Aymeric old de Lamotte

Migration: pour un droit d’asile du XXIe siècle

Aymeric old de Lamotte Conseiller communal MR à Woluwe-Saint-Pierre et avocat

La crise des migrants suscite une émotion légitime auprès de chacun de nous depuis de nombreuses semaines.

En effet, qui n’a pas tremblé d’effroi en posant les yeux sur l’image atroce du petit Aylan échoué sur cette plage turque ? Qui n’a pas ressenti une tristesse grandissant proportionnellement au nombre de réfugiés morts dans les eaux de la Méditerranée ? Les combats, qui font rage en Irak et Syrie, bouleversent la vie des populations civiles et sont une tragédie. Grâce au droit d’asile, principe millénaire qui s’est installé au coeur de la tradition européenne d’accueil des réfugiés et de protection des droits de l’homme, nous ouvrons une porte fraternelle à ceux frappés par l’oppression.

Dépasser l’émotion

Néanmoins, nous nous devons de dépasser le ‘tout émotion‘, pour reprendre l’expression de Michel Onfray, éminent philosophe français. Les médias se focalisent trop sur le pathos généralisé et ne font pas suffisamment preuve de recul, élément pourtant essentiel à toute analyse. Certains tentent, par ailleurs, de cloisonner le débat en vilipendant quiconque essaye de porter un regard un peu plus objectif sur la situation ou d’entreprendre un questionnement légitime sur le fonctionnement du droit d’asile. Cette personne aurait, au mieux, un manque de générosité, au pire, un fond xénophobe. Selon moi, criminaliser la moindre interrogation sur les migrants[1] cimente la langue de tant d’individus qui aimeraient s’exprimer, mais qui n’osent pas de peur d’essuyer le feu des regards hostiles ou d’être jetés impitoyablement dans la catégorie du « Belge, replié sur lui-même, empreint de relents racistes et de peurs irrationnelles  » à la moindre phrase qui ne se serait pas formulée avec mille précautions. Mais est-il si déplacé au vu des évènements récents que nous avons traversés, du monde divisé et complexe dans lequel nous vivons, de soulever des doutes ou d’élaborer certaines critiques ?

Séjour de durée illimitée pour les réfugiés qui aboutit à la nationalité belge

Lorsqu’un migrant voit sa demande d’asile reconnue, il obtient le statut de « réfugié ». Etonnamment, ce dernier a un droit de séjour de durée illimitée sur le territoire belge et, à moins qu’il renonce à ce droit, ne peut plus retourner dans son pays d’origine sauf pour de courtes périodes dans des cas exceptionnels[2]. En outre, mis à part les trois critères i.e. connaissance d’une des trois langues nationales, intégration sociale et participation économique, qui sont peu contraignants dans la pratique, quiconque possédant un titre de séjour illimité et vivant légalement depuis cinq ans de manière ininterrompue sur le territoire, obtient la nationalité belge[3]. On peut donc affirmer, à quelques exceptions près, que ces réfugiés seront tous belges un jour. En effet, après avoir frôlé la mort, dépensé des sommes folles pour atteindre l’Europe, avoir attendu des mois une régularisation, il paraît peu probable qu’un réfugié courre le risque de voir son statut annulé en retournant dans son pays d’origine. Considérant le fait que ce sont plutôt les migrants aisés qui atteignent nos contrées, nous privons ainsi ces pays en ruine d’une classe moyenne si nécessaire à leur bon développement économique.

De nombreux migrants économiques et de potentiels terroristes

Depuis de nombreuses années, après une inspection minutieuse effectuée au cas par cas par le Commissariat général aux Réfugiés et aux Apatrides (CGRA), la majorité des demandeurs d’asile sont déboutés. Ceci est une preuve concrète que, contrairement à la Syrie, l’Irak, l’Erythrée, l’Afghanistan, la Somalie ou encore le Nigeria ne sont pas des pays à tel point ravagés par la guerre que les locaux n’ont d’autres solutions que de les fuir. Bien que ces personnes ont l’obligation de partir, une récente étude de la Cour des comptes française démontre que seulement 1% d’entre eux quittent réellement le territoire[4]. Ceci représente un énorme appel d’air pour tous ceux qui ne sont pas véritablement en danger dans leur pays et qui veulent simplement atteindre l’Europe pour des raisons économiques. Comment cela se fait-il que ces personnes finissent par rester ? Ceci est principalement lié au fait que, durant le temps de traitement des demandes d’asile, elles s’implantent, font des enfants ou les scolarisent et deviennent finalement inexpulsables. En effet, la demande qui passe par l’Office des Etrangers puis le CGRA dure toujours, malgré le bon travail de Maggie De Block, en moyenne entre 6 à 12 mois sans compter les recours devant le Conseil du Contentieux des Etrangers et, en dernière instance, le Conseil d’Etat qui peuvent faire tripler ces délais. Cette crise de l’asile et les 4 000 à 5 000 demandes que recueille l’Office des Etrangers par mois – seuil limite de 250 demandes par jour -, surchargeant les fonctionnaires, ne vont pas améliorer les statistiques.

Par ailleurs, certes beaucoup d’experts considèrent la présence parmi les migrants d’éventuels radicaux isolés ou sbires de l’Etat Islamique prêts à passer à l’acte comme très peu probable, car il existerait des moyens plus efficaces tels que la radicalisation des jeunes occidentaux (Mehdi Nemmouche, les frères Kouachi) ou organiser un aller-retour – faux-passeport, réseaux – Europe-Moyen-Orient d’un terroriste pour le former. Cependant, cela n’enlève pas l’éventualité que certains d’entre puissent prendre part à ces mouvements de population. A cet effet, le très sérieux Daily Mail titrait il y a quelques jours que, d’après des propos confiés par le ministre libanais de l’éducation à David Cameron, 2 migrants syriens sur 100 sont des combattants de l’Etat Islamique[5]. L’avertissement est d’autant plus crédible qu’il est donné par le pays le plus ouvert envers les migrants ; il en accueille jusqu’à 40% de sa population.

Solutions hypocrites : une politique des quotas et une ouverture totale des frontières

Au sein d’une Europe où la liberté de circulation des personnes est totale, il est absurde de vouloir effectuer une répartition des migrants à travers l’espace Schengen.

En effet, on n’empêchera jamais un migrant qui est envoyé à Ljubljana en Slovénie ou à Tallinn en Estonie de ne pas se diriger vers Paris ou Bruxelles, phares européens aux systèmes sociaux beaucoup plus généreux et attractifs. A titre d’exemple, la Slovaquie avait enregistré 130 demandes d’asile fin juillet. De plus, l’attrait n’est pas seulement lié au montant des potentielles allocations sociales ou familiales, mais également à l’accueil que leur réservent les autochtones. Les peuples de l’Est ont toujours été plus réservés, méfiants quant à l’étreinte de la mentalité multiculturelle et cosmopolite. Les migrants en ont conscience et fuient cette hostilité vers l’Ouest.

Cette charge d’émotion fait également aboutir à d’autres solutions folles telles qu’une ouverture massive des frontières. Cette dernière nie fondamentalement l’existence de peuples et de cultures différentes qui demandent temps et efforts pour s’apprivoiser mutuellement, se comprendre et finalement « vivre ensemble ». La croyance en un « individu mondial « , un « homo economicus » débarrassé de sa composante culturelle et identitaire, « une planète lisse, sans affrontements, rendue à son innocence » comme le disait le philosophe Régis Debray, est une folle illusion qui mène à des fractures sociales irrémédiables. La triste vérité est que dès que l’on enlève une frontière, trois murs se créent. Il est surprenant de constater que dans un monde globalisé, il n’y ait jamais autant eu de velléités nationalistes et indépendantistes. Je suis étonné que certains invoquent les migrations du passé – diasporas italienne et polonaise, exilés européens pendant les guerres mondiales – pour diminuer le caractère inquiétant de la crise des migrants. Cependant, comparaison n’est pas raison : la Belgique industrielle de l’époque, au besoin cruel de main-d’oeuvre peu qualifiée partageant une culture très similaire, a rencontré peu de difficultés à intégrer ces peuples. Quant aux migrations entre pays européens en temps de guerre, ces exilés revenaient chez eux une fois la fin des combats. Enfin, l’ouverture des frontières obligerait le déploiement de moyens énormes alors que l’on sait que 15% des Belges vivent actuellement sous le seuil de pauvreté et que l’on peine à financer nos futures pensions.

Créer un statut spécifique pour les réfugiés de guerre et installer des centres d’accueil et de rétention dans les pays autour de Schengen

Je ne sors pas ces propositions de ma poche ; elles font partie du plan proposé par Nicolas Sarkozy au début du mois[6] en réponse à la crise des migrants. Au milieu de l’inanité des messages politiques de tous bords, ces pistes de solution m’ont semblé constituer un début de réponse à la situation que nous affrontons. La première proposition est de créer un statut spécifique pour le réfugié de guerre qui se placerait entre le réfugié économique et le réfugié politique. Tandis que le réfugié politique renverrait à la personne qui subit une menace personnelle de mort imminente pour des raisons politiques, de race ou de religion, le réfugié de guerre, quant à lui, renverrait à la personne qui fuit la fureur des combats. Le réfugié politique se verrait octroyer un visa de 10 ans renouvelable, à l’instar de la France, et non à durée illimitée, tandis que le réfugié de guerre quitterait le territoire une fois l’arrivée d’une paix plus ou moins stable dans son pays d’origine.

La deuxième proposition est d’installer des centres d’accueil et de rétention, semblables aux camps de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, financés par l’Europe, dans tous les pays autour de l’Espace Schengen c’est-à-dire à l’Est – Turquie, Croatie, Serbie, Roumanie,…- ainsi qu’au Sud, de l’autre côté de la méditerranée, au sein des pays d’Afrique du Nord. Ces établissements, en plus de loger et nourrir les migrants, auraient la vocation administrative d’instruire les demandes des réfugiés politiques et des réfugiés de guerre. Cela réduirait considérablement le bon nombre de drames humains insupportables que nous avons connus tout le long de l’été. Ces pays accueilleraient sûrement ces centres d’un bon oeil, car les migrants ne font que passer ; ils ne veulent pas rester chez eux et ces pays ont une capacité d’accueil limitée. Lorsqu’ils seront opérationnels, la politique des quotas prendra sens, car le migrant se verra octroyer un statut de réfugié politique ou de guerre par un Etat spécifique et ne pourra ainsi plus demander le même statut dans un pays plus « favorable ».

[1] Le Figaro, « Michel Onfray : criminalise la moindre interrogation sur les migrants », 10/09/2015.

[2] Site officiel du Commissariat Général aux Réfugiés et Apatrides.

[3] Art. 12bis §1er 2° du Code de la nationalité belge.

[4] Le Figaro, « Droit d’asile : le rapport explosif de la Cour des comptes », 12/04/2015.

[5] The Daily Mail, « Two 100 Syrian migrants are ISIS fighters, PM is warned: Lebanese minister tells Cameron jihadists are coming ‘under cover’ to attack the west », 14/09/2015.

[6] Le Figaro, « Crise des migrants : le plan de Sarkozy », 10/09/2015.

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