La propagande nazie était très active au Moyen-Orient pendant la guerre. © DR

Nazis au Moyen-Orient : nouvelles révélations

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Dès l’arrivée d’Hitler au pouvoir, la doctrine nationale-socialiste inspire des leaders panarabes. Cette influence persiste après la guerre, quand la Syrie et l’Egypte recrutent des centaines de cadres nazis pour réformer leur armée et leurs services secrets. Nouvel éclairage sur les liens entre croissant et croix gammée.

De retour à Berlin après avoir passé deux mois au Caire, Géraldine Schwarz ne cache pas sa satisfaction : son enquête sur l’influence du national-socialisme dans le monde arabe prend une nouvelle dimension. La journaliste et réalisatrice franco-allemande avait déjà reconstitué, dans un film documenté par des archives exclusives des services secrets ouest-allemands, la fuite de cadres nazis au Moyen-Orient après la Seconde Guerre mondiale (Exil nazi, la promesse de l’Orient, 2014). A présent, elle travaille sur un nouveau documentaire, centré cette fois sur la fascination exercée par le IIIe Reich sur les mouvements nationalistes arabes de l’entre-deux-guerres à 1945.

Au Caire, l’auteure a recueilli les témoignages de fils ou petits-fils de personnes ayant été en contact avec d’anciens officiers, scientifiques et agents de renseignement de l’Allemagne hitlérienne : « Maadi, quartier aisé de la banlieue sud du Caire, aujourd’hui encore prisé des expatriés, comptait une forte présence allemande dès le début du XXe siècle. Dans les années 1930, les Allemands d’Egypte ont adhéré au nazisme et rejeté de leur communauté les Juifs, dont l’archéologue Ludwig Borchardt, découvreur du buste de Néfertiti en 1913. Les membres des antennes locales du parti national-socialiste n’hésitaient pas à parader au Caire en uniforme. »

En Egypte, et plus encore en Syrie, en Irak et en Palestine, beaucoup éprouvent alors de l’admiration pour le IIIe Reich. « L’intérêt des dirigeants arabes pour le national-socialisme est apparu bien avant la création d’Israël en 1948, constate la réalisatrice. C’est moins l’antisémitisme d’Adolf Hitler que sa virulence contre les sanctions imposées à l’Allemagne par le Traité de Versailles de 1919 qui retient leur l’attention. Ce rejet du « diktat » des vainqueurs a un écho positif dans le monde arabe. On y cherche un allié objectif contre l’Angleterre et la France, puissances coloniales qui, dans les années 1920, se sont partagé les vestiges de l’Empire ottoman au lieu d’accorder l’indépendance aux Arabes en récompense de leur soutien face aux Turcs. Les diatribes d’Hitler contre le colonisateur britannique, qui « ne fait qu’opprimer et exploiter les petites nations », séduisent des peuples arabes en plein éveil nationaliste. »

Rituels mystiques, culte du chef…

En 1933, à peine Hitler arrivé au pouvoir, un journaliste irakien traduit en arabe de larges extraits de Mein Kampf, publiés en feuilleton dans la presse irakienne. « Plus significatif : les rituels mystiques, le culte du chef, la glorification de la force, de la jeunesse et l’importance accordée à la culture populaire et aux ancêtres sont des aspects du fascisme et du nazisme qui fascinent alors au Moyen-Orient, comme dans d’autres régions du monde », signale l’auteure.

Au point d’inspirer, dans l’entre-deux-guerres, la création de nouvelles formations politiques arabes, dont trois existent encore aujourd’hui : le Parti social nationaliste syrien (PSNS), qui arbore toujours son emblème d’origine, une hélice à quatre pales avec les couleurs inversées du drapeau à croix gammée des nazis ; les Phalanges libanaises, parti chrétien fondé par Pierre Gemayel, militarisé depuis la guerre civile de 1975 au Liban ; et une branche du futur parti Baas en Syrie.

Nazisme et islamisme

Entre-temps, l’afflux croissant de Juifs européens en Palestine mandataire ouvre un nouveau terrain de convergence entre les idéologues hitlériens et certains nationalistes arabes. « L’antisémitisme nazi, avec son obsession d’un complot juif mondial destiné à dominer la planète, s’est engouffré dans cette brèche, souligne Géraldine Schwarz. Il est relayé par des figures de l’Islam intégriste, tel le réformiste salafiste Rachid Rida, intellectuel syrien installé au Caire.

De même, le grand mufti de Jérusalem, Amin al-Husseini, fer de lance de l’agitation antibritannique en Palestine, s’exile à Berlin en novembre 1941 et glisse vers une collaboration concrète avec le Reich et une adhésion à l’antisémitisme nazi. En octobre dernier, le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, l’a accusé d’avoir inspiré à Hitler la « solution finale ». Des historiens du monde entier, y compris israéliens, ont dénoncé ce détournement de l’histoire. « Le dignitaire musulman avait peu d’influence à Berlin, confirme la réalisatrice franco-allemande. Il n’est, aux yeux du Reich, qu’un instrument utile à sa propagande. »

Afrika Korps contre « joug anglais »

Pendant la guerre, les nazis diffusent des millions de tracts antisionistes dans les pays arabes, en Turquie et en Iran. De même, une radio, Berlin in arabic, y propage, sous la direction, entre autres, du grand mufti, la haine des Juifs et l’idée d’une profonde affinité entre les idéaux du national-socialisme et de l’Islam. En 1941, la propagande hitlérienne veut faire croire aux peuples arabes qu' »une victoire de l’Axe libérerait les pays du Moyen-Orient du « joug anglais » et donnerait une réalité à leur droit à l’autodétermination », relève l’historien Jeffrey Herf dans Hitler, la propagande et le monde arabe (Calmann-Levy, 2012). Certains milieux nationalistes arabes ont espéré obtenir l’indépendance grâce à l’Afrika Korps, le corps expéditionnaire d’Erwin Rommel.

L’influence nazie au Moyen-Orient ne disparaît pas avec la chute du IIIe Reich. Après la guerre, de zélés serviteurs du régime hitlérien réussissent à échapper à la justice internationale. Beaucoup partent pour l’Amérique du Sud – Argentine, Paraguay, Brésil, Chili… – grâce à des filières d’exfiltration. D’autres, « les plus aventureux », estime la réalisatrice, gagnent la Syrie et l’Egypte, destinations restées méconnues jusqu’il y a peu. « Parmi eux, on compte d’anciens SS, dont des criminels de guerre recherchés par la justice, ou qui craignent d’être dénoncés et poursuivis, explique-t-elle. Il y a aussi des spécialistes désoeuvrés, ex-pilotes de la Luftwaffe, officiers de la Wehrmacht ou agents de sécurité, qui estiment n’avoir plus d’avenir dans leur pays, dévasté et occupé par les Alliés et les Soviétiques. Ils ne se reconnaissent pas dans la nouvelle Allemagne fédérale démocratique. Ils préfèrent mettre leurs compétences au service de pays arabes, où ils savent que leurs convictions fascistes ne seront pas mal vues. »

Rome, plaque tournante

Rome, refuge de nombreux fidèles du Führer en cavale, est alors la plaque tournante de ce recrutement. Des nazis en quête d’une nouvelle vie y sont embauchés par les agents de Damas afin de réformer l’armée et les services de renseignement syriens. « La Syrie, qui vient d’acquérir sa totale indépendance, rejette toute idée de faire appel aux conseillers des anciennes puissances coloniales pour combler ses faiblesses », remarque l’auteure. La filière des Allemands recrutés par Damas est animée par l’ancien colonel SS Walter Rauff. En 1941, ce logisticien était l’organisateur du déploiement des camions à gaz destinés à l’extermination des Juifs de Russie.

En juillet 1948, Rauff, avec l’appui de l’évêque catholique autrichien Alois Hudal et sous le nez du Vatican et de la Croix-Rouge internationale, procure des papiers à une cinquantaine de volontaires nazis en partance pour la Syrie. Parmi eux, le capitaine SS Franz Stangl, ex-chef des camps d’extermination de Sobibor et Treblinka, et son adjoint à Sobibor, l’adjudant SS Gustav Wagner.

Aloïs Brunner protégé de Damas

Fraîchement émancipée de la tutelle française, la Syrie veut se doter d’une armée efficace. Infiltré dans les rangs syriens, un agent du Mossad, le service secret israélien, révélera à ses supérieurs que les divisions syriennes engagées dans la guerre de 1948 contre Israël étaient commandées par des officiers allemands ! Après la défaite de la coalition arabe, à la mi-1949, un coup d’Etat renverse le pouvoir à Damas et les collaborateurs allemands du régime déchu sont chassés de Syrie. Rauff et les hommes qu’il a enrôlés mettent alors le cap sur l’Amérique du Sud.

D’autres nazis ne tardent pas à les remplacer, dont l’ex-bras droit d’Adolf Eichmann, Aloïs Brunner, tenu pour responsable de la déportation de 120 000 Juifs européens vers les camps d’extermination. Après avoir trouvé refuge en Egypte, l’ancien officier SS débarque à Damas en 1954 sous son nom d’emprunt, « Georg Fischer ». « Il forme les services secrets syriens aux méthodes de torture de la Gestapo, indique la réalisatrice. Pendant la guerre d’Algérie, il est proche d’un réseau de trafic d’armes à destination du FLN, en lutte contre la France. » Brunner serait mort à Damas en 2010, à l’âge de 98 ans. Jusqu’à la fin de sa vie, il a bénéficié de la protection du régime baasiste.

Expertise nazie en Egypte

Entre-temps, sous le coup de la débâcle arabe de 1949 face à Israël, l’Egypte et les dirigeants de la Ligue arabe élaborent un plan secret : mettre sur pied une armée panarabe d’un million d’hommes, dotée d’un commandement unifié. « La tâche chimérique est confiée à Artur Schmitt, ex-général de l’Afrika Korps, précise l’auteure. Toutefois, l’officier se met vite à dos l’état-major égyptien, dont il a souligné l’incompétence. » L’Egypte ne renonce pas pour autant à l’expertise allemande : en mars 1951, arrivent au Caire le général Wilhelm Fahrmbacher, l’homme qui a tenu la poche de Lorient (Bretagne) face aux troupes américaines jusqu’au 8 mai 1945, et Wilhelm Voss, ancien haut responsable du conglomérat industriel d’Hermann Göring, ministre de la Guerre du Reich.

Ils sont chargés de recruter une centaine de conseillers militaires allemands, vétérans de l’Afrika Korps, de la marine, du front de l’Est…, pour moderniser et entraîner l’armée nationale. Parmi eux figure l’ex-commandant de la Waffen-SS, Gerhard Mertins, qui s’attache à enseigner les techniques de guérilla. D’autres experts, sous les ordres de Voss, sont chargés de jeter les bases d’une industrie de l’armement. « Quand Churchill, le Premier ministre britannique, dont les troupes occupent encore l’Egypte, s’en inquiète auprès d’Adenauer, le chancelier lui répond qu’il n’a pas de prise sur ces initiatives privées, raconte Géraldine Schwarz. En fait, la jeune République fédérale recourt elle-même aux services de plusieurs de ces cadres nazis pour gagner de nouveaux marchés au Moyen-Orient. Mertins deviendra ainsi le représentant de Mercedes-Benz au Caire. Très lié à la CIA, le BND, le service de renseignement allemand, recrute certains de ces exilés pour s’implanter dans la région. Il est toujours très actif aujourd’hui en Syrie. »

Von Leers, alias « Omar Amin »

En 1956, l’arrivée de Nasser à la tête du pays provoque le départ de Fahrmbacher, Voss et d’autres instructeurs allemands, effrayés par les sympathies socialistes du nouveau raïs. D’autres anciens nazis prennent la relève : le colonel SS Leopold Gleim forme les cadres du service de sécurité et se fait appeler « Ali al-Nahar » ; Joachim Deumling, ex-responsable de la Gestapo à Düsseldorf, aide à réorganiser les services de renseignement ; Otto Skorzeny, le célèbre officier commando est, depuis 1953, conseiller militaire auprès du général égyptien Naguib ; l’ex-capitaine SS Wilhelm Boeckler, qui a participé à la liquidation du ghetto de Varsovie, vit depuis 1949 en Egypte sous le nom d' »Abd al-Karîm » et forme, avec d’autres exilés nazis, des terroristes palestiniens…

De même, dès 1956, d’anciens collaborateurs de Joseph Goebbels, le ministre d’Hitler, jouent un rôle dans l’appareil de propagande antisioniste de Nasser. Pour les superviser, le ministère égyptien de l’Information recrute l’un des idéologues du IIIe Reich, Johann von Leers. Protégé par Goebbels et proche d’Himmler, il défend l’idée d’un lien étroit entre nazisme et religion musulmane, forgé par leur commune hostilité aux Juifs. De 1950 à la chute du régime de Perón, en 1955, von Leers réside en Argentine, avant de fuir au Caire avec femme et enfants. En Egypte, cet antisémite fanatique organise, sous le nom d' »Omar Amin », la diffusion d’émissions de radio multilingues et encourage les mouvements néo-nazis dans le monde. « Les conseillers allemands recrutés par les régimes autoritaires moyen-orientaux sont restés des nazis convaincus jusqu’à la mort, constate Géraldine Schwarz. Nombre d’entre eux se convertiront à l’islam. »

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