Des chrétiens iraquiens déplacés à Beyrouth. © REUTERS

Les passeports de l’État islamique, sésames pour l’Europe

Des passeports authentiques à foison: pour les spécialistes de l’antiterrorisme, l’organisation de l’Etat islamique dispose d’une réserve importante de sésames pour l’Europe, comme ceux utilisés par une partie des auteurs des attentats commis le 13 novembre à Paris.

Le ministre de l’Intérieur français, Bernard Cazeneuve, a demandé en début de semaine à ses homologues européens des mesures contre « ces vrais faux passeports (…) très difficiles à détecter », et plaidé pour la constitution d’équipes spécifiques aux « points d’entrées des migrants ».

Ces documents sont tantôt récupérés sur les corps des soldats de Bachar al-Assad morts au combat, tantôt retrouvés vierges dans les administrations des villes dont l’EI s’emparent, ou encore confisqués aux jihadistes étrangers à leur arrivée, énumère une source antiterroriste. Ils sont ensuite susceptibles d’être « réutilisés par d’autres combattants présentant des caractéristiques physiques similaires », explique une source policière.

Deux passeports syriens, établis au nom d’Ahmad alMohammad et de Mohammad alMahmod, ont ainsi été retrouvés en novembre à Saint-Denis, au nord de Paris, près des corps de kamikazes du Stade de France. Soupçonné d’être lié aux attaques, le Belgo-Marocain Ahmed Dahmani était aussi en possession d’un passeport syrien quand il a été arrêté à Antalya (Turquie) mi-novembre.

Concernant Ahmad alMohammad, les enquêteurs français avaient rapidement évoqué l’hypothèse du passeport d’un soldat syrien tué au combat. Une autre source proche de l’enquête suggère aussi la piste de lots de documents vierges dont les jihadistes se seraient emparés à Raqa et Deir Ez-Zor. Ces deux villes syriennes sont au coeur du secteur où était notamment actif le Franco-Belge Abdelhamid Abaaoud, un des auteurs des attentats parisiens qui avait pu dans les mois précédents revenir incognito en Europe, relève une source proche de l’enquête.

Les passeports d’Ahmad alMohammad et de Mohammad alMahmod avaient été présentés le 3 octobre aux autorités grecques sur l’île de Leros par les deux hommes mêlés à 198 migrants fuyant la Syrie. Le 6, les deux inconnus ont pris un bateau pour le Pirée avant de passer la frontière macédonienne sans être contrôlés.

« Les contrôles à l’entrée de Schengen quasi-inexistants »

La trace d’un des passeports est retrouvée le lendemain dans le camp de Presevo en Serbie, mêlé à 9.000 migrants. Puis le 8, il est enregistré à Tovarnik, dans l’est de la Croatie, pays où l’homme a peut-être pris un train à Botovo vers la Hongrie, avant de disparaître. « Contrairement à ce qu’on pense, il est très facile d’entrer et de sortir de l’UE sans se faire repérer », confiait récemment à l’AFP Christophe Naudin, criminologue spécialiste de la fraude documentaire. « On peut considérer les contrôles à l’entrée de Schengen comme quasi-inexistants ». Le 21 juillet, un jihadiste de 25 ans originaire de Troyes, dans l’est de la France, et parti en Syrie dès octobre 2012, a été arrêté à Prague, rapportent des sources proches du dossier.

Ce jihadiste aguerri, un converti surnommé « Abou Hafsa » très menaçant sur les réseaux sociaux, était en possession d’un passeport suédois authentique. Un document au nom d’un autre jihadiste, né au Kosovo et parti quelques mois plus tôt en Syrie, selon la source. « Abou Hafsa » connaissait Abdelhamid Abaaoud et les enquêteurs français sont convaincus qu’il revenait en utilisant un itinéraire complexe pour passer à l’action, peut-être sous commandite du Belge.

Repéré en Grèce en septembre, Abaaoud est-il lui-même revenu en France avec un tel document? Aux yeux des services antiterroristes, il était devenu un « mandataire » d’attentats, « coordinateur, recruteur, formateur » et chargé « de la logistique (pour le) retour des combattants dans leur pays d’origine ». Et avait donc sans doute le contrôle sur ces documents. Il est impossible d’établir combien de jihadistes ont pu s’en servir pour rentrer en Europe, sous la direction ou non d’Abaaoud. A Leros, selon des sources proches de l’enquête, « Ahmad alMohammad » et « Mohammad alMahmod » semblaient voyager avec un groupe d’une petite dizaine d’hommes, sans qu’il soit possible de dire si ceux-ci étaient aussi animés d’intentions violentes.

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