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Mexique: les zones d’ombres de la lutte contre le narcotrafic

Confronté à la menace chaque jour plus sérieuse du narcotrafic, le Mexique, appuyé par son mentor américain, est accusé de tolérer de graves dérives dans sa lutte contre les cartels de la drogue.

Assassinats et tortures par les forces de l’ordre, exactions de milices paramilitaires, accusations de complaisance vis-à-vis de certains cartels, ratages des agents américains infiltrés dans les réseaux de narcotrafic. La terrible lutte entre l’État mexicain et les mafias de la drogue qui gangrènent ce pays s’accompagne de nombreux abus.

Les forces de sécurité en accusation
« Au lieu de réduire la violence, la guerre contre les narcotrafiquants du Mexique a provoqué un accroissement dramatique de la quantité d’assassinats, de tortures et autres abus de la part des forces de sécurité », dénonçait la semaine passée l’organisation Human Rights Watch (HRW). Ce combat a provoqué une « augmentation dramatique » du nombre d’assassinats, de tortures et d’abus de la part des forces de sécurité, expliquait José Miguel Vivanco, directeur de HRW pour les Amériques.

Plus de 45 000 personnes sont mortes au Mexique, selon des chiffres officiels et des comptages de la presse, depuis l’offensive lancée à son arrivée au pouvoir fin 2006 par le président Felipe Calderon contre les narcotrafiquants, avec l’appui de l’armée.

HRW assure avoir « des preuves qui suggèrent fortement que les membres des forces de sécurité mexicaines auraient participé à plus de 170 cas de torture, 39 disparitions et 24 exécutions extrajudiciaires » depuis décembre 2006. Le ministère de la Justice reconnaît, selon HRW, que sur les quelque 45 000 homicides enregistrés depuis le début de l’offensive déclenchée en 2006 par le président Calderon, seuls 997 ont été l’objet d’une enquête et 22 cas seulement ont abouti à des condamnations.

Des milices paramilitaires à l’oeuvre
Autre point noir dans l’évolution de la lutte contre les cartels, l’apparition de groupes paramilitaires. Cette évolution est très inquiétante au vu du précédent colombien. Selon la Commission colombienne des juristes, les paramilitaires Colombiens ont fait environ 14 000 victimes entre 1996 et 2006 et sont aussi responsables de la grande majorité des 3,5 millions de déplacés par la guerre.

En septembre, une cinquantaine de cadavres ont été retrouvés dans la région de Veracruz, victimes d’un groupe paramilitaire. Celui-ci est toléré par le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), qui gouverne cet État, indique le journal mexicain Proceso. Ces milices sont surnommées les « MataZetas », les « Tueurs de Zetas » -la bande des Zetas, bras armé du Cartel du Golfe, est l’une des organisations les plus violentes du Mexique. Les « MataZetas » sont apparus pour la première fois fin juillet dans une vidéo postée sur internet montrant un groupe d’hommes masqués annonçant son intention « d’éliminer » le cartel des Zetas.

Les ratages des agents américains
Les opérations d’infiltration menées par les agences américaines ont parfois donné lieu à de sérieuses déconvenues. Ainsi, l’opération « Fast and Furious », lancée en juillet 2010 par l’Agence fédérale sur l’alcool, le tabac et les armes (ATF), a abouti, selon un rapport parlementaire, à la perte des quelque 2000 armes que l’agence avait fait passer en contrebande au Mexique afin de piéger des membres de cartels mexicains en suivant à la trace ces armes.

Selon ce même rapport, au moins 122 de ces armes ont finalement été utilisées pour perpétrer des crimes au Mexique, et deux d’entre elles ont été retrouvées sur la scène du meurtre d’un garde-frontière américain en décembre 2010 en Arizona.

« Cette opération était imparfaite dans sa conception tout autant que dans sa mise en oeuvre », déclarait le 8 novembre le ministre américain de la Justice Eric Holder, devant une commission du Sénat. « Malheureusement, nous allons en ressentir les effets pendant les années à venir », a poursuivi le ministre, qui a dû faire face à des appels à la démission lorsque l’affaire a éclaté, au début de l’année.

Début octobre, Eric Holder avait nié avoir eu connaissance de l’opération « Fast and Furious », soulignant savoir que l’ATF menait des opérations contre le trafic d’armes à la frontière américano-mexicaine sans connaître les méthodes employées.

Plus grave, Frédéric Saliba, le correspondant au Mexique du Monde rapporte que l’un des avocats du fils d’un des dirigeants du cartel de Sinaloa, « El Vicentillo », extradé aux États-Unis, en mars 2010, accuse le gouvernement américain de protéger le cartel de Sinaloa. Ces accusations se basent sur le témoignage de « Humberto Loya Castro, à la fois informateur de la DEA et proche des chefs du cartel de Sinaloa. Ce dernier aurait négocié un pacte d’immunité avec l’agence américaine, dont « El Chapo » et « El Vicentillo » seraient les bénéficiaires, en échange d’informations sur des organisations concurrentes », explique le quotidien qui précise que le département de la justice américaine a démenti ces informations.

Les ambigüités du pouvoir vis-à-vis du cartel de Sinaloa
Au Mexique, des hommes politiques et des journalistes accusent depuis plusieurs années, le Parti d’action nationale (PAN), au pouvoir depuis l’an 2000, de protéger le cartel de Sinaloa, accusation que cette formation rejette. Ce cartel, l’un des plus puissants, est dirigé par Joaquin Guzman, dit « El Chapo » que la revue américaine Forbes a ajouté au classement des personnes les plus influentes du monde, depuis 2009. Il est à la tête d’une fortune d’un milliard de dollars.

Selon Ricardo Ravelo, auteur de plusieurs livres sur les trafiquants de drogue, « El Chapo a bien su corrompre le pouvoir politique ». Mais la mansuétude des États-Unis serait aussi en cause: On aurait vu « El Chapo » à plusieurs reprises avec sa dernière épouse, une reine de beauté de 22 ans qui a donné naissance à des jumeaux en août dans un hôpital de Los Angeles. Curieux quand on sait que Washington offre 5 millions de dollars pour la capture du milliardaire.

Alors que se profile une année électorale tant aux États-Unis qu’au Mexique en 2012, nul doute que la question du narcotrafic et des moyens de lutte contre ce fléau resterons au coeur des débats des deux côté du Rio Grande.


Catherine Gouëset

Les cartels au service d’un complot iranien à Washington?

Les États-Unis ont accusé, en octobre, les forces spéciales des Gardiens de la révolution iraniens d’un complot destiné à tuer l’ambassadeur d’Arabie saoudite à Washintgton. Pour ce faire, ils auraient fait appel à un agent américain qui se faisait passer au Mexique pour un membre du cartel Los Zetas. Pourtant, les connaisseurs des narcotrafiquants voient mal l’intérêt qu’auraient eu ces derniers à provoquer la colère de Washington, avec pour effet de porter atteinte au coeur du « narcobusiness », c’est-à-dire la vente de drogue aux États-Unis.

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