L'autrichienne Natascha Kampusch pose avant de recevoir une récompense pour son livre "3096 jours" durant une cérémonie à Vienne. © REUTERS

Natascha Kampusch, entre admiration et zones d’ombre

Stagiaire Le Vif

Séquestrée pendant huit ans et demi, Natascha Kampusch marquera l’Autriche lors de son évasion le 23 août 2006. Neuf ans après, retour sur l’histoire de cette jeune femme à l’enfance bafouée.

Le 2 mars 1998, à sept heures du matin, Natascha Kampusch, dix ans, prend le chemin de l’école. La petite fille s’est disputée le matin même avec sa maman. « Quand j’ai refermé la porte de l’appartement, je me suis dit, c’est quand même bête de partir comme ça « , déclarera-t-elle une dizaine d’années plus tard devant les caméras de la télévision publique autrichienne ORT. « C’est vrai que ma mère me répète tout le temps qu’on ne doit jamais se quitter fâché, qu’on doit toujours faire attention, car on ne sait jamais ce qu’il peut se passer. Ce qu’il peut arriver à l’une ou à l’autre. Et qu’en fait, il peut se passer n’importe quoi et qu’on peut très bien ne plus jamais se revoir. « 

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Le 20 heures de France 2 du 7 septembre 2006 relaye le récit de Natascha Kampusch réalisé par la télévision publique autrichienne

L’école est à peine à quinze minutes à pied du domicile familial, la fillette est en retard. « Et là, je l’ai vu à quelques mètres de moi, près de son véhicule. Et j’ai été prise d’une espèce de pressentiment « , se remémore la fillette devenue une jeune femme, face au journaliste de l’ORT. « J’avais comme une boule dans le ventre. À ce moment, je me suis dit que je ferais peut-être mieux de changer de trottoir. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être que c’est à cause de tous ces reportages sur les enfants. Ou de ce qu’on nous disait à l’école. Mais finalement, je me suis forcée à continuer. Je me suis dit qu’il n’allait pas me mordre. « 

L’homme se précipite alors sur la gamine et la fait monter de force dans sa fourgonnette blanche. « J’ai essayé de crier, mais il n’y avait aucun son qui sortait. « , explique-t-elle, « mais en fait, je n’avais pas vraiment peur parce que, de toute façon, j’étais sûre qu’il allait me tuer. Alors la seule chose à laquelle je pensais, c’est qu’il fallait au moins que j’utilise mes derniers moments pour essayer de m’échapper ou de faire quelque chose.« 

La maison dans laquelle Natascha Kampusch sera retenue pendant huit ans, à Strasshof.
La maison dans laquelle Natascha Kampusch sera retenue pendant huit ans, à Strasshof. © REUTERS
La photo de passeport de Wolfgang Priklopil, le ravisseur de Natascha Kampusch.
La photo de passeport de Wolfgang Priklopil, le ravisseur de Natascha Kampusch.© REUTERS

Quelques minutes plus tard, Natascha arrive dans la propriété de l’homme, une maison de Strasshof, au nord de Vienne. Il la fait descendre dans une cache : une petite pièce enfoncée trois mètres sous terre, sous le garage. L’accès se fait depuis le garage via une trappe soigneusement dissimulée. C’est le père du ravisseur qui a construit la cache dans les années septante. À la base, elle devait servir d’abri antiatomique. Cinq mètres carrés, deux mètres trente-sept de haut : c’est là que Natascha passera les huit prochaines années.

Lui, c’est Wolfgang Priklopil, il est ingénieur en communication. C’est un homme sans histoire, alors âgé de trente-six ans. Comme de nombreux prédateurs, il déstabilise sa jeune victime. « Il m’a dit que mes parents ne s’intéressaient plus à moi, qu’ils avaient arrêté de me chercher. Plus tard, il m’a même dit qu’ils avaient été en prison « , explique Natascha à l’ORT.

Il lui fait aussi écouter les programmes d’information. « Comme ça, la petite fille entend d’abord que le pays tout entier s’inquiète pour elle, puis que les recherches sont vaines, enfin qu’il n’y a plus d’espoir, que les enquêteurs en sont même à courir après un cadavre. Natascha n’existait donc plus« , analyse le Nouvel Obs.

Des recherches sont lancées, une enquête est ouverte. Des centaines de policiers sont mobilisés. Wolfgang sera interrogé chez lui, car il possède une camionnette blanche. Malgré sa grande nervosité le jour de l’interrogatoire, malgré le fait qu’il déclare avoir été seul chez lui le matin de la disparition de la fillette, malgré le fait que personne ne puisse attester ses dires, le tortionnaire ne sera jamais inquiété par la police : il n’a pas de casier. « Il a toujours su passer pour quelqu’un de discret, feindre une affligeante banalité; se faire ennuyeux, mais poli; distant, mais souriant; solitaire, mais sociable« , indique le Nouvel Obs.

Au fil du temps, l’homme équipera la cache pour Natascha : un lit en hauteur, une toilette, un lavabo, des placards. Au bout de six mois, il la laisse sortir. D’abord dans la maison, ensuite dans le jardin. Plus tard, les dernières années de sa capture, il l’emmène en ville, au supermarché, au restaurant. Natascha a grandi, plus personne ne peut la reconnaître. Ils iront même skier pendant une semaine. « Il était très prudent, il était collé à moi, il était paniqué dès que je m’éloignais d’un ou deux centimètres.« , raconte Natascha, «  il voulait que je sois toujours devant lui. Jamais derrière. Comme ça, il pouvait mieux me surveiller. Et je ne pouvais m’adresser à personne, car il me disait qu’il tuerait tous ceux à qui je parlerais. Qu’il me tuerait moi ou tous ceux que j’approcherais, si je tentais quoi que ce soit et ça, je ne pouvais pas le risquer. »

Wolfgang la présentera comme une amie à son meilleur ami. Huit ans et demi durant, Natascha subira ses violences, ses exigences. Il aime les femmes minces aux longs cheveux blonds. Qu’à cela ne tienne, le bourreau contrôlera strictement le poids de sa victime, quitte à l’affamer. Lorsqu’elle s’échappe, Natascha pèse à peine 38 kilos pour un mètre 57. Elle entretient la maison et cuisine pour lui. Wolfgang Priklopil est obsédé par la propreté. En échange de certaines choses, elle obtient des livres, des vêtements, des glaces, des cadeaux de Noël, une télévision. «  Je me suis aperçue que j’étais plus forte que lui. Il avait une personnalité instable. En fait, il n’avait pas confiance en lui « , constate la jeune femme face aux caméras de l’ORT.

À la mi-journée, le 23 aout 2006, Natascha nettoie le coupé BMW 850i rouge de son ravisseur dans le jardin. Il a laissé la porte ouverte. Peu avant 13 heures, la sonnerie du téléphone retentit. Wolfgang s’éloigne pour décrocher, car Natascha est en train de passer l’aspirateur, elle le laisse fonctionner et se met à courir tout droit. «  J’ai su à ce moment-là que si je ne partais pas maintenant, je n’en aurais peut-être plus jamais l’occasion « , raconte-t-elle.

Elle ne va pas bien loin, elle saute la barrière d’un jardin et frappe à la fenêtre de la maison d’un couple de retraités en criant : « Je suis Natascha Kampusch, je suis recherchée par la police« . Ils ne lui ouvrent pas et appellent la police. Quelques minutes plus tard, elle est emmenée au poste, saine, sauve et enfin libre. Huit heures après l’évasion de Natascha, Wolfgang Priklopil se donne la mort en se jetant sous un train.

Après son évasion, Natascha écrit une lettre aux médias dans laquelle elle leur demande entre autres de respecter sa vie privée. Elle est prise en charge par trois psychiatres et vit dans un logement thérapeutique. Dans un premier temps, elle refuse toute interview. Quand elle cède enfin, elle accorde une interview à la télévision publique autrichienne (ORT). L’interview aurait été négociée au prix de 200 000 euros et revendue à des télés du monde entier. Les entretiens suivants, tout comme les photos, seront eux aussi vendus à prix d’or. Fin 2006, un sondage la consacre deuxième personnalité préférée des Autrichiens derrière le président de la République, relate l’Express.

Natascha Kampusch et l'ancien champion de Fromule Un, Niki Lauda, lors de la première émission du talkshow animé par la jeune femme présenté sur la chaîne Puls 4.
Natascha Kampusch et l’ancien champion de Fromule Un, Niki Lauda, lors de la première émission du talkshow animé par la jeune femme présenté sur la chaîne Puls 4.© REUTERS

En 2008, Natascha annonce qu’elle en a «  assez de son rôle passif d’objet médiatique »et qu’elle souhaite « endosser un rôle actif « . Elle devient présentatrice de talk-show. La chaîne privée Puls 4 lui offre une émission taillée sur mesure. Natascha Kampusch reçoit des personnalités dont les actions l’ont impressionnée. Après trois diffusions à peine, l’émission est arrêtée. En parallèle, la jeune femme lance un site internet à son nom.

Mais au fil du temps, la jeune femme va perdre la sympathie de ses compatriotes. En cause, les sommes astronomiques qu’elle a touchées pour ses interviews et ses photos. Le doute s’insinue parmi l’opinion publique, car certaines zones d’ombres demeurent sur l’affaire. Pourquoi semble-t-elle porter le deuil de la mort de Priklopil ? Pourquoi ne dit-elle pas tout de sa captivité ? Pourquoi ne s’est-elle pas évadée plus tôt ? Pourquoi a-t-elle hérité de la maison de son tortionnaire ? Ces questions restées sans réponses donneront naissance aux rumeurs les plus folles.

Le livre 3096 jours dans lequel Natascha Kampusch relate sa captivité.
Le livre 3096 jours dans lequel Natascha Kampusch relate sa captivité. © REUTERS

En novembre 2010, Natascha Kampusch sort une biographie pour raconter son histoire et faire taire les rumeurs. Un livre de 274 pages intitulé « 3096 jours », écrit avec l’aide de deux journalistes. Répondant à certaines zones d’ombre, le livre dissipera une partie des rumeurs. La mère de Natascha, Brigitte Sirny et le meilleur ami de Wolfgang Priklopil, Ernst Holzapfel finiront par être blanchis juridiquement.

L’année suivante, la jeune femme attaque l’État autrichien pour négligence dans l’enquête et réclame un million d’euros. Sa requête n’aboutira pas. L’État admettra par la suite avoir bâclé l’enquête. L’Autriche fera alors appel à une équipe composée d’experts du FBI américain et de la police fédérale allemande (BKA). Ils entameront ce réexamen en juillet 2012.

Natascha Kampusch avant la première du film
Natascha Kampusch avant la première du film « 3096 jours », qui relate sa capture, dans un cinéma de Vienne. © REUTERS

En février 2013, une adaptation de son livre sort au cinéma en Autriche. Au même moment, elle finira également par confier qu’elle avait été violée par son ravisseur.

Clara Veszely

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