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Les stars de foot et la tentation de la parole politique: pourquoi elles ne se limitent plus au rôle de faire-valoir des sponsors? (débat)

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Soutien à Black Lives Matter ou contestation de la publicité pour Coca-Cola pendant l’Euro 2020: les stars du football s’émancipent des vieilles règles implicites qui les cantonnaient au rôle de faire-valoir. Pour le politologue de l’ULB Jean-Michel De Waele, leur positionnement plus politique est logique et positif.

Les stars du football disposent-elles d’un pouvoir d’influence de plus en plus grand?

Il s’est opéré, avec le mouvement Black Lives Matter (BLM) aux Etats-Unis, un investissement plus important d’un certain nombre de sportifs dans le champ politique. Pendant des décennies, le mouvement sportif dans son ensemble – les fédérations, le Comité olympique… – a toujours affirmé que le sport se devait d’être apolitique. Il a essayé de maintenir cette position malgré la tenue des Jeux olympiques à Berlin ou à Pékin, malgré une série de boycotts qui représentaient des exceptions claires à celle-ci. Maintenant, des stars décident de s’impliquer politiquement. C’est un phénomène nouveau. En tant que symboles, elles ont un poids, une médiatisation qui ne sont pas négligeables.

Quand Romelu Lukaku parle de discrimination, de racisme, de dureté de la vie, il n’ânonne pas ce qu’on lui a dit de dire.

Le soutien à Black Lives Matter n’est-il pas une exception? Ne subsiste-t-il une prudence particulière à propos des engagements sur le terrain politique?

C’est tout nouveau. Donc, on va voir. Cela peut être un mouvement éphémère ou le début d’une dynamique. J’ai l’impression que « le diable est sorti de sa boîte » et qu’il sera très difficile de l’y faire rentrer. Même si on n’aura pas toujours des mouvements collectifs, je pense que sur les questions de lutte contre le racisme, le terrain va continuer à être occupé. Cela ne se limite pas qu’à BLM. On voit tout de même des joueurs comme Antoine Griezmann, qui rompt son contrat avec Huawei en regard de la situation des Ouïghours en Chine, ou comme Marcus Rashford, le joueur de Manchester United, qui se lance dans un vrai bras de fer politique avec Boris Johnson sur les crédits sociaux pour les enfants défavorisés. Des sportifs prennent conscience que leur pouvoir ne se limite pas à vendre des produits mais peut aussi influencer l’opinion. Les effets de ces prises de position sont marquants parce qu’ils sont plus clivants que les campagnes de l’UEFA contre le racisme. Elles n’ont jamais persuadé le moindre raciste de cesser de l’être. Tandis que les actions qui consistent à mettre le genou à terre et à brandir des positions sont clivantes et donc, politisent le débat. C’est positif.

Jean-Michel De Waele, politologue à l'ULB.
Jean-Michel De Waele, politologue à l’ULB.

Cette nouvelle donne est-elle de nature à changer les rapports entre joueurs et sponsors, entre joueurs et fédérations ou clubs?

Je pense qu’une digue a cédé, que des joueurs qui n’osaient pas prendre position vont le faire. Le mouvement est lancé. On voit à l’heure actuelle que les publicités ont rapidement intégré dans nos pays, pas en Pologne ou en Hongrie, l’apparition de couples homosexuels, multiculturels… Les marques récupèrent ces progrès sociétaux pour se donner une image jeune, progressiste. Pourront-elles le faire sur des questions comme le racisme? Oui, sans doute. Sur d’autres, ce sera beaucoup plus délicat. Il est plus compliqué pour Coca-Cola de réagir à la provocation de Cristiano Ronaldo… Si les stars souhaitent imprimer une dimension éthique à leur image, il y aura chaque fois un risque pour les sponsors. Mais le sponsoring sportif est de toute façon à haut risque. Vous investissez dans une équipe ou dans un joueur. Mais elle peut perdre ou il peut se blesser ou partir en vrille et déclarer n’importe quoi.

Cette tendance n’accroît-elle pas le fossé entre les vedettes, qui ont leur mot à dire, et les sans-grade du football, qui n’ont qu’à subir?

Bien sûr. Mais c’est la reproduction de ce que l’on connaît dans une série de milieux. Il y a quelques vedettes ou intellectuels qui donnent le « la » et tous les autres suivent. Le sport ne détonne pas, à part qu’il rejoint désormais d’autres secteurs en devenant un endroit où des prises de position vont être assumées et faire débat. Il ne sera plus question de savoir s’il faut sélectionner tel ou tel joueur ou s’il y avait penalty ou pas. Le débat pourrait être de savoir si on peut avoir tel sponsor ou s’il faut aller jouer dans tel ou tel pays.

Cela vous semble être une bonne évolution?

C’est une bonne chose que le débat ait lieu. J’ai toujours pensé qu’il fallait que les sportifs s’emparent de ces questions et qu’ils en soient les acteurs, et pas les fédérations ou les gouvernements. Un sportif a le droit de dire que c’est problématique d’aller jouer dans tel pays ou qu’il n’accepte pas de gagner de l’argent avec la publicité pour telle marque. Je suis sans illusion. Antoine Griezmann, en rompant son contrat avec Huawei, va récupérer des tas de contrats « éthiques ». Donc, il ne va pas perdre beaucoup d’argent. Je ne suis pas naïf. Mais il faut arrêter de prendre l’athlète pour un espèce d’idiot sans ressenti ou sans réflexion. Les sportifs font de plus en plus d’études. Pour arriver au plus haut niveau, il faut de plus en plus performer. Une série d’entre eux, pour les footballeurs en tout cas, ont des carrières à l’étranger. Ils parlent plusieurs langues. Ils sont mondialisés. Si l’on prend l’icône qu’est en train de devenir Romelu Lukaku, il a vécu des choses. Quand il parle de discrimination, de racisme, de dureté de la vie, il n’ânonne pas ce qu’on lui a dit de dire. Il sait de quoi il parle. Quand Marcus Rashford témoigne que « moi gamin, je n’aurais pas mangé et je n’aurais pas pu faire des études et du sport si je n’avais pas bénéficié de cet argent des crédits sociaux que Boris Johnson veut supprimer », ce n’est pas une star du cinéma qui s’émeut de la situation des bébés phoques. Les sportifs sont porteurs de leur histoire sociale et culturelle.

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