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Louis Michel : « Au Congo, il n’y a pas d’alternative à un soutien à Félix Tshisekedi »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Relancer la coopération belge avec la RDC, décision logique ou erreur ? Pour Louis Michel (MR), ancien ministre des Affaires étrangères, moins la Belgique agira, plus le camp de Joseph Kabila sera influent. Mais l’aide doit se focaliser sur la reconstruction des institutions démocratiques.

La Belgique a-t-elle raison de retisser des liens étroits avec Kinshasa malgré les doutes qui ont entouré l’élection présidentielle de 2018 ?

Nous avons été en responsabilité du peuple congolais, pour le meilleur et pour le pire. Il est souhaitable que la Belgique ait, à l’égard de la RDC, une vraie politique, ni complaisante, ni systématiquement dans la dénonciation. Les élections de décembre 2018 auraient dû offrir davantage de garantie de crédibilité. Cela n’a pas été le cas. Félix Tshisekedi a été déclaré président. J’observe plusieurs choses. Une sorte de  » paix des braves  » s’est installée entre celui-ci et l’ancien chef de l’Etat, Joseph Kabila, qui, au Parlement, dispose d’une majorité écrasante. Le calme règne à Kinshasa. Les chefs d’Etat de la région soutiennent Félix Tshisekedi. J’ai parlé avec certains d’entre eux. Ils me disent que la seule manière d’aider ce pays est de faire en sorte que ce soutien compense la faiblesse de sa légitimité. Je peux comprendre que l’on émette des doutes sur le processus électoral. Mais après, que fait-on ? En politique, on n’a jamais le choix entre une mauvaise solution et une parfaite. Dès lors, il faut avoir l’intuition de ce qui peut créer un espace vertueux. La Belgique ne peut pas être absente de l’accompagnement de ce nouveau processus, même imparfait. Nous ne pouvons pas rééditer la politique d’avant 1999 où, pendant une quinzaine d’années, on a ignoré de manière assez cynique cette ancienne colonie. Cela étant, il faut espérer que le nouvel exécutif lutte contre la corruption et s’attelle à reconstruire un Etat. Le Congo est une nation, pas encore un Etat.

Louis Michel, ancien ministre belge des Affaires étrangères, ex-député européen.
Louis Michel, ancien ministre belge des Affaires étrangères, ex-député européen.© BELGA

La coopération belge peut-elle soutenir  » les efforts de réforme et de changement « , au vu du poids du camp Kabila sur l’exécutif ?

L’ancien régime aura plus d’influence si on ne fait rien. Ne pas favoriser les réformes institutionnelles qui ancrent la démocratie et qui rassurent les gens est beaucoup plus dangereux. La coopération doit se focaliser majoritairement sur la reconstruction, voire la construction, d’institutions démocratiques solides, un réseau d’enseignement, des services de santé, une justice… Le président Tshisekedi doit aussi avoir le courage d’user des prérogatives dont il dispose. Il en usera d’autant plus s’il se sent soutenu par la communauté et les grandes institutions internationales et par ses pairs africains.

La Belgique peut-elle servir d’aiguillon pour relancer la coopération à un niveau plus large, européen par exemple ?

Il faut tout faire pour donner une chance à un programme ambitieux, généreux, novateur, qui soit en rupture avec ce que l’on a trop souvent vécu au Congo. Si un pays comme la Belgique ne se préoccupe pas de ce pays à l’échelon européen, il ne sera pas mis à l’agenda. Mais si le Congo est inscrit à l’agenda européen, il le devient aux Nations unies. Et d’office les donateurs sont plus enclins à faire confiance.

La reprise de la coopération servira-t-elle la population ?

Oui parce que la population congolaise est extrêmement sensible aux signaux de la Belgique. Il y a un imaginaire patriotique belgo-congolais. Quand cela va mal, on désigne facilement le Belge comme responsable, mais on ne sait pas s’en passer. Une vraie affection lie les Congolais et les Belges.

La Belgique ne devrait-elle tout de même pas poser un geste à l’égard du camp de Martin Fayulu, la victime du processus électoral ?

Monsieur Fayulu doit être un acteur politique ; cela va de soi. Et on doit certainement le considérer comme tel. Il ne s’agit pas pour moi de consacrer la fragilité du résultat électoral. Mais il faut aussi voir la réalité. Imaginons que la Belgique, seule dans son coin, ne la reconnaisse pas, qu’aura-t-on gagné ? Rien. On n’a pas d’alternative à un soutien aux dirigeants actuels dont on peut vérifier les effets et les progrès qu’il entraîne.

Dieudonné Wamu Oyatambwe, politologue, spécialiste de l'Afrique.
Dieudonné Wamu Oyatambwe, politologue, spécialiste de l’Afrique.© Olivier Rogeau

Dieudonné Wamu Oyatambwe : « L’occasion de rendre les relations plus efficaces et plus bénéfiques »

Le politologue Dieudonné Wamu Oyatambwe juge compréhensible que, par réalisme politique et par bon sens, la Belgique renoue avec la RDC. Il espère que la bonne connaissance de la Belgique par le président Tshisekedi l’aidera à instaurer une coopération centrée sur la population.

Comprenez-vous que la Belgique fasse fi des sérieux doutes sur la régularité des élections du 30 décembre 2018 et relance la coopération avec Kinshasa ?

A mon avis, la Belgique n’a pas fait fi des doutes sur le processus électoral, mais elle a pris acte d’une série de facteurs qui l’ont poussée à infléchir sa position et qui guident sa politique actuelle à l’égard du Congo. D’abord, malgré les irrégularités largement dénoncées du processus, la population congolaise semble avoir accepté l’issue du scrutin présidentiel, en s’accommodant du fait que, malgré tout, Joseph Kabila a cédé son siège et que son dauphin désigné Emmanuel Shadari ne lui a pas succédé. N’oublions pas la portée de ce changement, alors que tout le monde redoutait un coup de force de Kabila pour s’accrocher au pouvoir ou y imposer son dauphin. En plus, la passation du pouvoir a été pacifique et inédite en RDC, entre un président sortant et un successeur issu des rangs de l’opposition. Ensuite, l’ensemble de la communauté internationale, en commençant par les pays africains, ont vite reconnu ce nouveau président à la tête du Congo, lui attribuant ainsi une légitimité externe en plus de la légitimité interne lui conférée par les juridictions et les lois congolaises. Il était dès lors difficile pour la Belgique de faire cavalier seul pour continuer à s’accrocher à la régularité ou non des élections passées. Donc, par réalisme politique autant que par bon sens, la Belgique a choisi de coopérer avec ce nouveau régime et cela me paraît bien compréhensible.

Pensez-vous que la coopération belge puisse soutenir les  » efforts de réformes et de changements  » au Congo en évitant l’influence des soutiens de l’ancien camp présidentiel de Joseph Kabila ?

Il est vrai que l’influence de l’ancien président et de son Front commun pour le Congo (FCC) est trop forte, dans la mesure où ils sont largement majoritaires à tous les niveaux de pouvoir. Et Félix Tshisekedi a accepté de diriger le pays en coalition avec ces gens malgré les méfaits de leur gestion passée, qu’il avait lui-même toujours dénoncée et condamnée, et que la population congolaise a largement rejetée. Cependant, même s’il n’a pas forcément toute la latitude pour mettre en oeuvre sa politique, ni les moyens pour réaliser ses nombreuses promesses, Félix Tshisekedi démontre une certaine volonté de faire changer les choses au Congo ; et il pose plusieurs actes en nette rupture avec le régime de son prédécesseur. Et aujourd’hui, il n’y a pas d’autre façon de soutenir les réformes et les changements au Congo sans composer avec cette coalition inédite. La Belgique ne peut donc pas ignorer cette nouvelle donne.

Une reprise, même progressive, de la coopération belge, et plus largement européenne, profitera-t-elle à la population congolaise ?

Indépendamment du détenteur du pouvoir, il faut surtout veiller au bien-être des populations. Au Congo, les gens souffrent beaucoup, depuis de nombreuses années, surtout à cause des effets néfastes de la faillite de l’Etat. On ne peut pas continuer à sacrifier cette population meurtrie au gré des seuls aléas politiques. La coopération belge, ou européenne en général, peut aider à renforcer l’Etat congolais dans différents secteurs (éducation, santé, agriculture, infrastructures, sécurité…) susceptibles d’impacter positivement la vie des Congolais ; car c’est seulement un Etat congolais viable et efficace qui pourra juguler la misère et l’insécurité qui ont élu domicile depuis des lustres en RDC. Félix Tshisekedi a passé de nombreuses années en Belgique. Il fait partie des membres de cette grande diaspora congolaise qui, même en période de crises diplomatiques répétitives entre les deux pays, constituent un pont permanent et qui contribuent autant que faire se peut à soulager les souffrances de leurs compatriotes vivant au Congo. Il connaît très bien les deux pays, et on peut espérer qu’avec son avènement, la coopération belgo-congolaise pourra profiter davantage à la population congolaise.

Y a-t-il unanimité au sein de l’exécutif congolais sur la relance des relations avec la Belgique ?

Le président Tshisekedi a entrepris de normaliser les relations belgo-congolaises bien avant même la mise en place d’un nouveau gouvernement sous son mandat. Et le nouvel exécutif a été constitué pour mettre en oeuvre la vision du chef de l’Etat dans différents domaines, y compris en matière diplomatique. Par ailleurs, on ne peut pas dire que la population congolaise soutenait le bras de fer que le régime de Joseph Kabila avait engagé avec la Belgique, ni la rupture de la coopération qui s’en était suivie, lorsque la Belgique appelait l’ex-président congolais à normaliser la vie politique en RDC. Et donc, là aussi, il n’y a pas encore de raisons objectives de ne pas soutenir la relance progressive des relations entre les deux pays. Mais c’est sans doute aussi l’occasion de repenser ces relations belgo-congolaises, pour éviter les erreurs du passé, et pour les rendre plus efficaces et bénéfiques de part et d’autre.

Repère – relations relancées

La visite du président Félix Tshisekedi cette semaine en Belgique a été l’occasion pour notre pays et la République démocratique du Congo de redynamiser leurs relations mises à l’épreuve par les tentatives de son prédécesseur Joseph Kabila de repousser la transition démocratique. Concrètement, des ambassadeurs reprennent leur pleine fonction dans les deux capitales ; les consulats généraux d’Anvers et de Lubumbashi vont rouvrir leurs portes, un appui sera apporté à l’Ecole nationale de l’administration à Kinshasa, à la Banque centrale du Congo et à la formation des diplomates, et les programmes de coopération en cours sont relancés en attendant un nouvel élan suspendu à la formation du gouvernement fédéral belge.

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