Nabil Mouline, chercheur au Centre national de la recherche scientifique à Paris. © ASTRID DI CROLLALANZA

« Les réformes de ben Salmane sont cosmétiques »

Le Vif

Pour Nabil Mouline, chercheur au CNRS à Paris, Mohammed ben Salmane n’a ni les moyens, ni la volonté d’affronter les clercs wahhabites.

Dans un discours prononcé en octobre 2017, MBS promettait de  » détruire les idées extrémistes « …

Ses déclarations sur le sujet ont été surinterprétées. Combattre le radicalisme, dans son esprit, ce n’est pas s’attaquer au wahhabisme. C’est combattre les Frères musulmans et les djihadistes qui font concurrence au monopole saoudien sur le discours religieux. Le prince héritier n’a ni les moyens, ni la volonté d’affronter les clercs wahhabites. La rhétorique de la réforme et de la modernisation est un levier utilisé par la monarchie saoudienne depuis les années 1910. A chaque crise, le pouvoir a cherché à vendre l’image d’un royaume en mutation et en voie de modernisation, comme cela a été le cas après les attentats du 11 septembre 2001 et les soulèvements populaires de 2011. Le droit de conduire accordé aux femmes, l’ouverture des salles de spectacle, la réduction des pouvoirs de la police religieuse sont des réformes cosmétiques.

A chaque crise, le pouvoir a cherché à vendre l’image d’un royaume en mutation et en voie de modernisation.

Quel a été le rôle de l’Arabie saoudite dans l’expansion de l’idéologie djihadiste ?

Sa naissance n’est pas attribuable à l’Arabie saoudite. Le djihadisme est le produit de la lutte entre les Frères musulmans et le pouvoir militaire égyptien, durant les années 1950 et 1960. En rivalité avec l’Egypte nassérienne, le pouvoir saoudien adopte une politique panislamique afin de contrer le panarabisme : Riyad diffuse le wahhabisme, version très conservatrice de l’islam sunnite, via un grand nombre d’organisations, notamment la Ligue islamique mondiale, l’Organisation de la conférence islamique ou l’université islamique de Médine. Celle-ci a formé, depuis 1961, des milliers de cadres religieux de 170 nationalités différentes. Le régime diffuse son idéologie par le biais de livres et journaux, des chaînes satellitaires puis, plus tard, d’Internet et des réseaux sociaux. La convergence avec le djihadisme se produit en 1979, année de la révolution islamique en Iran, de la prise de La Mecque par un groupe messianique et surtout, du début de l’occupation soviétique de l’Afghanistan.

Comment cette convergence s’opère-t-elle ?

Pendant la guerre, les montagnes afghanes deviennent un laboratoire où s’hybrident le wahhabisme et l’idéologie de la faction la plus extrémiste des Frères musulmans. Jusqu’en 1989, Riyad participe au financement et à l’endoctrinement des moudjahidines. Ensuite, à la faveur de la guerre du Golfe (1990-1991), la créature finit pas se retourner contre son concepteur : le royaume devient petit à petit l’une des cibles du mouvement djihadiste et de son principal avatar, Al-Qaeda, puis du groupe Etat islamique. Le plus grave, à mon sens pour les sociétés musulmanes comme occidentales, ce n’est pas le djihadisme proprement dit, mais la propagation du wahhabisme.

Par Catherine Gouëset.

(*) Nabil Mouline est l’auteur des Clercs de l’islam. Autorité religieuse et pouvoir politique en Arabie saoudite (xviiie-xxie siècle), PUF, 2011.

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