Madeleine Albright © REUTERS

Madeleine Albright met en garde contre une nouvelle forme de fascisme: « Mieux vaut surestimer les populistes »

Le Vif

« Le Troisième Reich ne reviendra plus », affirme l’ancienne secrétaire d’État américaine Madeleine Albright, « mais je suis une optimiste qui s’inquiète fort ».

Âgée de 81 ans, elle aurait pu arrêter de travailler depuis longtemps. Elle peut se remémorer une carrière merveilleuse en tant que diplomate, a écrit six livres très lus et est présidente d’un cabinet de conseil florissant. Mais Madeleine Albright n’aime pas la retraite. Elle est toujours la grande dame de la politique étrangère américaine. Elle a commencé sa carrière comme diplomate en tant qu’ambassadrice américaine auprès des Nations Unies. De 1997 à 2001, elle a été ministre des Affaires étrangères sous la présidence de Bill Clinton. Son nouveau livre porte le titre provocateur « Fascism: A Warning ».

Quand vous regardez le monde aujourd’hui, êtes-vous optimiste ou pessimiste ?

Madeleine Albright: Je suis une optimiste qui s’inquiète fort.

Vous écrivez que vous craignez un retour au climat politique des années vingt et trente. Qu’entendez-vous par là?

Je voulais parler de faits historiques, pas d’émotions. Il y a des similitudes frappantes entre hier et aujourd’hui. Je pense que le patriotisme est important, mais le nationalisme m’inquiète. Nous profitons tous de la mondialisation, mais l’inconvénient est que de nombreuses personnes manquent de sentiment d’appartenance et d’identité.

Le titre de votre livre est très alarmiste.

Si mon livre est alarmiste, c’est parce que cette époque appelle l’alarmisme. En même temps, je précise que je ne considère pas Donald Trump comme un fasciste. Mais il est anti-démocratique. Et il manque de respect pour les institutions démocratiques, telles que la presse libre, qu’il appelle « les ennemis du peuple ».

La majorité des Américains ne pensent pas qu’il est un bon président. À peine 40 pour cent sont derrière lui. Ne surestimez-vous pas l’influence des populistes?

Il vaut mieux les surestimer que prétendre que tout va bien. Le fait est que les chiffres de popularité de Trump augmentent plutôt que de baisser. Les politiciens républicains ont peur de s’opposer à lui. Semaine après semaine, il change la nature du débat politique, et nous devons être attentifs à cela. Je pense que la meilleure citation de mon livre est celle du dictateur italien Benito Mussolini: « Plumer le poulet plume par plume et personne ne le remarquera ».

Croyez-vous que la démocratie perde de son rayonnement dans le monde?

Non. Et si je vois aujourd’hui des signes de fascisme, je ne crois pas que ce soit le même fascisme qu’au 20e siècle. Le Troisième Reich ne reviendra plus. La démocratie remonte à l’époque des anciens Grecs. On a essayé plusieurs formes, mais en fin de compte, la démocratie libérale a triomphé. Sa plus grande qualité est la recherche de compromis. Les populistes font le contraire: ils cherchent les fissures dans la société et les creusent encore, pour leur propre bénéfice.

Pourquoi votre Parti démocrate a-t-il tant de mal à gérer un politicien comme Trump?

Le contrat social qui maintenait nos sociétés ensemble a été brisé. Les gens ont abandonné certaines de leurs libertés individuelles en échange de la protection du gouvernement, et en échange de certains services. Au fil des années, aucune des parties n’a respecté sa part de l’entente. Le gouvernement a abandonné les citoyens, le citoyen échappe aux impôts et est tenté par les populistes. Nous devons trouver un moyen de renouveler ce contrat social pour que chacun sache ce qu’il peut attendre de l’autre partie. À l’heure actuelle, les politiciens, tant d’extrême gauche que d’extrême droite, exploitent cette incertitude et même l’attisent.

Ministre des Affaires étrangères sous Bill Clinton, vous avez vu un régime fasciste de près lorsque vous avez visité la Corée du Nord en 2000.

J’ai souvent dit que je considérais la dynastie Kim comme fasciste. Ils ont réussi à complètement isoler et affamer leur peuple – tout en se laissant glorifier.

Kim Jong-un a promis lors du sommet avec Trump à Singapour, en juin, d’arrêter son programme d’armes nucléaires. La Corée du Nord est-elle digne de confiance?

Il doit y avoir un organisme de contrôle indépendant, de toute façon. Et nous devons bien définir ce que nous entendons par « dénucléarisation ». C’est pourquoi il est fou que Trump ait rompu l’accord nucléaire avec l’Iran. Il contenait un programme de contrôle très strict.

Pensez-vous qu’il y ait encore une chance de sauver ce deal?

J’espère ardemment que c’est encore possible, oui. J’ai toujours été ouvert à cet accord, même si je me rends compte que cela ne résoudrait pas tous les problèmes d’un coup.

L’Iran a étendu son pouvoir au Moyen-Orient malgré cet accord, notamment en Syrie. Est-ce que Trump a raison quand il dit que les Européens ont été naïfs quant aux intentions des Iraniens?

Je n’appellerais pas cela naïf. L’Iran étend ses tentacules dans différentes directions. Au Hamas en Palestine. Au Hezbollah au Liban. Pour le Yémen aussi. La préoccupation à ce sujet est justifiée. Mais en se retirant de l’accord, les États-Unis ont tout rendu beaucoup plus difficile.

Trump a entamé une guerre commerciale contre l’Union européenne, il décrit les alliés comme des ennemis. Est-ce la fin de la diplomatie?

Non, je ne le pense pas. Nous sommes encore une collection de pays démocratiques, et même à Washington, il y a des politiciens qui limitent le pouvoir du président. Nous avons donc encore des « checks-and-balances ». Ce qui m’inquiète, c’est que les gens sont distraits des vrais problèmes par ces conflits d’apparence.

Mais que faites-vous d’un président qui a un tel mépris pour les institutions multilatérales telles que l’Organisation mondiale du commerce ou l’OTAN?

Beaucoup de gens croient encore que la politique étrangère américaine fonctionne selon des cycles de quatre ans. Ce n’est pas le cas. Nous avons eu plus ou moins de bonnes relations avec l’Europe pendant soixante-dix ans. Il y a toujours eu des hauts et des bas, et dans cette perspective, il faut regarder le gouvernement américain actuel. Sous Trump, les relations transatlantiques ont touché le fond. Mais elles existent toujours.

Craignez-vous que Donald Trump soit réélu en 2020?

Aucune idée. Je ne sais que ce que j’espère.

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