Emmanuel Macron a sans doute beaucoup à apprendre de l'expérience de gouvernement de l'Italien Matteo Renzi. © Samantha Zucchi/Belgaimage

Macron, un Renzi plus malin ?

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Au-delà des encouragements de courtoisie, le président français n’a pas nécessairement pléthore de soutiens parmi ses pairs européens. Les libéraux sont contrastés, les centristes éparpillés et le  » modèle  » Matteo Renzi a échoué.

Le credo proeuropéen affiché par Emmanuel Macron pendant la campagne et jusqu’à son discours du Louvre dimanche est de nature à redonner de la vigueur au projet de l’Union, via la relance promise du moteur franco-allemand. Mais sur quels alliés le président français élu pourra-t-il s’appuyer pour porter ses revendications, au-delà de la sympathie qu’il a inspirée pour avoir évité l’accession de l’extrême droite à la tête de la troisième puissance européenne ?

S’il conquiert une majorité présidentielle à la faveur des législatives des 11 et 18 juin, Emmanuel Macron conduira un gouvernement  » centriste  » inédit au sein des 27. Certes des partis du centre exercent le pouvoir dans plusieurs Etats européens (Irlande, Danemark, Lettonie, Estonie, Luxembourg, Lituanie, Slovénie, Finlande, Roumanie et Bulgarie). Mais ils le partagent tous dans le cadre de coalitions, avec des formations tantôt conservatrices, tantôt sociales-démocrates. Cette liste, la France la rejoindra si les élections générales conduisent à un paysage politique plus morcelé et obligent à une cohabitation.

Il est du reste hasardeux de cataloguer En marche ! avant sa première expérience de gouvernement alors que l’étiquette qu’il a le plus véhiculé jusqu’à présent pour le définir est aussi générique que  » et de gauche, et de droite « .  » Le mouvement d’Emmanuel Macron professe un social-libéralisme assumé – au contraire de François Hollande qui s’est toujours refusé à le reconnaître -, un peu dans la lignée de la troisième voie du Premier ministre travailliste britannique Tony Blair ou de son homologue social-démocrate allemand Gerhard Schröder. Il joue le jeu de la mondialisation libérale avec l’ambition d’en faire profiter tout le monde « , analyse Fabien Escalona, chercheur en sciences politiques à l’université de Grenoble.  » En revanche, sur les questions de société, j’attends de voir si Emmanuel Macron se montre aussi libéral. Ses prises de position sur le multiculturalisme ou sur les opposants au mariage pour tous pendant la campagne ne facilitent pas l’identification.  »

Déjà une députée En marche !

Le libéralisme politique englobe, il est vrai, différentes dimensions en Europe, du centre-droit (comme le MR de Charles Michel ou le VVD de Mark Rutte aux Pays-Bas) au centre-gauche (le D66 néerlandais, possible composante, avec le VVD, de l’alliance gouvernementale en gestation). En marche ! est naturellement appelé à rejoindre le groupe des libéraux présidé par l’ancien premier ministre Guy Verhofstadt au Parlement européen, l’Alliance démocrate et libérale européenne (ALDE). Son allié français du MoDem, parti de François Bayrou, en est membre et il y compte déjà une  » élue  » : sur le site du Parlement, Sylvie Goulard, ex-membre de cette formation, s’y affiche sous l’étiquette En marche !

Pour l’heure, il est malaisé de déterminer de quel centre le macronisme est le nom

Pour l’heure, il est malaisé de déterminer de quel centre le macronisme est le nom. Un positionnement central n’exclut pas une certaine radicalité.  » Quoique cherchant à supprimer l’antagonisme gauche – droite lui-même, et y parvenant plutôt bien en se réclamant de la rationalité, la pondération, le pragmatisme et le réalisme, l’extrême centre ne manque pas de susciter des formes d’adversité qui ont pour credo le  » parler vrai « , observe le philosophe canadien Alain Deneault dans Politiques de l’extrême centre (éd. Lux, 2016) avec une vision prémonitoire de la confrontation finale Macron – Le Pen lors de la présidentielle. Pour lui, la tension dialectique entre gauche et droite que l’extrême centre tenterait de dépasser ferait  » perdre au commun toute distinction fondamentale et le détournerait d’une (théorie des valeurs) capable de structurer le réel en fonction de principes cohérents « . On n’est pas loin de l’ambiguïté reprochée à Emmanuel Macron…

Comme Ciudadanos en Espagne

Dans l’attente de l’issue des législatives de juin, En marche ! suscite de semblables interrogations. Fabien Escalona, qui a étudié la formation récente des partis, dresse trois parallèles européens avec le mouvement d’Emmanuel Macron. D’abord, sa création sous la forme d’un  » business party  » bâti de toutes pièces de manière très entrepreneuriale a deux précédents célèbres : l’Union du centre démocratique d’Adolfo Suarez en Espagne, qui joua un rôle important dans la transition démocratique après la dictature de Franco avant de se dissoudre notamment dans ce qui allait devenir le Parti populaire actuel, et plus encore Forza Italia, fondé au début des années 1990 par l’homme d’affaires Silvio Berlusconi. A Madrid (disparition du franquisme), à Rome (décrédibilisation des partis politiques après les affaires de corruption) et, dans une certaine mesure, à Paris (échec des formations traditionnelles de gouvernement), ces expériences novatrices surgissent à la faveur de crises de régime.

Ensuite, le modèle contemporain le plus proche d’En marche ! , même si lui puise ses racines dans un cadre régional spécifique à l’Espagne, la Catalogne, est le parti centriste Ciudadanos – Parti de la citoyenneté, créé en 2006, qui a véritablement émergé sur la scène nationale à partir de 2014. Lors des législatives de juin 2016, il devenait même la quatrième formation politique du pays derrière le Parti populaire, le Parti socialiste ouvrier et Podemos. Le parti du jeune – 37 ans – dirigeant Albert Rivera se veut constitutionnaliste, progressiste et libéral. Enfin, troisième parallèle relevé par le chercheur associé du Centre d’étude de la vie politique de l’ULB (Cevipol), Fabien Escalona : par sa quête de résultats concrets, Emmanuel Macron soutient la comparaison avec Matteo Renzi, Premier ministre italien de février 2014 à décembre 2016, et membre du Parti démocrate (synthèse entre la gauche et la démocratie-chrétienne) dont il est redevenu le président fin avril, cinq mois après l’échec du référendum sur une réforme constitutionnelle qui l’avait forcé à la démission. Trop ambitieux, trop pressé, trop maladroit, celui qui était devenu Premier ministre à… 39 ans n’a pas réussi à surmonter certaines résistances corporatistes pour mener à bien son projet de rupture. Non sans heurts, il a tout de même fait passer quelques réformes, dont celle du marché du travail.

Emmanuel Macron s’expose-t-il à des difficultés similaires pour l’application de son programme en France et en Europe ? Probablement. Mais il pourra toujours s’inspirer de l’expérience italienne pour surmonter les inévitables embûches mises sur sa route. Au risque, sinon, de ruiner les espoirs que son élection a suscités.

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