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Les stars se rebiffent

Le Vif

Dans le sillage de Depardieu, de plus en plus d’artistes polémiquent sur la place publique. Au grand dam des agents et attachés de presse chargés d’entretenir l’image de leurs clients. Analyse.

On savait les vedettes susceptibles. On ignorait qu’elles fussent capables de mordre. Ou du moins d’user de l’insulte, de la menace, du bourre-pif ou des trois, en guise de réponse au petit monde du cinéma quand il leur paraît indélicat, ou à des journalistes un peu trop critiques à leur goût. Ainsi, dans le très policé Vivement dimanche, Gérard Lanvin lance : « J’emmerde […] ces connards de journalistes […] qui s’amusent à nous chier dessus », et accompagne du geste la parole en faisant un doigt d’honneur. Ainsi, dans Le Figaro Magazine, le même Lanvin déclare : « Le cinéma m’a viré dix fois. Certaines additions devront être payées. Ces gens-là me retrouveront loin des caméras et des médias. » Ainsi, apprend-on dans Technikart, que le réalisateur Fabien Onteniente (Turf) a distribué quelques coups de boule à un rédacteur venu lui demander, à 3 heures dans une boîte de nuit (!), un entretien pour comprendre pourquoi il incarnait « le Mal du cinéma français » (!). Ainsi, Philippe Torreton, Philippe Lioret, Catherine Deneuve et pas mal d’autres se sont copieusement lâchés dans des tribunes, le mois dernier, après le départ de Gérard Depardieu et le brûlot du producteur Vincent Maraval paru dans Le Monde du 28 décembre 2012.

Les incendies, d’habitude souterrains, se multiplient sur la place publique. L’époque est à la libre parole, encouragée par la multiplication des médias et par les réseaux sociaux, où l’on ne tourne pas sa langue sept fois dans sa bouche avant de tweeter. Sauf qu’à trop souffler sur les braises certains artistes énervés risquent de carboniser leur image et, par conséquent, leur carrière. Tels des pompiers, agents et attachés de presse interviennent alors en urgence et en coulisses. « Quand on sent qu’ils se mettent en danger, on se permet de le leur dire, explique Bertrand de Labbey, patron de l’agence artistique Artmedia. Parfois, ils nous écoutent et atténuent leur discours. Parfois, ils nous envoient sur les roses. »

Au rayon épineux, on trouve Gérard Depardieu, qui, selon son attaché de presse, François Hassan Guerrar, « sortira de toute cette affaire sans une égratignure, car c’est un provocateur, tout le monde le sait ». En attendant, Depardieu peut s’enorgueillir d’avoir allumé malgré lui la mèche de tout ce bazar explosif. Malgré lui, oui, car l’artiste s’était bien gardé de communiquer sur l’achat de cette maison à Néchin, en vue d’un exil fiscal. Quand la RTBF sort l’info, le 9 décembre 2012, il appelle Guerrar. « Je lui ai dit qu’il ne fallait surtout pas réagir, raconte l’attaché de presse. Quand une polémique démarre, il faut laisser parler et attendre jusqu’au moment opportun. » Blessé par le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, qui a jugé « minable » la décision de l’acteur, Depardieu décide d’écrire sa fameuse lettre publiée par Le Journal du dimanche, dans laquelle il rend son passeport. On connaît l’histoire. Et c’est précisément ce « courrier » qui va susciter des réactions en chaîne.

Un coup de gueule, ça assainit, ça soulage

« Une majeure partie du milieu s’est rangée en ordre de bataille derrière Gérard, qui exprimait tout haut ce que tous pensaient tout bas depuis longtemps », confie un agent. Même sur les vertus démocratiques de la Russie ? « Là, je lui ai dit qu’il allait un peu loin, concède Bertrand de Labbey. A sa décharge, il venait d’essuyer, à travers les médias, des attaques violentes, voire humiliantes. Il voulait exprimer une certaine reconnaissance envers ceux qui lui tendaient la main. » Et plutôt que de rebondir sur l’avalanche de commentaires désobligeants, encore une fois, on recommande à l’acteur le silence radio.

Gérard Lanvin, lui, profite des micros qu’on lui tend, dans le cadre de la promotion d’Amitiés sincères, pour défendre son ami Depardieu et pourfendre les médisants à coups de diatribes parfois menaçantes. « On lui dit de s’arrêter, avoue son agent, Annabel Karouby, car, au bout du compte, les médias se servent plus de lui qu’il ne se sert des médias. Mais autant souffler dans un violon ! Pour les menaces, je ne suis pas inquiète : il ne passera jamais à l’acte. Il râle, il gueule, même, mais c’est un vrai gentil, hélas très susceptible. »

Et, quand l’artiste passe à l’acte, alors, tel Fabien Onteniente, on fait quoi ? « Dès le lendemain matin, on lui conseille d’assumer et de donner l’interview au journaliste qu’il a cogné, raconte un des responsables de la promotion de Turf. Il vaut toujours mieux se retrouver au coeur d’un article qui vous démonte, plutôt que dans la rubrique faits divers. » Précisons que le réalisateur, lui, réagissait non pas à l' »affaire Depardieu » (bien que ce dernier soit à l’affiche de Turf), mais aux attaques récurrentes sur sa démagogie présumée. « Au bout d’un moment, il en a marre ! s’énerve à son tour un attaché de presse. De toute façon, c’est vous, les médias, qui provoquez cela ! Pressés par l’importance d’Internet où les commentaires négatifs pullulent, vous versez dans l’agressivité permanente dont sont friands lecteurs et téléspectateurs. Du coup, les artistes craignent de plus en plus d’accorder des interviews. » Ou pas. Ces échanges musclés, ajoutés à ceux, fleuris, des artistes entre eux, amusent la galerie, mais évitent au milieu de s’endormir, de ronronner. Economie, exigence artistique, critique… Les débats ne manquent pas et ont le mérite d’exister. Sans en arriver au coup de poing, on peut s’en tenir au coup de gueule. Ça assainit, un coup de gueule. Ça soulage, ça libère la pression. Ou ça en ajoute. « A-t-on vu plus inhumain et gratuitement méchant que la couverture des Inrockuptibles annonçant le décès de Gérard [Depardieu] ? demande François Hassan Guerrar. Il est loin d’être mort, mais eux ont décidé de le tuer. » N’exagérons rien. Sa « résurrection » ne dépend que d’une bonne communication. A travers une interview explosive, par exemple. C’est dans l’air du temps.

CHRISTOPHE CARRIÈRE

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