Lavinia Bîciu

Les tentations populistes de Paul Magnette

Lavinia Bîciu Expert en communication institutionnelle

Dans une interview accordée à la presse française, Paul Magnette, Ministre-Président de la Région Wallonne plaide pour une sortie de l’UE – après le Brexit – des Etats Membres pauvres et qui ont eu l’outrecuidance de se libérer (pas encore complètement) du totalitarisme communiste : la Pologne, la Hongrie, la Roumanie et la Bulgarie. La solidarité idéologique du PS wallon avec les anciens régimes de ces pays l’emporterait-elle sur la solidarité avec leurs peuples ?

Ainsi en est-il de la Roumanie, qui vit actuellement les plus grandes manifestations de l’époque post-communiste, contre un parti héritier non seulement de certains cadres d’avant 1989, mais surtout de cette mentalité d’impunité qu’assure tout pouvoir totalitaire.

Des centaines de milliers de personnes de tout âge sont sorties à la rue, dans beaucoup de villes du pays, contre l’ordonnance d’urgence du gouvernement d’acquitter les abus de la fonction publique dont le préjudice serait moindre de 200.000 lei, soit 44.500 €.

Le socialiste Paul Magnette, toujours prêt à défendre la veuve et l’orphelin contre le CETA, devrait savoir que ce montant représente quand même environ 120 salaires moyens dans l’économie roumaine et plus de 400 salaires dans le milieu rural.

Pas un seul mot de condamnation de pratiques du parti social-démocrate roumain, ayant le plus grand nombre de membres en indélicatesse avec la justice et qui fait partie de la même famille politique que le PS belge.

D’ailleurs, aucun leader socialiste européen (à l’exception notable du Vice-Président la Commission Européenne, Frans Timmermans) n’a pris position contre les dérives autocratiques du PSD en Roumanie. Un silence étourdissant…et complice.

Pas le moindre mot de soutien pour les gens qui, affrontant des températures glaciales, sont sortis dans la rue partout en Roumanie, pour manifester contre la corruption, contre le trafic d’influence et en général, contre les atteintes à la démocratie.

Pas un seul mot non plus en faveur de l’Etat de droit et des éventuels mécanismes européens pour sa protection, comme l’activation du pre-article 7 du Traité de Lisbonne (existant depuis 2014), pour faire face à des « menaces systémiques » portant atteinte à l’intégrité, la stabilité et au bon fonctionnement de l’Etat de droit dans ses Etats Membres. Ce mécanisme est le « chaînon complémentaire » entre les procédures d’infraction et la procédure de l’article 7 qui, dans les situations extrêmes, permet la suspension des droits de vote en cas de « violation grave et persistante » des valeurs de l’UE par un État membre.

Paul Magnette confond-t-il classe politique dans les pays de l’Est avec la population de ces mêmes pays ? Il conforte par ses propos les positions pro-russes de certains leaders de l’Est, convaincus que l’Europe les méprise et qui tentent de convaincre leurs citoyens de la même chose.

Après 50 ans de communisme dans ces pays, le Ministre-président de la Région Wallonne recrée symboliquement le Pacte de Varsovie et la guerre froide, condamnant ces pays à être isolés de l’Occident : approuve-t’il ainsi à l’avance le nouveau Yalta qu’envisagent Trump et Poutine ? Certes, les ressortissants de l’Est vivant en Belgique ne sont pas en général des cibles électorales intéressantes pour la gauche wallonne, la majorité d’entre eux ayant déjà expérimenté les miracles et les bienfaits du collectivisme.

Il conforte aussi les propos d’un certain Donald Trump, parti lui aussi en croisade anti-européenne. Il reproduit également les schémas de pensée (enfin, façon de parler), d’une certaine Marine Le Pen, elle aussi persuadée que le projet européen a vécu.

Mais bon, Paul Magnette nous confesse aussi qu’il est un « Européen meurtri ». On est presque tentés de lire qu’il a le coeur qui saigne, tellement on a habitude du syntagme au sein du PS. A dire qu’il saigne davantage pour Paul Furlan que pour les millions de manifestants contre les abus anti-démocratique en Roumanie, Pologne, Hongrie ou encore la Bulgarie.

Monsieur Magnette a-t-il l’hémorragie idéologique discriminatoire ? A preuve, son insensibilité affichée au moment même où de centaines de milliers de protestataires défient la répression politique d’un système de pouvoir aux tentations totalitaires, pour défendre leur liberté et affirmer leur attachement aux valeurs européennes.

L’interview de Paul Magnette, traduite en roumain, a meurtri et abasourdi des milliers de personnes qui ne comprenaient pas pourquoi l’Occident qu’ils ont regardé au-delà d’un mur pendant un demi-siècle le traitait avec un tel mépris et niait leur vocation européenne. Mais que ces gens se rassurent. Monsieur Magnette ne représente pas l’Europe et encore moins l’opinion publique européenne. A vrai dire, vu la dégringolade électorale de son parti, on se demande qui il représente encore. Un leader régional en quête de notoriété ne se substitue pas aux peuples.

On constate donc que l’intérêt principal de l’ancien professeur d’Etudes européennes de l’ULB (quand même) est de se positionner politiquement, tant sur le plan wallon que sur le plan européen. Bien sûr, la montée d’un parti d’extrême gauche en Wallonie, ouvertement anti-européen, comme le PTB, concurrent féroce du PS, est une préoccupation (lire obsession) désormais constante pour Monsieur Magnette. Pour rattraper un parti d’extraction stalinienne, il projette au niveau européen les petits calculs électoralistes de Charleroi et succombe à la tentation populiste. Il reproduit un discours eurosceptique partagé tant par l’extrême gauche que par l’extrême droite. On ose encore espérer que c’est malgré soi, à force de glisser d’un discours électoraliste à l’autre.

Le camarade Magnette se rend-il compte qu’il tient à l’encontre des Etats membres « pauvres » et parfois mal gérés de l’UE (entre autres, par sa propre famille politique aussi) le même discours que certains dirigeants flamands, Bart de Wever en tête, tiennent à l’encontre d’une Wallonie dont la gestion publique et l’image sont trop souvent associés dans cette rhétorique à la corruption du PS ?

Oui, Monsieur Magnette est un homme meurtri et nous en sommes émus et navrés. Mais il est surtout meurtri par la chute PS dans les sondages, en Wallonie, une chute qu’il espère rattraper par un discours anti-européen qui n’a rien à envier à ceux des Trump, Poutine, Mélénchon, Marine Le Pen et d’autres de l’internationale des populistes.

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