" Le coup de pub d'Elon Musk remet l'espace au centre des débats. " © SpaceX/BELGAIMAGE

« Moins les fusées seront chères, plus il y aura de missions scientifiques »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Pour Bernard Bonfond, chercheur à l’université de Liège, la concurrence entre public et privé peut créer une émulation. Mais la dimension « révolutionnaire » des nouveaux acteurs de l’espace est toute relative.

L’implication d’entreprises privées dans la conquête spatiale n’est pas en soi inédite. Qu’apportent de neuf les sociétés d’Elon Musk, Jeff Bezos ou Richard Branson ?

Je suis sceptique sur la dimension strictement privée de leurs activités. Quand on tire une fusée Ariane 5, construite par Airbus, afin de mettre en orbite, pour le compte de la société luxembourgeoise SES, des satellites de télécommunication ou quand on tire une fusée SpaceX avec, à son bord, un satellite espion depuis la base militaire de Vandenberg en Californie, savoir quel est le projet public et quel est le projet privé prête à discussion. Le point de vue industriel n’est pas très différent. Elon Musk vend ses fusées essentiellement à des agences militaires américaines. La différence réside dans le marketing et dans la passion qui animent ces capitaines d’entreprises. Il y a quinze ans, aussi étonnant que cela puisse paraître, si vous vouliez acheter une fusée, vous deviez vous adresser aux Russes ou aux Européens. Maintenant, les Américains en vendent aussi. Simple retour à l’ordre logique des choses.

Les spécialistes sont, par exemple, enthousiastes face à la possibilité de recycler des fusées comme le projette SpaceX. Une émulation peut-elle naître de cette concurrence entre privé et public ?

Quand j’exprime du scepticisme par rapport au côté  » révolutionnaire  » du privé, c’est en matière d’organisation. Au plan technologique, le fait d’avoir réussi à faire atterrir les premiers étages de la fusée de SpaceX sur des barges en plein air ou sur des packs d’atterrissage est remarquable. C’est un coup de pied dans la fourmilière. Voilà une vraie nouveauté. Est-ce un vrai progrès ? Si le recyclage des fusées coûte trop cher, peut-être pas. Mais si cela tient la route industriellement, tout le monde va l’imiter. Et on pourra dire que SpaceX a été un vrai agitateur de cette économie de l’espace.

Bertrand Bonfond, chercheur qualifié FNRS à l'université de Liège.
Bertrand Bonfond, chercheur qualifié FNRS à l’université de Liège.© Danny Gys/Reporters / FNRS

L’implication de ces nouveaux acteurs répond-elle à un désengagement pour des raisons budgétaires des Etats dans la conquête spatiale ?

Non, parce qu’ils ne font pas de la recherche spatiale. Il s’agit d’industriels qui vendent des machines pour aller dans l’espace. L’avantage est que plus on a de vendeurs de fusées, moins celles-ci sont chères et plus il est facile pour les agences spatiales de lancer des satellites scientifiques.

Serait-ce, in fine, tout bénéfice pour la recherche ?

Oui. J’ai travaillé dans un centre de recherches américain auquel Jeff Bezos a offert l’opportunité de mener une expérience sur une de ses fusées expérimentales. Ils ont pu faire leurs recherches grâce à cela. Mais cela reste marginal en regard des gros programmes de recherche qui ne peuvent être menés que par des grandes agences étatiques.

Ces nouveaux acteurs représentent-ils un danger ou une opportunité ?

Je suis assez neutre sur le sujet. Si la privatisation de l’espace entraîne la présence sur les orbites critiques autour de la Terre d’une quantité énorme de satellites défectueux et entrave la recherche, ce sera un problème. Mais d’un autre côté, moins les fusées sont chères, plus on pourra lancer de missions scientifiques. Et le coup de pub d’Elon Musk qui envoie une voiture en orbite autour du Soleil fait tout de même rêver et remet l’espace au centre des débats. Ce n’est pas une mauvaise chose.

En fonction de la multiplication des activités spatiales, n’y a-t-il pas lieu de compléter la réglementation internationale en la matière ?

Oui, très clairement. On n’a pas encore pensé à toutes les implications. Par exemple, à qui appartient un astéroïde ? Au premier qui le découvre ? Au premier qui atterrit dessus ? Au premier qui arrive à en ramener quelque chose ? Il faut un cadre multilatéral, bien compris et contraignant. Si on veut vraiment aller dans cette direction-là… Car on est dans un domaine où il y a beaucoup d’annonces et peu de réalisations.

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