Samedi 26 août, à Las Vegas, Floyd Mayweather affrontera Conor McGregor dans un combat par avance déséquilibré. Mais qui rapportera des centaines de millions de dollars à l'un comme à l'autre. © AFP

Mayweather-McGregor, un intérêt sportif nul, mais un spectacle aux énormes enjeux financiers

Le Vif

Ce 26 août, Las Vegas sera le théâtre du « combat du siècle » entre le champion du monde de boxe Floyd Mayweather et le roi du MMA (ou Mixed Martial Art, où presque tous les coups sont permis) Conor McGregor. Le Vif/L’Express a demandé à l’écrivain français Nicolas Zeisler de présenter ce spectacle aux enjeux financiers inversement proportionnels à l’intérêt sportif.

En boxe, il ne faut jamais se fier aux apparences. Surtout de nos jours. Trop de pognon en jeu. C’est que la boxe est devenue un business. Ce 26 août, l’Américain Floyd Mayweather, 40 ans, 49 victoires en autant de combats, va sans doute empocher plus de 300 millions de dollars. L’Irlandais Conor McGregor, 29 ans, rival ou associé – c’est selon -, au moins 100 millions pour son premier combat de boxe professionnelle. Les spectateurs présents dans l’enceinte de la T-Mobile Arena de Las Vegas auront déboursé entre 500 et 10 000 dollars. Pour un combat qui n’a strictement aucun intérêt sportif.

La promotion a beau nous rebattre les oreilles du sempiternel  » combat du siècle « , rarement un match de cette envergure n’aura présenté un tel déséquilibre. Les faits sont têtus. Malgré un jeu de poings plus qu’honorable pour un habitué de la cage, McGregor ne fait pas le poids sur un ring. Et encore moins devant l’un – si ce n’est le – meilleur boxeur du moment.

Chacun son sport, chacun chez soi, serait-on tenté de hurler aux deux hommes ainsi qu’aux organisateurs. Les précédents malheureux ne manquent pas. En 1976, Muhammad Ali avait relevé le défi du Japonais Antonio Inoki. Privé de ses armes habituelles (projections, blocage des jambes), le catcheur avait passé une bonne partie des 15 rounds posé sur ses fesses, à balancer des coups de pied facilement évités par Ali. Quant à ce dernier, il n’avait en tout et pour tout porté que six coups. Pour un ennui mortel et un match nul logique. Ces dernières années, surfant sur le succès croissant de l’UFC (Ultimate Fighting Championship), la principale organisation de Mixed Martial Art, quelques boxeurs ont emprunté le chemin de McGregor en sens inverse. Ainsi, l’ancien champion du monde des lourds-légers, James Toney, mis au sol dès les premières secondes de son combat contre Randy Couture et contraint à l’abandon par étranglement un triste soir d’août 2010.

Peu importe que les gens paient pour vous voir perdre ou gagner

Qu’on fasse autant de foin d’un tel combat n’est pas sans poser quelques questions. Celle de la prise de pouvoir du marketing sur le sportif, notamment. Le premier round a eu lieu en ligne, sur les réseaux sociaux, où les deux hommes se sont copieusement insultés et font un étalage quotidien de leur mauvais goût légendaire à coups de billets verts, de voitures de sport et de tenues improbables. Et puis, plus intéressant, l’incontournable lucky punch. Entre quatre cordes, un simple coup de poing peut tout faire basculer, à n’importe quel moment. C’est le charme de la boxe. C’est ce qui fait sa dramaturgie. C’est aussi la porte ouverte à des combats plus que douteux, dont celui de samedi est un parfait exemple.

Reste que deux hommes vont monter sur le ring. Cela vaut le coup d’oeil, bien que l’on puisse présager de l’issue de la rencontre. Un combat, c’est une collision. Deux trains qui viennent de très loin et qui foncent l’un vers l’autre à toute allure.

Dans le coin gauche, Floyd Mayweather Junior, de Grand Rapids, Michigan. Un type qui a la boxe dans le sang. A 4 ans, perché sur une chaise, il tapait déjà dans la poire de vitesse. Son père, Floyd Senior, fut un solide poids welters chez les professionnels et son oncle, Roger, surnommé Black Mamba, plusieurs fois champion du monde. Ils lui ont tout appris. Cette boxe défensive, cette science de l’esquive, cette façon si caractéristique de protéger son menton derrière l’épaule, le fameux shoulder roll, il les pratique depuis ses débuts. Avant de passer pro à 19 ans, il a remporté trois fois les Golden Gloves et obtenu le bronze aux Jeux olympiques d’Atlanta, en 1996. Surnommé Pretty Boy pour son visage immaculé, il était programmé pour vaincre. Et devenir champion du monde.

Floyd a aussi connu la violence et les vaches maigres. Sa mère se fournissait en came auprès de son père. Et ce dernier n’en manquait pas une pour se mettre dans le pétrin. Comme cette fois où il a pris une balle dans la jambe, avec Floyd, 1 an, dans les bras. Quelques années plus tard, il est tombé pour trafic de drogue. Il a passé trois ans et demi derrière les barreaux.

Pro dès ses 19 ans, Floyd
Pro dès ses 19 ans, Floyd « Pretty Boy » Mayweather était programmé pour devenir champion du monde.© Al Bello/getty images

Contrairement à son paternel, Floyd Mayweather mène sa barque de façon extrêmement méticuleuse. Rien n’est laissé au hasard. Sa fiche de boxeur en témoigne. Il a affronté les meilleurs, certes. Mais pas n’importe quand, ni n’importe comment. Toujours au bon moment. Et au bon poids. Oscar de la Hoya, Shane Mosley, Manny Pacquiao étaient déjà sur la pente savonneuse. Canelo Alvarez, trop vert. Juan Manuel Marquez, trop léger. Mieux que quiconque, Floyd a compris qu’en boxe on a son corps pour seul capital. Il faut en prendre soin, le protéger, le choyer. On parle de calculs d’apothicaire, d’équations difficiles à résoudre. Chaque combat vous fait gagner en expérience. Chaque coup encaissé vous rapproche de la fin. George Chuvalo, un poids lourd canadien des années 1960-1970 doté d’une mâchoire en acier trempé, faisait remarquer que  » certains peuvent encaisser plus de coups que d’autres. Et on ne peut rien y faire « . Marcel Cerdan, lui, a avoué que, passé un certain seuil, tous les coups faisaient mal. Dans le doute, Floyd Mayweather a toujours veillé à en prendre le moins possible. Aucun de ses adversaires n’a donc été choisi au hasard. Charge à lui, ensuite, de finir le travail.

En 2007, quand il a quitté l’expérimenté promoteur Bob Arum pour se mettre à son compte, Pretty Boy est devenu Money Mayweather. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le bonhomme a le sens des affaires. La boxe est un métier. Le corps, un capital. L’enjeu ? Empocher le plus d’argent possible en limitant les risques. Pour son cinquantième combat, celui qui devrait lui valoir de dépasser Rocky Marciano, bloqué à quarante-neuf victoires, Floyd va au bout de sa logique. En expédiant la formalité McGregor, deviendra-t-il pour autant le plus grand boxeur de l’histoire ? C’est ce qu’il prétend nous faire avaler.

On peut respecter cette manière de faire. Après tout, c’est Mayweather qui se produit entre les cordes. Il assume seul les risques du métier. Sauf que les légendes sont faites d’un autre bois. Un bois autrement plus amer. Celui de l’échec. Il faut aller au tapis pour savoir ce que l’on a dans le ventre. Il faut tomber pour trouver en soi la force de se redresser et de continuer la bataille. C’est Ali qui se relève après le crochet du gauche atomique de Joe Frazier, le 8 mars 1971. C’est Foreman qui revient, vingt ans après, chasser les fantômes de Kinshasa en reconquérant le titre de champion du monde des lourds. Floyd Mayweather est un grand boxeur, pas une légende, quelle que soit l’issue du combat.

Quand tout sera fini, il sera temps de faire tomber les masques

Conor McGregor, lui, a goûté à la défaite. Trois fois. Mais dans la cage, perdre n’a rien d’éliminatoire. A cet égard, l’UFC a un temps d’avance sur le petit marigot de la boxe et n’hésite pas à orchestrer les come-back de ses champions défaits.

Dans le coin droit, donc, Conor McGregor a vu le jour dans les quartiers sud de Dublin, à Crumlin plus précisément. Pas l’ombre d’un père ou d’un oncle boxeur mais une salle juste à côté du terrain de foot qu’il fréquente. Dans un quartier relativement violent où le trafic de drogue est florissant, McGregor ne tarde pas à changer de sport et à obtenir ses premiers succès chez les amateurs, avant de bifurquer vers le MMA. A 16 ans, l’adolescent caresse le rêve un peu fou de devenir un champion. Il sera d’abord apprenti plombier. Sur les chantiers dix heures par jour, il s’entraîne à l’aube ou le soir, et combat le week-end. Il tiendra un an à ce régime avant de remiser les tuyaux. Depuis, il raconte à qui veut l’entendre que ce sont les regards vides de ses compagnons d’infortune qui l’ont décidé à tout miser sur le sport. Aujourd’hui, McGregor possède un yacht : The 188, soit le nombre de semaines pendant lesquelles il a touché l’assistance sociale en attendant de percer. La veille de son premier combat à l’UFC, il a encaissé son dernier chèque : 180 euros pour joindre les deux bouts. C’était en 2013. Une victoire et un bonus de 60 000 dollars pour le KO de la soirée plus tard, rien ne serait jamais plus comme avant. McGregor est désormais double champion du monde à l’UFC et sans doute le combattant le plus charismatique de l’organisation. Il a trouvé son public, les Irlandais des deux côtés de l’Atlantique, et définitivement mis sa famille à l’abri du besoin. Ce qui ne l’a pas empêché de signer le plus beau contrat de sa carrière en acceptant de rencontrer Floyd Mayweather ce 26 août sur un ring de Las Vegas.

Double champion du monde à l'UFC, Conor McGregor est assurément le combattant le plus charismatique de l'organisation.
Double champion du monde à l’UFC, Conor McGregor est assurément le combattant le plus charismatique de l’organisation.© Jeff Bottari/Zuffa LLC/getty images

Ces dernières semaines, les deux hommes ont échangé des noms d’oiseaux sous l’oeil bienveillant des caméras. Histoire de faire monter la sauce. En réalité, ils se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Deux frères jumeaux. Comme Ali en son temps, ils ont retenu la leçon des catcheurs : en bien ou en mal, tous les moyens sont bons pour faire parler de soi. Dans un monde qui ne jure que par les chiffres du pay-per-view, peu importe que les gens paient pour vous voir perdre ou gagner. Qu’ils paient, voilà l’essentiel. Le sport est un spectacle, le show, un business, et tout cela est rudement bon pour les affaires. Les deux hommes jouent à se faire détester. Mais, le risque quand on se construit un personnage, c’est de se perdre en route. Le risque, c’est de devenir son propre Frankenstein.

Qui sont Floyd et Conor ? Le savent-ils encore eux-mêmes ? Jadis, la boxe était une école d’énergie et d’estime de soi. C’était l’effort et l’âpreté de la jeunesse. C’était le plaisir de l’Etre, le mépris souverain de la dictature de l’Avoir. Ils ont connu ça, aucun doute là-dessus : ils ont passé les plus belles années de leur vie à suer sang et eau dans des salles miteuses. Pourtant, ils n’ont que des insultes et des dollars à la bouche. Peut-être qu’après le dernier coup de gong, ils s’embrasseront et déclareront d’une même voix que c’était pour de faux, que ça faisait partie du jeu, qu’ils sont les meilleurs amis du monde, en somme.

Quand tout sera fini, quand il n’y aura plus de caméras, ni public, ni publicité. Seulement le silence d’une chambre d’hôtel. Quand les deux hommes panseront les plaies d’une nuit, d’une vie ou d’une carrière. Seuls. Alors, il sera temps de faire tomber les masques. Et l’on connaîtra enfin les vainqueurs et les vaincus.

Animateur du site cultureboxe.com et auteur de Beauté du geste (éd. du Tripode, 200 p.) qui dresse le portrait de figures mythiques de la boxe du xxe siècle (de Jim Jeffries à Mike Tyson).

Par Nicolas Zeisler.

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