Selon Gilles Lipovetsky, la différence d'âge entre Emmanuel et Brigitte Macron a créé une relation particulière entre le président et les femmes. © P. Wojazer/Reuters

« Macron domine par le charme »

Le Vif

Gilles Lipovetsky est philosophe et sociologue. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont, dernièrement, L’esthétisation du monde et De la légèreté, chez Gallimard.

Quelle analyse faites-vous de l’engouement massif pour Emmanuel Macron, de cette macronmania ?

L’un des ressorts de ce que vous appelez la macronmania me semble tenir au type d’impression véhiculée par le nouveau président. Max Weber distinguait plusieurs types de domination correspondant à autant de souverains : il distinguait notamment la domination rationnelle de la domination charismatique. La forte impression que fait Emmanuel Macron sur de nombreux Français renvoie à une domination charismatique et s’explique par la séduction qu’il exerce, par ce  » charisme de charme  » qui est le sien, dont son âge, son allure, sa beauté et la vivacité de son intelligence sont les ingrédients.

Régis Debray prétend, dans son nouveau livre, Civilisation, que son élection consacre l' » américanisation  » de la France. C’est aussi votre avis ?

Il a raison, je crois. Car le charisme de charme de Macron actualise pour la France un phénomène déjà ancien aux Etats-Unis et auquel certains Français ont cru pouvoir se soustraire : le poids déterminant de la personnalité des candidats dans les choix électoraux. Le premier à avoir identifié le phénomène est le sociologue américain David Riesman, dans La Foule solitaire, paru dans les années 1950. Riesman, avant Kennedy, annonçait l’avènement d’une époque où la personnalité, autrement dit le charisme personnel, des responsables politiques allait compter infiniment plus pour leurs électeurs que les idées qu’ils défendent ou professent.

D’où l’importance du  » storytelling « …

En effet, longtemps les Français ont rechigné à calquer leurs choix sur ce nouveau régime charismatique. Ils s’enorgueillissaient de leur exception nationale. En France, les idées, les doctrines, les programmes ont donc continué à être un critère déterminant alors qu’ils étaient satellisés dans la culture nord-américaine. L’élection d’Emmanuel Macron marque le moment où la France ne fait plus bande à part et rejoint l’extrême personnalisation qui a droit de cité ailleurs. Néanmoins, un autre ressort puissant me semble sous-tendre la macronmania, c’est le rêve de voir se dissoudre les clivages structurants de la vie politique française, à commencer par l’importance du clivage entre la gauche et la droite.

L’offre par-delà gauche et droite de Macron est-elle postmoderne ?

Oui, en ce sens que cette offre se situe dans un espace qui s’est émancipé des anciennes dualités politiques, un espace que Macron a investi quand il a parlé de la nécessaire réconciliation. Enfin, on ne saurait passer sous silence un troisième ressort puissant de la macronmania : en raison de son âge – à peine 40 ans – et de l’âge de sa femme – 24 ans de plus que lui -, Emmanuel Macron a noué avec des millions de femmes une relation particulière, comme aucun président avant lui ; je crois qu’elles éprouvent de la gratitude pour cet homme qui a épousé une personne qui est son aînée. Cet élément subjectif est, à mon avis, déterminant.

Entretien : Alexis Lacroix.

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