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Natascha Kampusch, du fait divers à l’affaire d’état

L’histoire de Natascha Kampusch a très vite été l’enjeu d’une bataille politique visant à déstabiliser le gouvernement de coalition autrichien.

Dans son premier ouvrage, 3 096 jours, remarquablement écrit, en 2010, Natascha Kampusch dénonçait des erreurs commises par les pouvoirs publics lors de l’enquête pour la retrouver. Elle estimait n’avoir pu compter que sur elle-même pour s’arracher à son destin sordide, ce qui bouleversa les Autrichiens, jusque-là si fiers de vivre dans l’un des pays les plus riches de la planète. Le livre a eu un grand succès, son retentissement a été mondial. Et des hommes politiques se sont alors jetés sur l’occasion pour récupérer cette affaire à leur compte.

A Vienne, la gauche et la droite se partagent le pouvoir depuis 1945, au sein de grandes coalitions, sans renouvellement possible à la tête de l’Etat. L' » affaire Kampusch  » y a été utilisée pour dénoncer, en arrière-fond, un système de gouvernement sclérosé. Certains responsables ont mis en doute les conclusions de l’enquête officielle de 2010, stipulant que Wolfgang Priklopil avait agi seul et que personne dans son entourage n’avait jamais su qu’il cachait une adolescente au fond du garage de son pavillon. Certains ont même sous-entendu que la jeune fille pouvait être sous la pression d’un réseau pédophile et que sa parole devait être prise avec des pincettes.

Au sein de l’opposition, l’extrême droite et les Verts ont accusé les ministères de la Justice, de l’Intérieur et de la Défense de s’être mis d’accord pour protéger des institutions défaillantes. A l’époque des faits, les deux premiers portefeuilles étaient confiés aux chrétiens conservateurs, tandis qu’un social-démocrate régnait sur le dernier. Jouant la transparence, le gouvernement a donc lancé une enquête parlementaire. En mars 2012, celle-ci aboutissait au constat selon lequel la coalition avait effectivement dissimulé pendant de longues années les erreurs de la police.

Les fonctionnaires chargés de retrouver la jeune fille ont notamment classé sans suite des signalements cruciaux, tel celui d’un maître-chien, qui s’était rendu au domicile de Priklopil six semaines après l’enlèvement de Natascha Kampusch. Le policier décrivait l’hôte du pavillon comme un original, porté sur les enfants, probablement détenteur d’armes à feu. Les enquêteurs ont également archivé d’autres témoignages tout aussi importants. L’Assemblée a même officiellement évoqué d’éventuelles pressions extérieures qui auraient influencé la conduite des recherches.

Face au scandale, une commission internationale d’évaluation a été instaurée en 2013, incluant des spécialistes étrangers de ce que l’on appelle les  » cold cases « , les affaires classées. Des pontes du FBI ont fait le voyage. Après avoir été soumis aux théories du complot sur lesquelles se déchiraient leur personnel politique et qui étaient largement relayées par la presse nationale, les Autrichiens ont fini par entendre de la bouche des experts américains et de la police criminelle allemande que, en dépit des erreurs de la police et de la peur du gouvernement d’assumer des manquements, Wolfgang Priklopil n’avait jamais eu de complice.

Les 270 000 pages confidentielles du dossier Kampusch sont désormais classées. Ce qui n’empêche pas la presse de continuer à publier régulièrement des  » révélations « . La dernière en date émane de deux médecins légistes, estimant au printemps dernier que Priklopil n’avait pas été examiné selon les normes légales. Et les rumeurs sur un possible assassinat du ravisseur de repartir de plus belle.

Par Blaise Gauquelin.

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