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« Moi, je suis Zlatan Ibrahimovic. Et toi, t’es qui ? »

Le Vif

Tout est imposant chez Zlatan Ibrahimovic : son rire, son nez, ses pieds, sa technique, sa taille, son salaire, son palmarès, son ego… Zlatan Ibrahimovic, sorte de Hulk suédois, est l’un des personnages les plus extraordinaires du foot actuel. Voici ses aventures. (Eloignez les enfants.)

Zlatan Ibrahimovic n’a pas grandi en Suède, mais à Rosengard. Une cité à dix minutes en vélo du centre de Malmö et composée à 86 % d’étrangers, la plupart musulmans. Au 5A Cronsmans vag, Khalil, un Kurde d’Irak, est assis sur un banc au pied de l’immeuble où Zlatan a passé son enfance. « J’ai rien à faire. Je suis au chômage », explique le jeune chauve. « Rosengard, c’est pas Bagdad, c’est sûr. Comparé à d’autres pays, on n’a pas à se plaindre. Mais on est en Suède et ici tout le monde vit bien. Sauf nous. » Khalil n’a jamais connu Ibrahimovic. Ce dernier était déjà parti quand il a obtenu son visa pour la Suède. Tout ce qu’il sait du footballeur se trouve en face de lui : un terrain de street dernier cri financé par Ibra et Nike et qui a remplacé l’aire de jeu bétonnée qui a vu débuter l’attaquant star. A l’entrée du Zlatan Court, le joueur a même laissé ses empreintes de pieds géantes, comme à Hollywood Boulevard. Comme pour mieux afficher sa réussite et rappeler qu’il reste toujours le roi des lieux. Comme pour mieux narguer, aussi, ceux qui sont restés à quai, selon le Kurde : « C’est un délire de dictateur. Saddam Hussein aussi faisait construire des monuments à sa gloire. Il a mal fini. »

Derrière les peintures dorées du Zlatan Court, il y a pourtant tout ce qui est enfoui. Le côté sombre d’une success-story qui aurait bien pu ne jamais le devenir. Zlatan a 2 ans lorsque sa mère croate et son père bosniaque décident de mettre fin à leur relation contractuelle : « Ça n’a jamais été un couple heureux. Ils n’arrêtaient pas de s’engueuler et s’étaient mariés uniquement pour que papa puisse obtenir son permis de séjour. » Ibra, son frère Keki et sa soeur Sanela sont confiés à leur mère, Jurka, qui a déjà fort à faire avec trois enfants issus d’une autre relation. Le modèle de famille traditionnelle suédois ? Jamais entendu parler. « On ne connaissait pas l’éducation ; seulement la violence. » Seules les visites de son père, Sefik, gardien d’immeuble, lui permettent de se changer les idées. Sinon, Ibra fait déjà n’importe quoi. Comme rapiner des raquettes de ping-pong dans le supermarché du coin ou venger le vol de Fido Dido, son BMX, en soufflant tous les deux-roues qui se présentent à lui : « Voleur de bicyclette, telle était mon identité. »

Hasard ? L’école primaire Varner Ryden est aujourd’hui équipée d’un joli hangar à vélos. Gunila Weith était déjà en poste avant les caméras de surveillance. Lorsqu’elle évoque Ibra, elle se souvient d’un « élève charmant qui souriait tout le temps, sauf quand il allait jouer au football dans la cour. Là, son visage devenait très sérieux. » C’est elle qui a envoyé Zlatan chez l’orthophoniste pour corriger ses défauts d’élocution. « Il était incapable de prononcer les « s » mais ne voulait pas consulter la spécialiste. Il voyait ça comme une punition. »

La vraie sanction tombe en mars 1991. De la drogue appartenant à sa demi-soeur et des objets volés sont découverts chez sa mère par la police. Ibra est convoqué chez le principal. Dans son bureau, des assistantes sociales lui apprennent qu’il va désormais habiter chez son père. « C’était dur pour Zlatan, on voyait dans ses yeux que ça n’allait pas mais il masquait ses problèmes en souriant. C’était son moyen de se protéger. Les rares fois où il était vraiment heureux, c’est quand il me ramenait des K7 dans lesquelles son père chantait en bosniaque. Il en était très fier », raconte Weith. La (seule) gloire de son père. Car, pour le reste, son nouvel univers se limite à une télévision, un poster de Muhammad Ali, un divan et un frigo vide : « Il n’y avait rien à faire. Rien à manger non plus. Juste du lait, du beurre et, dans le meilleur des cas, un jus multivitaminé acheté chez l’Arabe du coin parce que c’était moins cher. »

En fait, Sefik noie son chagrin dans l’alcool pour oublier la guerre des Balkans. « Le conflit le dévorait. Il était assis, buvait et souffrait en écoutant de la musique bosniaque », se souvient Ibra. Pour fuir les coups de blues de son père, l’enfant se réfugie sur le terrain de football qui porte aujourd’hui son prénom. « Directement après l’école, j’allais dans la cour, je jouais jusqu’à la tombée de la nuit… et parfois au-delà. Les heures passées dans cette cour sont à la base de tout. Il fallait courir moins et avec une possession de ballon plus importante. Les petites surfaces, ça vous oblige à réfléchir plus vite. »

« Zlatan, lui, a mis sa tête dans la ruche »

Logiquement, le gamin n’accroche pas au fair-play imposé par les dirigeants de sa première équipe, celle du « MBI », et préfère jouer au « Balkan », où son football de cité peut s’épanouir rageusement. « Le MBI était un club trop suédois. Les parents disaient : « Donnez-vous la main, les enfants ! » Au Balkan, c’étaient des Slaves fous qui fumaient comme des pompiers et lançaient des insultes à tout-va. J’étais à la maison ! » Ivica Kurtovic était l’un des coachs barbares : « Zlatan était comme les autres enfants du quartier. Il avait l’air d’un petit caïd, son père buvait beaucoup et sa mère n’avait pas le temps de s’occuper de lui. A Rosengard, c’est banal. Ici, les pères disent à leurs gosses : « Je te déteste parce que je t’aime. » Zlatan avait aussi droit à cette contradiction-là. Ça l’a endurci. En Suède, on a un dicton qui dit que, pour attraper le miel, il faut d’abord écarter les abeilles avec le petit doigt. Zlatan, lui, a mis sa tête dans la ruche. »

Ibra fréquente ensuite le collège Sorgenfri. « Il embêtait tout le monde ! Il a quand même poussé Michelle d’un toit ! » se rappelle la fille du journaliste suédois Mats Weman, qui garde en mémoire le bagarreur trois classes au-dessus d’elle. La dénommée Michelle ne se souvient pas de l’incident mais garde en mémoire l’épisode de la table de ping-pong : « Il y avait une table dans la salle de jeu où tout le monde pouvait jouer. Mais il l’a démolie à coups de pied. Après, on n’avait plus le droit d’y aller. » Agneta Cederbom était la directrice des études à Sorgenfri. « J’ai passé 33 ans dans cette école ; il figure dans le top 5 des élèves les plus perturbateurs que j’ai jamais eus. A l’époque, il était LE voyou à Sorgenfri. Complètement hors catégorie. Un one-man-show permanent. Mais ce n’était pas un criminel, c’est d’ailleurs ce qui fait que je l’appréciais malgré tout : c’était une grande gueule qui refusait d’obéir au moindre ordre. »

Zlatan ne renie pas cette période. « J’aimais aussi provoquer les autres élèves, alors je disais des conneries qui leur faisaient de la peine, et du coup, ils allaient voir leurs parents pour tout raconter. » La direction de Sorgenfri lui colle un assistant, Christian Ericsson, chargé de le marquer à la culotte : « Tous les autres élèves avaient peur de lui. Il avait souvent du mal à se concentrer et devenait ingérable. Quand ça partait un peu trop en vrille, on allait pêcher. » Ericsson passera beaucoup de temps avec le futur footballeur, sans devenir très proche : « On ne devenait pas ami avec lui. C’était un artiste solo. »

Blue-jeans et racket de mini-discs

Après Sorgenfri, c’est l’école Stenkula, et le même cirque : beaucoup de remue-ménage et d’école buissonnière. La dernière année, il réussit à obtenir la moyenne, ce qui lui permet d’accéder au programme de sciences sociales, option économie, à l’école Borgar, l’un des lycées les plus huppés de Malmö, surtout grâce aux accords entre l’école et le centre de formation de foot de Malmö où il fait ses débuts. A Borgar, Zlatan est heureux. « C’était comme passer du sale au propre. Mais je m’y sentais bien. » Il troque ses joggings contre des blue-jeans et rackette les mini-discs aux fils de bourges.

A Malmö, il découvre le gouffre qui le sépare de la jeunesse dorée du centre-ville. Pendant que ses camarades chaussent les derniers crampons à la mode, lui doit se contenter d’une paire de pompes discount achetée « au rayon fruits et légumes du supermarché ». Il décide de se distinguer réellement : « Au lieu de dire que je n’avais pas grand-chose, je disais que je n’avais rien. J’étais un dur de Rosengard. Je dribblais. J’avais ma propre identité. » Yllie Shabani, qui l’y a côtoyé : « Le coach a demandé aux nouveaux de se présenter. Tout le monde a dit son nom et sorti un truc gentil. Zlatan, lui, a lancé : « Retenez bien mon nom et mon visage. Je m’appelle Zlatan Ibrahimovic et je vais devenir le meilleur joueur de foot du monde. » On a tous rigolé mais on voyait bien qu’il pensait vraiment ce qu’il disait. »

L’arrogance et la confiance en soi ont participé à construire la légende du joueur. A l’Inter Milan, il y eut la fameuse : « Moi je suis Zlatan mais toi t’es qui, putain ? » lâchée à un journaliste qu’il jugeait insolent. Quand un autre lui demande : « Vous avez des griffures sur le visage, Zlatan. Qu’est-il arrivé ? », il répond du tac au tac : « Hum, je ne sais pas… Demande à ta femme. » Et à la question récurrente : « Votre style est-il plutôt suédois ou yougoslave ? », il rétorque toujours : « C’est du Zlatan-style. » Ibrahimovic allume aussi les défenseurs d’en face, dans la presse et sur le terrain. « J’aime bien humilier mes adversaires. Pour moi le foot, c’est ça. Je suis comme Cassius Clay quand il annonçait qu’il allait battre son adversaires en quatre coups. Lui l’annonçait, moi je le fais. »

Cette assurance, Zlatan l’a eue très tôt. Quand il débute avec les pros de Malmö, à 18 ans, il envoie promener tout le monde dès sa première séance d’entraînement. Gergin Yelmaz, ancien du club et l’un des rares à avoir gardé contact avec lui, se souvient d’un joueur qui « se pensait au-dessus de tout et de tout le monde. Un jour, je suis allé le voir à l’entraînement et là il me dit : « Tu veux que je te montre qui est le boss ici ? » Il a pris des ballons et a frappé comme une mule sur son coach et sur son président. C’était la poule aux oeufs d’or du club. Il le savait. Il en profitait ». Zlatan ne s’excuse jamais – il s’est fait tatouer la maxime « Only God Can Judge Me ». Qu’on lui reproche de ne pas respecter les traditions, il s’en moque.

En 2001, l’Ajax Amsterdam s’attache les services du cybörg suédois, pour 9 millions. Ibrahimovic reçoit la Mercedes décapotable qu’il exige et le titre honorifique du Scandinave le plus cher de l’histoire qu’il réclame. « Zlatan est prêt pour l’Ajax, le problème c’est de savoir si l’Ajax est prêt pour Zlatan », déclare le ministre de l’Intérieur suédois… En effet : « Zlatan, c’était Mike Tyson quand il était en confiance. Avec ses tatouages et son gabarit, tu ne faisais pas trop le malin quand il était en face de toi, se souvient le Belge Tom Soetaers. Un jour, il est arrivé en salle de massage et les deux tables étaient prises. Il s’est approché d’un des deux joueurs en train de se faire traiter et lui a dit : « Casse-toi, j’ai pas envie d’attendre ! » Le mec s’est exécuté sans broncher. » En 2003, nouveau coach : Louis Van Gaal, qui veut faire de la place aux ego de Wesley Sneijder et Rafael van der Vaart. Ça tombe mal, Zlatan n’aime pas « ces petits blancs prétentieux ». Il leur fait comprendre lors d’un match amical entre la Suède et les Pays-Bas en 2004 : il découpe van der Vaart, qui finit sa nuit à l’hosto. Le scandale est servi.

La Juventus saute sur l’occasion et desserre les cordons de sa bourse. Montant : 18 millions d’euros.

« Le respect ne se gagne pas, il se prend »

Zlatan n’est pas habitué aux exigences du haut niveau. « Capello (l’entraîneur) me répétait : « Le respect ne se gagne pas, il se prend. » » Ibrahimovic suit-il le conseil un peu trop au pied de la lettre ? A l’entraînement, il tarte Zebina. Comme il l’a fait à l’Ajax avec Mido et comme il le fera à Milan avec Strasser et Onyewu. Pourquoi cette tendance à mettre des mandales aux collègues ? « Si les joueurs de mon équipe ont peur de moi, alors tant mieux ! »

Ibra finit la saison avec 16 buts au compteur et un premier Scudetto en poche. L’année suivante, la Juve est rétrogradée en Serie B pour matchs truqués et il file à l’Inter. Zlatan y oeuvre sous les ordres de José Mourinho. Entre les deux ego surdimensionnés, coup de foudre immédiat : « Mourinho est un homme préparé, intelligent, qui s’amuse beaucoup en conférence de presse. Il est arrivé à l’Inter pour gagner la Ligue des champions, et une fois l’objectif atteint, il a dit merci et au revoir », admire Zlatan. Pourtant, le soir d’une nouvelle élimination en Champion’s League, contre Manchester United, le joueur demande à changer d’air. Ça tombe bien : à Barcelone, Guardiola ne veut plus d’Eto’o. Lombards et Catalans s’échangent leurs joueurs.

Au Barça, Zlatan, adulé par le public, comme partout où il est passé, devient vite un problème plus qu’une solution. Malgré de bonnes stats, le Suédois n’est qu’un ouvrier de plus dans une mécanique catalane au service de Messi. Insupportable : « Zlatan détestait Messi. La dernière fois que je l’ai vu, il a passé une heure à l’insulter. Je crois surtout qu’il était jaloux », explique Gergin Yilmaz. Barcelone le brade alors au Milan AC de Berlusconi, ce qui lui convient très bien : « J’admire Berlusconi, car c’est un homme puissant. Et ce n’est pas qu’une question d’argent. Quand je vois Bill Gates, je vois l’argent mais pas la puissance. Quand tu vois Tony Montana, tu sens bien le pouvoir ! » L’été dernier, Ibra n’a pas prévu de quitter Milan mais le club a besoin d’argent. Zlatan, meilleur buteur du championnat, 31 ans, est encore bankable : il file donc au PSG version qatarie, qui figure déjà une préretraite dorée. Après tout, qu’espérer de plus du football, pour lui ? Un Ballon d’or ? Réponse en mode zlatanerie, bien sûr : « Je n’ai pas besoin de ça pour me sentir le meilleur du monde. Moi, je suis Zlatan. Et toi, t’es qui ? »

JAVIER PRIETO SANTOS/SO FOOT

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