Juan Guaido, meneur de l'opposition et président autoproclamé, à la sortie de la messe à Caracas. © Carlos Barria/reuters

« Maduro ne peut pas rester en place »

Sous les coups de boutoir de l’opposition appuyée par le Brésil, les Etats-Unis et l’Union européenne, le pouvoir du président Nicolas Maduro vacille, sur fond de profonde crise économique. Décryptage.

Six pays européens (Espagne, France, Allemagne, Royaume-Uni, Portugal, Pays-Bas) ont donné, le 26 janvier, au président vénézuélien Nicolas Maduro huit jours pour convoquer des élections, faute de quoi ils reconnaîtront Juan Guaido, président de l’Assemblée nationale, comme chef de l’Etat. Successeur du révolutionnaire Hugo Chavez, Nicolas Maduro a rejeté cet ultimatum. Quelle sortie de crise pour ce pays producteur de pétrole, mais aujourd’hui incapable de subvenir aux besoins de sa population ? Entretien avec Frédéric Lévêque, un des rares connaisseurs belges de la république bolivarienne, et animateur du site barril.info.

Les Etats-Unis et l’Union européenne soutiennent un président autoproclamé, n’y a-t-il pas là un problème démocratique ?

Oui, il s’agit d’une intervention grossière dans les affaires d’un pays souverain. Mais le scrutin présidentiel du 20 mai 2018 était-il légitime ? Non, disent beaucoup d’observateurs. En 2012, le Centre Jimmy Carter avait décrété que le système électoral du Venezuela était le meilleur du monde, ce dont se glorifie encore l’actuel gouvernement. Sauf que, depuis 2012, c’est le délabrement. Le problème du pays n’est pas le système électoral mais l’écosystème. Le gouvernement utilise les ressources de l’Etat pour favoriser la réélection de ses candidats par une politique ouvertement clientéliste, via des aides sociales. Le Conseil national électoral (CNE), qui lui est proche, n’a plus été renouvelé. Les règles ont été compliquées pour l’enregistrement des partis. Ce n’est pas de la grosse manipulation style bourrage des urnes, mais un ensemble de fraudes qui font pencher la balance dans un seul camp.

En 2015, c’est tout de même l’opposition qui l’a emporté à l’Assemblée nationale, non ?

Le problème, c’est qu’à partir de cette année, quand l’opposition a obtenu deux tiers des sièges à l’Assemblée nationale et un pouvoir de blocage, l’Etat de droit a commencé à être saucissonné. La Cour suprême a invalidé l’élection de quatre députés pour une supposée fraude, faisant tomber la majorité des deux tiers. L’opposition décidera de réintégrer ces députés, ce qui poussera la Cour à placer le Parlement en situation de de desacato (outrage). Le pouvoir n’a jamais voulu résoudre ce problème, soit en prouvant la fraude, soit en organisant un nouveau scrutin. L’opposition a ensuite voulu révoquer Maduro via un référendum, mais le CNE a invalidé ce processus. Entre-temps, le gouvernement s’est octroyé des pouvoirs spéciaux.

Qui sont les opposants à Maduro ? On dit que ce sont surtout des gens de milieux aisés…

De fait, l’opposition représente davantage des populations privilégiées qui vivent à l’est de Caracas, tandis que les soutiens de Maduro se trouvent dans les classes populaires. Mais Maduro a perdu du terrain dans ces secteurs. Des dizaines d’ONG et de syndicats le contestent à présent, tandis que la corruption a produit beaucoup de nouveaux riches. Le clivage riches/pauvres est donc devenu plus complexe tant le pays s’est effondré, avec une perte de 50 % du PIB en cinq ans. Au niveau politique, l’opposition est divisée entre radicaux et modérés. Juan Guaido, celui qui veut renverser Nicolas Maduro, est membre du parti Voluntad Popular du célèbre opposant Leopoldo Lopez. Si le parti est considéré comme d’extrême droite par les chavistes, il fait néanmoins partie de l’Internationale socialiste.

Frédéric Lévêque:
Frédéric Lévêque:  » On n’est plus depuis longtemps dans un projet de gauche au Venezuela. « © dr

Maduro récolte-t-il ce qu’il a semé ?

Successeur du mythique Hugo Chavez, Maduro a hérité d’une économie qui a plongé à la suite de l’effondrement des cours du pétrole, mais n’a rien fait pour arranger les choses. Moi-même, j’ai pris mes distances avec le chavisme dès 2007 quand celui-ci a pris une dimension hégémonique. J’ai découvert le développement de la corruption, le pillage du pays à travers les politiques de change, la surfacturation des produits importés, le manque d’investissements dans l’industrie pétrolière qui a fait chuter la production de deux tiers. Ce qui a déclenché la crise actuelle, c’est la mise hors jeu en 2016 de l’Assemblée nationale, qui a été doublée par une Assemblée constituante – sans l’opposition – dans des circonstances très troubles, et sur fond de contestations violemment réprimées.

De là à poser un ultimatum, l’Union européenne et les Etats-Unis ne risquent-ils pas d’attiser les violences ?

La position de l’Union est plus mesurée car elle appelle à des élections et n’a pas adopté de sanctions financières comme les Etats-Unis. Mais elle peut s’avérer dangereuse aussi tant les tensions sont vives. Certains préconisent une solution à la polonaise comme dans les années 1980, quand les communistes et le syndicat Solidarnosc se sont partagé le pouvoir jusqu’à la tenue d’élections.

Les partisans de Maduro mettent en garde contre un scénario à la chilienne avec le renversement en 1973 du socialiste Salvador Allende. La comparaison tient-elle ?

Allende n’est resté que trois ans au pouvoir contre vingt ans de chavisme. Il a été renversé par Augusto Pinochet, qui était son ministre, et cela en pleine guerre froide, avec l’appui de la CIA. Ici, l’armée vénézuélienne est probablement un des derniers piliers du régime, c’est pourquoi Guaido ne cesse de lui faire des appels du pied avec une loi d’amnistie. Cela dit, tout le scénario de l’autoproclamation de Guaido a été conçu avec l’équipe Trump et les gouvernements conservateurs d’Amérique latine. Trump a désigné un homme fort controversé à la tête du dossier (NDLR : le néoconservateur Elliott Abrams) et collabore avec le président du Brésil Jair Bolsonaro. Je n’aimerais pas me faire libérer par un tel attelage au nom de la démocratie.

Que garder de positif de la révolution bolivarienne lancée par Hugo Chavez ?

La dynamique sociale des premières années, l’investissement dans la démocratie participative… Le charisme que dégageait Chavez m’a peut-être aveuglé. On n’est plus depuis longtemps dans un projet de gauche au Venezuela mais dans un phénomène d’accaparement de l’Etat par un ensemble de groupes. Aujourd’hui, les conquêtes sociales ont été emportées par la catastrophe économique et les citoyens s’exilent par millions. Raison pour laquelle Maduro ne peut rester en place. Mais il s’agira aussi d’écarter l’opposition revancharde.

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