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Lobbying en Europe: « Le registre de transparence est souvent rempli par les stagiaires »

Kamiel Vermeylen Journaliste Knack.be

Il y a énormément de lobbying autour des institutions de l’Union européenne. Rien qu’à Bruxelles, on estime qu’il y a 30.000 représentants d’intérêts. Ces derniers ne respectent pas toujours les règles qui se révèlent d’ailleurs insuffisantes pour éviter les abus.

La semaine dernière, on a appris que pour l’évaluation d’études sur le glysophate, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a littéralement repris dans son rapport des passages écrits par les géants de la chimie. Depuis quelque temps, le caractère cancérigène du produit suscite une polémique car le fabricant Monsanto a manipulé des études sur la toxicité du glysophate.

L’affaire soulève à nouveau la question du lien entre les responsables politiques et les lobbyistes. Alors que les groupes d’intérêts sont très importants pour faire adapter la politique au citoyen européen, la réglementation européenne actuelle n’est pas à la hauteur. Quels scandales ont eu lieu ces dernières années ? Comment l’Union européenne peut-elle les éviter à l’avenir?

Scandale après scandale

Ce n’est pas le premier scandale de lobby auquel sont confrontées les institutions européennes. Début 2011, trois parlementaires européens, l’Autrichien Ernst Strasser, le Slovène Goran Thaler et le Roumain Adrian Severin sont mis en cause, après l’éclatement de l’énième scandale ‘Cash for Laws’. Des journalistes d’investigation du Sunday Times se font passer pour des lobbyistes et offrent de grosses sommes d’argent en échange de besognes douteuses.

Les messieurs mordent à l’hameçon. L’Office européen de lutte antifraude (OLAF) condamne Strasser à quatre ans de prison, et la Justice slovène envoie Thaler deux ans derrière les barreaux. Si Severin a toujours clamé son innocence, son groupe parlementaire Socialists & Democrats le met à la porte.

En 2012, l’ancien Commissaire européen chargé de la Santé et de la Politique des consommateurs, John Dalli, est mis en cause. Il aurait reçu 60 millions d’euros du fabricant de tabac suédois Swedish Match pour un entretien destiné à affaiblir une proposition de loi stricte. Dalli a toujours prétendu que les fabricants de tabac l’avaient piégé en coopération avec l’ancien président de la Commission Manuel Barosso. L’OLAF aurait également joué un rôle douteux.

L’année dernière, la Commission européenne en a une nouvelle fois pris pour son grade quand il s’est avéré qu’elle était au courant depuis longtemps des pratiques de trucage de nombreux fabricants de voitures, sans réellement agir. Depuis 2012, la Commission était au courant des émissions truquées. Et les pratiques concernant le glysophate ne sont pas neuves non plus. Déjà en 2015, le site web Lobbyplag.eu a publié des milliers de documents qui révélaient que les responsables politiques reprenaient mot à mot les propositions des groupements d’intérêts.

Bien entendu, l’Union européenne se passerait volontiers de ce genre de scandales qui soulèvent la question d’une collaboration trop étroite entre responsables et lobbyistes. Le dernier Baromètre de l’Euro révèle que seuls 42% de la population européenne fait confiance à l’Union européenne et ses institutions. En outre, une enquête de l’ONG Friends of the Earth de 2013 révèle qu’environ 75% des répondants trouvent que les lobbyistes exercent trop d’influence sur la politique dans l’UE.

Les lobbyistes sont omniprésents dans l’Union européenne

La représentation d’intérêts est solidement ancrée dans l’Union européenne. On estime qu’il y a environ 30 000 lobbyistes qui tentent d’influencer la politique européenne. L’ancien Premier ministre finlandais Alexander Stubb, qui en 2008 a publié un rapport d’enquête sur le lobbying au parlement européen, affirmait que la prise de décision européenne ne serait guère brillante sans la contribution d’association d’intérêts. ‘It takes two to lobby’, dit-on parfois.

Vu l’affluence faible aux élections parlementaires européennes de 2014, l’Union européenne dépend très fort du pilier participatif pour adapter la politique aux besoins du citoyen européen. En outre, comme il y a de nombreux niveaux entre le local et l’européen, il est plus difficile pour les responsables de bénéficier d’un input. Cependant, ce même Stubb réalisait tout autant que le lobbying dans l’Union européenne prend parfois des proportions mégalomanes. Après la publication de son rapport d’enquête, il a déclaré non sans ironie : « Oui, absolument, je suis lobbyé par les lobbyistes sur les lobbys. »

D’après Iskander de Bruycker, qui enquête sur les relations entre la politique européenne et les groupes de lobby à l’Université d’Anvers, ces scandales ne reflètent pas la réalité. « Bien qu’il y ait trop de scandales, on n’entend souvent parler que des événements négatifs, ce qui exerce évidemment un impact sur la perception. »

Les institutions européennes tentent bel et bien de mettre fin à la culture du scandale. Dans son dernier State of the Union, le président de la Commission Jean-Claude Juncker soulignait que l’Union européenne doit être plus transparente qu’elle ne l’est à l’heure actuelle. Il y a déjà eu des démarches pour éviter les liens étroits entre la vie d’entreprises et les responsables politiques européens. Cependant, comme ces mesures sont insuffisantes, les abus demeurent parfaitement possibles.

Registre de transparence défaillant

En 1991, l’ancien ministre belge et parlementaire européen Mark Galle, président de l’époque du Comité de Rules of Procedures, plaidait déjà en faveur d’un registre obligatoire pour les groupes d’intérêt au parlement européen. Sa proposition a été ratifiée en 1996. L’idée vient des États-Unis, où ce genre de mécanisme existe depuis 1946.

La Commission européenne a instauré un système semblable en 2008. En 2011, les deux registres ont été fusionnés en un registre de transparence commun par le biais d’un accord institutionnel.

Celui-ci permet aux groupes et représentants d’intérêts de s’inscrire et de déclarer les moyens qu’ils mettent à disposition pour le lobbying. C’est nécessaire pour accéder au Parlement européen. Du moins en théorie. « Les lobbyistes demandent souvent à quelqu’un d’autre d’ouvrir la porte, ou ils y sont simplement sur invitation », explique De Bruycker.

Dans ce registre de transparence, les groupes d’intérêts peuvent remplir ce qu’ils veulent, notamment parce qu’il y a un manque de contrôle de qualité. En 2015, 7377 personnes et organisations s’étaient inscrites dans le registre, mais seules mille d’entre elles ont été effectivement contrôlées.

En outre, les groupes de pression ne considèrent pas toujours ce registre de transparence comme une priorité. « Le registre de transparence est souvent rempli par des stagiaires qui ne connaissent pas suffisamment l’organisation. Et, c’est souvent réalisé de manière approximative et rempli sur base de leur intuition », déclare De Bruycker.

Le plus grand problème c’est que pour l’instant, les groupes de lobby ne sont pas obligés de s’enregistrer même si les institutions européennes essaient d’y remédier. Le 6 septembre, le Parlement, la Commission, et le Conseil européen se sont réunis pour la première fois pour rendre le registre de transparence obligatoire.

Délai de réflexion

De Bruycker propose également de durcir les règles de comportement des fonctionnaires européens. « Le délai de réflexion qui évite de travailler pour un lobby après un mandat politique est très limité dans l’UE. D’une part, il faudrait prolonger la période et de l’autre il faudrait également « appliquer aux fonctionnaires un statut moins élevé au sein du Parlement européen. »

Cela doit éviter ledit mécanisme de rotation où les fonctionnaires et les représentants passent au monde de l’entreprise pour revenir. Si pour les commissaires et les parlementaires, il existe déjà une période de réflexion de dix-huit mois, certains souhaitent prolonger ce terme.

Quand on a appris que dix-huit mois après sa présidence, l’ancien président de la Commission José Manuel Barosso a été engagé par la banque d’investissement américaine Goldman Sachs, Juncker a immédiatement plaidé en faveur d’une prolongation de ce terme. Juncker souhaite que les présidents n’exercent pas de fonction privée pendant trois mois alors que les parlementaires et les commissaires européens devraient attendre deux ans.

En outre, une enquête révèle que 39% des anciens commissaires européens se recyclent en représentants de groupements d’intérêt, et particulièrement ceux qui sont spécialisés en marché interne, impôts ou politique de concurrence.

Situation gagnant-gagnant

D’après De Bruycker, la réglementation stricte engendre une situation gagnant-gagnante. « Les lobbyistes sont également perturbés par leur image négative, alors qu’ils effectuent souvent du travail parfaitement légitime qui sert les intérêts de nombreux citoyens. » Une étude de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) de 2013 révèle par exemple que 70% des lobbyistes plaident eux-mêmes pour davantage de transparence et de règles plus strictes. Environ 70% des lobbyistes et 74% des responsables politiques se sont déclarés favorables à des mesures plus poussées.

« Dans 50% des cas, les représentants de groupements approuvent la majorité de l’opinion publique, ce qui signifie que leur travail est souvent bénéfique pour le citoyen européen », déclare De Bruycker.

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