence  » que  » les sérieuses violations des droits de l’homme « .

Emmerson Mnangagwa, élu le 30 juillet, a été l'un des plus fidèles sbires de
Emmerson Mnangagwa, élu le 30 juillet, a été l’un des plus fidèles sbires de  » Comrade Bob « .© d. kitwod/getty images/afp

L’agneau et le « croco »

Soucieux de ne pas ruiner les efforts entrepris depuis la destitution du vieux  » Comrade Bob « , le 21 novembre dernier, afin de redorer le blason de l’ancienne Rhodésie du Sud, Mnangagwa réprouve les exactions de l’appareil sécuritaire, promet une enquête indépendante et jure – après avoir tenté de justifier l’usage de la force armée – n’être pour rien dans l’envoi de la troupe aux basques des manifestants. Quant à son rival malheureux, il s’astreint à épuiser la panoplie des recours légaux. Sans l’ombre d’un espoir : Chamisa, qui a succédé à la tête du MDC au challenger historique, Morgan Tsvangirai, décédé en février, sait combien les institutions en place demeurent inféodées au pouvoir. Tel est notamment le cas de la ZEC, commission électorale passée à la postérité pour le zèle qu’elle déploya à l’heure de valider les grossières tricheries de l’ère Mugabe.

Soyons francs : ce rendez-vous manqué avec l’histoire ne surprendra que les naïfs. Ou ceux qui ignorent tout du pedigree d’Emmerson Mnangagwa, alias  » le crocodile « , enfant du sérail despotique local.  » Je suis doux comme un agneau « , claironnait voilà peu cet apparatchik. Lui qui, jusqu’alors, se vantait volontiers d’avoir  » appris à détruire et à tuer  » au temps de la lutte de libération, lorsqu’il fallut se battre contre le joug colonial britannique puis défier le régime d’apartheid imposé par la minorité blanche. Serviteur empressé de Mugabe, le saurien de Harare fut aussi l’exécuteur de ses basses besognes. Alors chef de la Sécurité nationale, il orchestre, en 1983, l’écrasement de l’insurrection des provinces rebelles du Matabeleland (Ouest) et des Midlands (Centre), séquence fatale à 20 000 Zimbabwéens. Un quart de siècle plus tard, le même garde-chiourme supervise la sanglante mascarade de la présidentielle de 2008, entre bourrages d’urnes et raids meurtriers. En tête à l’issue d’un premier tour qui a coûté la vie à 200 de ses partisans, Tsvangirai renonce au ballottage afin d’enrayer l’hécatombe.

Côté cour, cette loyauté d’airain vaut à Mnangagwa maints honneurs. A commencer par divers portefeuilles ministériels, dont ceux de la Défense et des Finances, puis, en 2014, enfin, la dignité de vice-président. Son éviction, exigée par la très ambitieuse et très cupide First Lady, prénommée Grace, qui guigne le trône de l’époux nonagénaire, précipitera d’ailleurs la chute de la maison Mugabe. Hostile au scénario de la succession matrimoniale, la coterie des généraux déclenche alors un putsch de velours, contraint  » Comrade Bob  » à la reddition et confie le sceptre au disgracié. Là est toute l’ambiguïté de l’irruption du  » croco  » à l’avant-scène : il doit sa couronne à une révolution de palais, non à un soulèvement populaire. Et ce au risque d’apparaître comme la caution civile d’une junte de vétérans galonnés, mus avant tout par le désir de perpétuer rentes et privilèges. Un haut gradé incarne ce pouvoir de l’ombre : l’ancien chef d’état-major Constantino Chiwenga, promu en décembre dernier… à la vice-présidence. Certains experts du marigot zimbabwéen avancent, au demeurant, l’hypothèse d’un partage des tâches : au chef de l’Etat mal élu, voire pas élu du tout, les serments lénifiants sur la réconciliation, le droit, la justice et la démocratie ; à l’élite militaire, la gestion musclée de l’ordre public.

Mnangagwa espérait se laver du péché originel dans les urnes, sinon y puiser l’élixir de la légitimité. Raté. Même si l’enracinement de la Zanu-PF dans les zones rurales le dote d’un Parlement introuvable, le parti ayant raflé les deux tiers des sièges.

Mais voilà : il ne suffit pas d’exhorter ses compatriotes à  » oublier la politique au profit de l’économie  » pour effacer les traces d’un prologue calamiteux ; pas plus qu’il ne suffit de vanter sur tous les tons les vertus d’un pays open for business pour qu’affluent en rangs serrés les investisseurs étrangers. Or, le pays a un besoin vital d’argent frais. D’autant que les arriérés colossaux accumulés auprès de la Banque mondiale comme de la Banque africaine de développement le privent de tout accès aux bailleurs de fonds traditionnels.

Un champ de ruines

Certes, celui qui fut tour à tour le féal puis le tombeur de Mugabe s’efforce de donner des gages aux acteurs économiques. A commencer par la révision annoncée de la loi contraignant les opérateurs étrangers à céder 51 % de leur capital à des partenaires locaux, ou les indemnités promises aux fermiers blancs expropriés à la hussarde, cibles d’une réforme agraire inepte lancée à l’orée de ce millénaire, qui relégua l’ancien grenier à blé de l’Afrique australe au rang d’importateur net de céréales. Reste que le  » nouveau  » régime hérite d’un champ de ruines. Inflation infernale, infrastructures défaillantes, chômage de masse, bureaucratie ubuesque, corruption endémique et arbitraire judiciaire dessinent les contours d’un environnement pour le moins dissuasif. Deux exemples. Sept ans après avoir adopté le dollar au détriment d’une monnaie nationale moribonde, Harare lance en 2016 le  » billet d’obligation « , censé endiguer l’exode de devises américaines. Echec. Le sous-emploi ? Il atteint des niveaux effarants : 90 % de la population active n’a aucune activité salariée régulière ; et plus de deux tiers des  » Zimbos  » végètent sous le seuil de pauvreté.

Une formule fait florès dans les ruelles de Harare :  » Nous avons changé de chauffeur, mais pas de bus.  » Il y a pis : ledit bus aura commencé son périple par une embardée meurtrière ; et on ignore encore s’il trouvera son cap.

Par Vincent Hugeux.

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