Liao Yiwu © Belga

Liao Yiwu : « En Chine, la démocratie ne peut pas venir d’en haut »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Pour avoir publié un poème intitulé Massacre au moment de la répression de Tian’anmen en 1989, Liao Yiwu a connu la prison et la torture. Exilé en Allemagne, le dissident publie le récit d’une enquête sur les chrétiens chinois. Une situation peu enviable emblématique du sort des minorités.

Lors de la répression de Tiananmen en 1989, un simple poème lui vaut quatre années d’emprisonnement et de tortures. Liao Yiwu découvre alors « le vrai visage de la Chine ». Un traumatisme qui ne cessera de le hanter. Aussi, quand bruisse la rumeur d’une nouvelle arrestation après son ralliement à la Charte 08, manifeste pour la démocratisation, le poète décide de fuir en Allemagne. Le récit de sa détention publié en 2013, Dans l’empire des ténèbres, le consacre aux yeux de certains comme le « Soljenitsyne chinois ». Il publie aujourd’hui Dieu est rouge (Books Editions, 464 p.), une plongée dans le quotidien des chrétiens chinois, martyrs de la révolution communiste. Pour Liao Yiwu, leur situation est emblématique du sort réservé par Pékin aux minorités. Extraits de l’interview publiée dans Le Vif/L’Express de cette semaine.

Levif.be :A l’avènement du régime communiste chinois en 1949, la volonté est-elle d’emblée d’éradiquer les religions et, en particulier, le catholicisme ?

Liao Yiwu: Oui, il s’agit d’une décision marxiste, avec la singularité particulièrement violente du maoïsme. La volonté, dès le début, est d’extirper de l’esprit des Chinois la religion et, en particulier, ses éléments étrangers. Le Parti communiste chinois (PCC) déteste les missionnaires encore présents, français, italiens, norvégiens, américains… parce qu’il perçoit, peut-être intuitivement, qu’ils ne figurent pas sur la même longueur d’ondes que le régime. Il expulse tous les missionnaires encore en Chine et réprime tous ceux qui ont été convertis parce qu’il les croit susceptibles d’être des espions à la solde de l’étranger. Considérés comme des ennemis de la République populaire de Chine, ils ont le choix entre renoncer à leur foi et intégrer l’Eglise officielle dite des trois autonomies (autosuffisance économique, spirituelle – par la rupture avec le Vatican -, et identitaire) sous la tutelle du parti ou l’internement en camp de travail pour y subir un lavage de cerveau et, faute de renoncement, être exécuté ; ce que je décris dans mon livre. Dans le questionnaire que l’on soumet à un futur condamné à mort, figure la question : « Qui respectes-tu le plus, Mao ou Dieu ? » En fait, les communistes se sont comportés en prêtres d’une supra-religion. Ceux qui ont accepté les conditions du Parti communiste étaient soit des opportunistes, soit des croyants bien tièdes.

La situation des chrétiens est-elle emblématique du sort des minorités en Chine ?

Oui. Il y a deux grandes minorités ethniques en Chine, les Tibétains et les Ouïghours. Ces derniers, musulmans de tradition ouverte, se transforment en islamistes à cause de la répression. Les Tibétains prêtent allégeance au Dalaï-Lama, ce que le PCC ne peut supporter. A partir du moment où tout votre être n’est pas mis au service du Parti communiste, vous vous exposez à la répression. Pratiquer une autre culture, une autre langue, une autre écriture, d’autres moeurs, une autre religion apparaît comme une menace potentielle pour le régime parce que cela le remet en question. C’est pourquoi la répression est beaucoup plus violente aujourd’hui contre les Tibétains et contre les Ouïghours que contre les chrétiens. Au moment de la Révolution culturelle (NDLR : purge décidée par Mao des éléments « révisionnistes » du PCC à l’origine de la mort de centaines de milliers de personnes), c’était peut-être l’inverse…

Croyez-vous à moyen ou à long termes à une démocratisation en Chine ?

Je vais vous répondre par une plaisanterie. La Chine peut-elle se convertir à la démocratie ? La possibilité est à peine plus grande que l’hypothèse que Xi Jinping se convertisse au christianisme. Liu Xiabo (NDLR : écrivain, professeur d’université, prix Nobel de la paix 2010) a été jeté en prison après avoir rédigé la Charte 08 (NDLR : manifeste pour des réformes démocratiques signé par 300 intellectuels). C’est la réponse du berger à la bergère : 11 ans d’emprisonnement. Cette condamnation situe de façon assez claire la position des autorités chinoises sur la démocratisation.

Elle ne peut pas venir d’en haut. Elle devra provenir du bas vers le haut. J’ai une théorie personnelle à ce sujet. Tant que la Chine restera cet empire monolithique que l’on connaît aujourd’hui, les possibilités d’effondrement seront relativement faibles. S’il éclate en 10, 15 ou 20 pays devenus indépendants, alors certains, comme mon Sichuan natal, deviendront forcément démocratiques. Pékin pourrait rester une dictature, mais une toute petite dictature, qui ne nous gênerait pas, nous Sichuanais.

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