Antoine Deltour © AFP

LuxLeaks : Qui est Antoine Deltour, le discret lanceur d’alerte ?

Le Vif

Ce 26 avril commence au Luxembourg le premier grand procès en Europe d’un lanceur d’alerte. Cet homme de 30 ans discret est à l’origine des fuites qui ont provoqué ce qu’on a appelé le LuxLeaks. Il dit avoir simplement agi en « citoyen », « convaincu de la nécessité d’une plus grande justice fiscale et de plus de transparence ».

C’est un jeune homme discret, tout juste trentenaire, lunettes et barbe de trois jours. Il dit assumer les conséquences de son action, tout en éprouvant « un sentiment mêlé d’impatience et d’appréhension ». Il est poursuivi pour avoir fourni à la presse des documents révélant des accords entre le fisc luxembourgeois et certaines multinationales. Il encourt une peine de 10 ans d’emprisonnement et plus d’un million d’euros d’amende.

Prix du citoyen européen

En décembre 2014 il sort de l’anonymat et un comité de soutien est monté. Il va recevoir par le Parlement européen le prix du citoyen européen en juin 2015. Il a aujourd’hui récolté plus de 100 000 signatures et 18 000 euros de dons. Plusieurs appels à manifester mardi matin devant le tribunal ont été lancés, notamment par un collectif d’une vingtaine d’ONG et syndicats français baptisé « Plateforme Paradis fiscaux et judiciaires », et épaulé par le journaliste Denis Robert rendu célèbre dans les années 2000 par ses révélations sur le scandale « Clearstream » qui avait également son origine au Luxembourg.

Ce procès, qui a débuté dans une effervescence peu commune pour la cité luxembourgeoise, sera suivi de près par de nombreuses ONG, alors que le Luxembourg peine à se départir de son image de havre pour les entreprises cherchant à minimiser leur fiscalité, sur fond de forte sensibilisation de l’opinion à ces sujets. Car si les récents « Panama Papers » ont mis au jour des montages complexes de société pour dissimuler des avoirs, le scandale des « Luxleaks » a, lui, dévoilé au grand jour les pratiques fiscales de firmes comme Apple, Ikea et Pepsi pour économiser des milliards de dollars d’impôts.

Juste une source anonyme jetée sur le devant la scène

« Au départ, j’étais juste une source anonyme, et je me retrouve sur le devant de la scène », raconte-t-il dans un entretien accordé à l’AFP dans une brasserie d’Epinal, sa ville natale des Vosges (est de la France) où il est aujourd’hui revenu vivre. Jusqu’en 2010, il travaillait au Luxembourg voisin comme auditeur dans la filiale du cabinet de consultants PricewaterhouseCooper (PwC) avant d’en démissionner », « entre autres, parce qu'[il est] scandalisé par certaines pratiques fiscales ».

Lui qui avait débuté sa vie professionnelle au Luxembourg « sans a priori » mais « sans naïveté » ne se doutait « ni de l’ampleur, ni de la radicalité de ces pratiques ». « Pendant deux ans, j’ai accepté, considérant que ma situation confortable méritait de faire ce sacrifice, mais j’ai ressenti le besoin de partir pour être en phase avec mes convictions », explique-t-il. Avant de quitter son poste, il copie, un peu par hasard, sur le serveur informatique des centaines d’actes fiscaux confidentiels entre l’administration fiscale luxembourgeoise et des multinationales. Lorsqu’il prend contact avec des experts sur le sujet pour « valider [son] interprétation », « cela ne donne rien de probant » et il se dit « prêt à abandonner ».

Au service de ‘l’intérêt général’

Plusieurs mois plus tard, en 2011, il est contacté par le journaliste Edouard Perrin, de l’émission « Cash Investigation » de la chaîne publique France 2 qui l’a repéré sur des blogs. Il lui livre les documents, mais en échange demande de ne pas citer PwC et de ne pas les publier. Cette promesse ne sera pas tenue et les documents seront publiés par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) en novembre 2014.

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La révélation de ces informations déclenche le scandale des « Luxleaks », qui avaient mis en lumière les « tax rulings », ces décisions anticipées conclues au Luxembourg et qui permettent aux multinationales d’échapper quasiment à l’impôt. Le scandale ira jusqu’à toucher Jean-Claude Juncker, l’ancien premier ministre luxembourgeois et actuel président de la Commission européenne.

Inculpé en décembre 2014 par une juge d’instruction luxembourgeoise de vol, violation du secret d’affaires, violation du secret professionnel, accès frauduleux à un système informatique et blanchiment, M. Deltour comparaîtra avec un deuxième employé de PwC et donc le journaliste français Edouard Perrin.

« Mon rôle se limite à avoir fait un copié-collé et à avoir répondu à un journaliste », assure M. Deltour, ajoutant que « le traitement de cette information est allé bien au-delà de [ses] intentions ». « C’est une épreuve d’affronter la justice, mais mon anxiété actuelle est contrebalancée par les répercussions qui prouvent que l’intérêt général était au coeur de ma démarche », assure-t-il même si, depuis sa mise en cause par la justice, il reconnaît avoir été parfois traversé par le doute. « Quand je me suis retrouvé placé en garde à vue, je me suis demandé pourquoi je m’étais mis dans cette situation », dit-il, rassuré toutefois par ce que « les révélations ont permis » de déclencher.

A la suite de ce scandale, la Commission européenne avait lancé en juin 2015 un plan d’action pour tenter d’harmoniser les 28 systèmes européens d’impôt sur les sociétés et pour lutter contre l’évasion fiscale des multinationales.

Antoine Deltour a passé après son expérience luxembourgeoise un concours de la fonction publique française et travaille aujourd’hui à l’antenne lorraine d’un institut économique, au service –cette fois-ci tout à fait officiellement– de l’intérêt général. « Si j’avais pu choisir l’anonymat, j’aurais préféré rester anonyme. J’ai hâte d’en finir » souffle-t-il encore au Monde.

Celui qui ne souhaite pas devenir un symbole, craint qu’une condamnation ne nuise à sa carrière de fonctionnaire. Tout en trouvant que si ces actes ont fait avancer quelque peu les choses, le chemin est encore long pour mettre fin « aux pratiques fiscales dommageables »

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