Pour Manuel Valls, la réponse au salafisme, "c'est d'abord à l'islam lui-même de la formuler". © Éric Garault

Manuel Valls : « je revendique un nouveau patriotisme »

Christophe Barbier
Christophe Barbier Directeur de la rédaction de L'Express

Islam, chômage, primaire, avenir de la gauche… Le Premier ministre français, dans une interview exclusive, tire les premières leçons du quinquennat de François Hollande. Presque un bilan collectif, pas encore un projet personnel…

Face au terrorisme, vous appelez à développer une culture de la sécurité collective. A quoi pensez-vous, très précisément ?

Nous sommes en guerre ! Nous sommes sortis d’une période d’insouciance. Il faut donc une mobilisation de tous, de l’Etat et de chaque Français. Chacun doit adapter son comportement : être prudent dans les déplacements, dans les manifestations et intégrer cette menace. Une autre culture de sécurité, c’est aussi un changement dans les mentalités : comprendre que la menace va durer, sortir des polémiques et de la recherche systématique de boucs émissaires… C’est enfin s’unir autour de l’essentiel, la défense de la patrie. Je revendique un nouveau patriotisme.

En avril 2016, vous disiez :  » Les groupes salafistes sont en train de gagner la bataille.  » Persistez-vous ?

J’avais dit qu’ils étaient en train de gagner la bataille de la communication sur les réseaux sociaux. Je ne retire rien à ces propos. Le salafisme s’étend – même s’il reste minoritaire – car en France, en Europe, dans le monde, il manque une réponse puissante pour le faire reculer. Cette réponse, c’est d’abord à l’islam lui-même de la formuler. Nous devons l’aider à assumer son rôle face à ce défi redoutable qui nous est lancé par l’islamisme radical et le djihadisme.

S’agit-il d’une guerre politique pour prendre le pouvoir, y compris en Occident ?

C’est une guerre tous azimuts. L’islamisme radical, c’est une idéologie totalitaire qui veut soumettre tout ce qui n’est pas elle, c’est-à-dire toutes les démocraties. Il tente de conquérir lentement l’espace public en instrumentalisant les droits individuels. Le but de cette démarche, prosélyte, politique, nourrie de théorie du complot et d’antisémitisme : faire éclater la société en communautés antagonistes. La France est visée parce que c’est une grande démocratie, parce que celle-ci a des racines chrétiennes, la plus vieille communauté juive d’Europe, parce que l’islam est la deuxième religion. C’est le pays de 1789, des droits de l’homme, l’inventeur de la laïcité, de la séparation des Eglises et de l’Etat. Un pays qui mène la guerre contre l’islamisme radical au Levant et au Sahel. Si la France démontre que l’islam est compatible avec la démocratie, avec nos valeurs, conviction partagée par la grande majorité de nos concitoyens musulmans, nous ferons subir une défaite retentissante à l’Etat islamique, mais aussi plus généralement au fondamentalisme musulman. Cela passe par l’assimilation, l’intégration de l’islam. Oui, j’assume ces mots. Il faut une assimilation, de la même manière que les autres cultes se sont sécularisés. Nous devons bâtir un islam français, européen, occidentalisé, avec nos traditions et nos valeurs.

Nous devons bâtir un islam français, européen, occidentalisé, avec nos traditions et nos valeurs »

Si le burqini asservit la femme, pourquoi ne pas l’interdire ?

Je crois au tranchant de la loi, du droit, de la réglementation. La France est faite ainsi. Nous avons légiféré pour les signes ostentatoires à l’école en 2004, pour le voile intégral dans l’espace public en 2010. J’ai voté ces lois. Il faut refuser les revendications communautaires, par exemple celle qui vise à imposer des menus halal dans les cantines scolaires. Il faut des menus de substitution, bien sûr, comme cela existe déjà, mais ne pas accepter la logique de l’islamisme politique. Je continue de m’interroger sur le port du voile à l’université, même si je connais les difficultés constitutionnelles et juridiques d’une interdiction. Au moins durant les cours, ce voile, souvent un signe d’asservissement des femmes, ne devrait pas être accepté. Concernant le burqini, les arrêtés des maires apportent une réponse. Comme la burqa ou le hidjab, il est le symbole du combat d’une minorité qui cherche à enfermer les femmes, et à prendre en otages les Français de confession ou de culture musulmane. Ces provocations affaiblissent la communauté nationale en accréditant les thèses intégristes, alimentant par ailleurs la rhétorique xénophobe. Nous demandons beaucoup aux musulmans de France et à l’islam, une religion présente en France depuis très longtemps, et réellement installée avec l’immigration de ces trente ou quarante dernières années. Je suis convaincu que l’islam est compatible avec la République française. Celle-ci doit être bienveillante avec les musulmans. Ils trouveront toujours l’Etat à leurs côtés pour les protéger. Ils doivent quant à eux affirmer un soutien total à la laïcité.

Le taux de chômage étant à 9,9 %, diriez-vous que l’inversion de la courbe du chômage est là et que François Hollande peut se représenter ?

J’ai conscience que le chômage et la précarité sont le quotidien de beaucoup trop de Français, que la crise de confiance demeure. Mais nous avons des résultats que nous devons revendiquer. Le président de la République a un bilan qu’il peut défendre sans rougir.

Y a-t-il trop de prétendants à la primaire ?

En écho à une récente déclaration de son ministre de l'Economie, Emmanuel Macron, Manuel Valls clame :
En écho à une récente déclaration de son ministre de l’Economie, Emmanuel Macron, Manuel Valls clame : « Moi, je suis socialiste. »© Éric Garault

Je n’étais pas favorable à l’organisation d’une primaire à gauche avec un président sortant. Cela heurte ma conception de la Ve République, cela pousse à la fragmentation. Mais elle a été annoncée. Elle sera organisée et elle devra aboutir au rassemblement. Car la prochaine élection présidentielle, en 2017, est l’une des plus complexes et, surtout, des plus périlleuses depuis 1965 (NDLR : la deuxième élection présidentielle au suffrage universel direct remportée par de Gaulle). Le FN sera au coeur de ce rendez-vous. Un  » bloc réactionnaire  » s’est constitué dans notre pays, comme le dit Jean-Christophe Cambadélis (NDLR : le premier secrétaire du Parti socialiste français), avec une droite très dure et l’extrême droite. La gauche doit être consciente qu’elle peut être éliminée dès le premier tour. J’en appelle donc à la responsabilité de chacun.

Comment éviter la division ?

J’ai moi-même été candidat à la primaire du PS, quand nous étions dans l’opposition, en 2011, donc je ne contesterai à personne le droit de se lancer. Mais chacun doit réfléchir au rôle qu’il entend jouer. Il faut un grand esprit de responsabilité. Il faut être à la hauteur des enjeux, pour la gauche, bien sûr, mais d’abord pour la France.

Benoît Hamon, Arnaud Montebourg, Cécile Duflot : pourquoi autant d’anciens ministres se portent-ils candidats ?

C’est d’abord à eux qu’il faut le demander. Pourquoi, après avoir été solidaires et participé à l’action gouvernementale, une telle violence dans les mots, qui ne sert ni leur démarche, ni la gauche ? Le moment oblige à beaucoup de gravité, de rigueur intellectuelle. La primaire n’est pas un congrès du PS. La présidentielle non plus.

Est-ce le temps de la clarification ?

Oui, il faut assumer les choix que nous avons faits au nom de ce social-réformisme que je porte : le réalisme, le pragmatisme, l’efficacité au service de la justice sociale. Nous avons ainsi baissé les charges des entreprises depuis 2014. C’est irréversible : chacun s’accorde désormais à dire qu’il faut soutenir la compétitivité de nos entreprises. Mais nous avons aussi baissé la fiscalité des ménages après le choc fiscal de la fin du précédent quinquennat et du début de celui-ci, qui a provoqué un  » ras-le-bol fiscal « .

La gauche peut-elle gagner ?

Celui qui, malgré la montée des populismes, portera un projet profondément républicain, démocratique, qui incarne l’Etat de droit face à l’arbitraire, la défense des libertés, la lutte contre les discriminations, l’égalité portée par l’école de la République, sera le candidat écouté par les Français. Or, ce projet n’est pas celui de l’extrême droite ni celui de Nicolas Sarkozy. Je reste donc convaincu que la gauche peut gagner la présidentielle, qu’elle doit apporter ses propres réponses face à la montée du pessimisme, du déclinisme et de la morosité. Les Français doivent porter un regard plus positif sur eux-mêmes. La France est un grand pays dont il faut être fier.

Diriger le gouvernement, est-ce plus dur que vous ne l’aviez imaginé ?

Non. C’est passionnant ; c’est une responsabilité, un honneur incroyable. J’ai cette gravité qui s’est imposée et, en même temps, je prends plaisir – si le mot veut dire quelque chose dans l’action gouvernementale – à ma tâche quotidienne.

Si la gauche perd en 2017, peut-elle disparaître ?

La gauche ne disparaîtra pas ; ses valeurs de justice sociale, sa conception de la République, non plus. Mais il y a une crise profonde de la social-démocratie en Europe. Elle n’a pas su répondre au nouveau monde dessiné par la chute du mur de Berlin et par la crise de l’Etat providence dans la mondialisation. La menace terroriste, la crise des réfugiés, les peurs identitaires font prospérer les populismes et mettent en difficulté les réponses traditionnelles de la gauche et de la social-démocratie. Il faut donc nous réinventer, sinon nous disparaîtrons. Quel que soit le résultat de l’élection présidentielle, l’idée que l’on reviendrait, après 2017, à la politique d’avant, avec les mêmes mots, les mêmes formules, les mêmes rapports de forces, serait une faute.

Emmanuel Macron affirmant, le 19 août, qu’il n’est pas socialiste : une provocation ?

Je n’ai pas de désaccord avec Emmanuel Macron. Il est membre de mon gouvernement, nous l’avons choisi avec le président de la République, à la fin d’août 2014, pour être le ministre de l’Economie. Il est en accord avec la politique que nous menons. Je n’ai aucune raison de mettre en doute sa loyauté. Dans le moment que nous vivons, dans les responsabilités qui sont les miennes, je sais d’où je viens et où je vais. Moi, je suis socialiste, c’est ma famille politique. J’y suis engagé depuis 1980. Je sais ce qu’est ma gauche et, en même temps, je suis profondément républicain. Chacun connaît mes références, mes modèles, de Georges Clemenceau à Michel Rocard.

Entretien : Christophe Barbier, Corinne Lhaïk, Marcelo Wesfreid – Photos : Éric Garault.

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