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« Nos choix électoraux sont peu rationnels »

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

« Si les fous sont au pouvoir, c’est parce que les électeurs les y ont mis », constate le psychologue de l’UCL Pascal de Sutter : « ça nous rassure de voter pour des enjoliveurs et des provocateurs. »

Professeur à la faculté de psychologie de l’UCL, Pascal de Sutter a publié, en 2007, Ces fous qui nous gouvernent. Comment la psychologie permet de comprendre les hommes politiques (Les Arènes).

Aujourd’hui, la planète ne manque pas de chefs d’Etat impulsifs, versatiles, narcissiques. Le qualificatif de « fou » convient-il à Donald Trump ?

Il est délicat de poser un diagnostic sur quelqu’un sans l’avoir soumis à une analyse psychologique fine, travail scientifique qui peut prendre des mois. Très impulsif, Trump a une personnalité atypique, que l’on n’attend pas d’un président des Etats-Unis. Il semble néanmoins en état d’assumer ses fonctions. Pour pouvoir dire qu’il a un réel problème de santé mentale, il faudrait que le locataire de la Maison-Blanche soit devenu dysfonctionnel, qu’il ne soit plus en état de travailler et de communiquer avec autrui. On peut être, à juste titre, outré par ses idées et sa manière de les exprimer, mais cela ne fait pas de lui un cas psychopathologique. Le comportement excessif de Trump réjouit ses supporters, qui saluent son culot.

L’an dernier, Kim Jong-un a traité Trump de « gâteux mentalement dérangé » et le président américain a qualifié son homologue nord-coréen de « fou qui se moque d’affamer son peuple ». Qui est le plus « fou » des deux ?

Il faut faire la distinction entre des comportements qui révèlent un état mental déficient et des invectives que se lancent des dirigeants dans le contexte d’un bras de fer diplomatique. Les surenchères verbales entre Trump et Kim Jong-un, qui peuvent sembler incohérentes, relèvent en réalité d’une stratégie de communication. La plupart des provocations de Trump ne sont elles-mêmes irréfléchies qu’en apparence : il surjoue volontiers, pour satisfaire un électorat américain qui ne supporte plus le politiquement correct. Ce public-là est enchanté par le discours décomplexé du président, qui ose dire tout haut sur les étrangers, les femmes, les élites, le changement climatique…, ce qu’eux ne peuvent affirmer sans se faire taxer de xénophobes, de racistes, de sexistes, de populistes, de climatosceptiques. Vous constaterez que Trump n’a pas changé d’attitude depuis la campagne pour la présidence jusqu’à aujourd’hui. Il est resté cohérent avec lui-même, ce qui ne correspond pas à l’attitude d’un fou. Pour autant, je ne dirais pas qu’il a le profil et les capacités pour diriger la première puissance de la planète. Il a sans doute atteint son seuil de compétence comme animateur de show télévisé.

Sur le plan psychologique, Trump est un cas à part dans le cercle des chefs d’Etat ?

Tous les hommes politiques parvenus au plus haut niveau de pouvoir ont des profils psychologiques hors norme et se préoccupent avant tout de leur propre bien-être. C’est le cas de Trump, de Poutine, d’Erdogan… Il faut toutefois mettre à part des dictateurs comme Staline, Hitler, Pol Pot ou Kadhafi qui, eux, étaient sans nul doute des cas psychiatriques. Il est du devoir du corps médical de dénoncer le comportement de tyrans pareils, qui mettent en danger leur proches, leur population et sont capables d’ordonner des massacres à grande échelle.

« Les électeurs voient en Theo Francken un  »dur », un ministre efficace, impression non confirmée par les faits. »© Bart Dewaele/id photo agency

« Le pouvoir est une drogue qui rend fou quiconque y goûte », disait François Mitterrand. Est-ce le pouvoir qui rend fou ? Ou faut-il être fou pour accéder au pouvoir ?

Les deux situations se rencontrent. Marguerite Yourcenar a écrit :  » Il faut toujours un coup de folie pour bâtir un destin.  » En juin 1940, à Londres, il fallait un grain de folie à Charles de Gaulle, général  » à titre temporaire « , pour lancer sur les ondes de la BBC son appel à la résistance et assurer que la France n’a pas perdu la guerre, alors qu’elle est sous la botte allemande. Et Emmanuel Macron devait être un peu fou, un an avant la présidentielle de mai 2017, pour croire qu’il allait dynamiter le paysage politique français. Ses chances de faire sortir le pays du clivage gauche-droite et de devenir président semblaient proches de zéro : il n’avait pas de parti et se disait centriste, positionnement voué en principe à l’échec électoral. Moi-même, je n’ai rien vu venir : l’un de ses conseillers m’a approché pour me demander de travailler sur le profil psychologique de l’ancien banquier, et je lui ai répondu :  » Macron, c’est qui ?  »

Si des « fous » au pouvoir, n’est-ce pas, sauf en cas de scrutin truqué, parce que les électeurs les y ont mis ?

De fait, il y a une tendance à voter pour les politiciens séducteurs, enjoliveurs, menteurs, provocateurs, et non pour des rationnels et des académiques. Dans les choix électoraux, l’émotionnel compte pour 90 % et le rationnel pour 10 % à peine. Qui lit les programmes des partis avant d’aller voter ? On choisit son camp soit en fonction d’un conformisme familial ou social, soit sur une impression subjective : tel candidat a l’air sérieux, honnête, sympathique. Nicolas Sarkozy a été élu président parce qu’il apparaissait énergique. François Hollande a vu sa cote de popularité s’effondrer car il a été perçu comme un  » mou « , alors qu’il a engagé la France dans des guerres. En Belgique, le succès des nationalistes flamands tient au fait qu’en Flandre se maintient la croyance en une longue oppression exercée par les Wallons sur les Flamands. Bon nombre d’électeurs votent aussi pour la N-VA parce qu’ils voient en Theo Francken un  » dur « , un ministre dont la politique migratoire est efficace, impression pas vraiment confirmée par les faits.

Vous êtes l’un des rares spécialistes belges en psychologie politique. Où en est cette discipline ?

Elle est peu développée en Belgique et en France, alors qu’on la pratique beaucoup aux Etats-Unis et en Israël. Elle consiste à analyser, sur le plan psychologique, la personnalité des hommes politiques et leurs discours. Les services de renseignement américains et russes ont pour habitude de dresser un profil détaillé de l’interlocuteur de leur président : ses goûts, ses failles, sa façon de réagir aux attaques, la manière de le mettre en rage ou de le séduire. Il est précieux de connaître les forces et faiblesses de l’adversaire. La Belgique néglige cet atout, ce qui la déforce dans les négociations.

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