Pour l'élection de 2020, Donald Trump estime possible une marge de progression dans l'électorat jeune. © D. mills/The New york Yimes/Redux/rea

Les jeunes  » trumpistes  » sur le pied de guerre

Le Vif

Ils ont moins de 30 ans, adulent Donald Trump et sont prêts au combat électoral. Rencontre avec une jeunesse conservatrice dont le vote, l’année prochaine, sera déterminant.

Les quatre mots claquent au front de leur casquette rouge : Make America Great Again. Trois ans après l’élection de Donald Trump et un an avant sa possible réélection, le mot d’ordre de la campagne de 2016 – rendre sa grandeur à l’Amérique – sert encore de signe de reconnaissance, sur les campus ou dans les meetings, parmi les jeunes supporteurs du président. Un simple couvre-chef ? Non : un symbole d’appartenance qui permet de reconnaître sa tribu, son clan, ses amis. Mieux encore : arborer la fameuse casquette  » MAGA  » dans l’espace public, en particulier dans les universités où les partisans de Trump sont minoritaires, c’est aussi une posture de défi, une provocation lancée à la face du monde et, croient ceux qui la portent, l’expression d’une forme supérieure de bravoure. Soutenir Trump, l’afficher et le dire.

Gagner un ou deux points sur ce segment électoral peut faire la différence

Ultramotivés, les jeunes trumpistes ne sont pas une simple curiosité dans le paysage politique. Au contraire, les électeurs âgés de moins de 30 ans comptent parmi les trois segments de la population qui détiennent la clé du scrutin du 3 novembre 2020. Les deux autres sont les  » indépendants « , qui déclarent n’appartenir à aucun camp – ni démocrate ni républicain -, et les femmes républicaines. Pour le président sortant, l’objectif n’est pas de conquérir la majorité du vote jeune, car cet objectif-là est inatteignable, mais simplement de gagner quelques points afin de faire mieux qu’en 2016. A l’époque, Hillary Clinton avait attiré 55 % des 18-29 ans (à comparer avec les 60 % pour Obama en 2012 et 66 % en 2008) tandis que Donald Trump n’en avait séduit que 37 %. Aujourd’hui, le locataire de la Maison-Blanche, qui n’avait pas particulièrement ciblé l’électorat jeune voilà trois ans, est persuadé qu’il existe une marge de progression parmi cette population.

Ses plus jeunes supporteurs sont déjà sur le pied de guerre. Il suffit de se rendre à un meeting de campagne du président, comme le 10 octobre, à Minneapolis (Etat du Minnesota, dans le nord du pays), un bastion démocrate, pour mesurer la ferveur de leur engagement. Torse droit et tête haute, l’étudiant en informatique Zac Tressel, âgé de 20 ans, raconte sa fierté d’assister pour la deuxième fois à un meeting de Donald Trump :  » Je le soutiens à 100 %. Avec lui, c’est America first (« l’Amérique d’abord ») ! Il ne s’encombre pas du politiquement correct, il dit ce qu’il pense. Et ça, c’est rafraîchissant. Le pays en avait vraiment besoin « , conclut ce jeune prosélyte qui a convaincu plusieurs amis de l’accompagner.

 » Il faut juger Trump sur ses actes, pas sur ses paroles « , estime Bailey Marshall, 20 ans.© B. kascel

A son côté, l’étudiant en communication Chase Christopherson, un grand gaillard originaire d’une commune rurale située à 100 kilomètres au sud de Minneapolis, renchérit :  » Pour la première fois depuis très longtemps, quelqu’un a redonné de l’espoir aux gens de ma région. Les emplois sont revenus. C’est donc que Trump tient ses promesses.  » Le jeune homme âgé de 20 ans est lui aussi coiffé d’une casquette rouge MAGA.  » La porter sur mon campus est impossible, regrette-t-il. Je sais que si je le fais, je m’attirerai des ennuis très très vite.  »

De fait, afficher son soutien à un président menacé d’impeachment, détesté par la plupart des enseignants universitaires et quotidiennement moqué à la télévision dans les programmes humoristiques vespéraux, n’est pas chose aisée. Dans certains cas, c’est courir le risque de perdre des amis. Sur son campus, Bailey Marshall, une blonde âgée aussi de 20 ans, en a fait l’amère expérience.  » Lorsque mes camarades ont découvert que j’étais fan du président, les ennuis ont commencé, raconte cette étudiante en biologie bien décidée à prendre sa revanche dans les urnes. On m’a harcelée, insultée et même littéralement craché dessus. C’était intenable. J’ai dû arrêter l’école.  »

Pour les jeunes supporteurs du président, l’immigration et le racisme sont deux questions épineuses. Bien sûr, aucun ne se considère comme raciste et personne ne juge que le locataire de la Maison-Blanche l’est lui-même. Ce dernier a pourtant conseillé, en juillet dernier, via Twitter, à quatre représentantes (députées) du Congrès – dont Ilhan Omar, d’origine somalienne – de  » retourner dans leur pays « . Mais ce n’était là qu’un simple dérapage, estiment-ils.  » Ce ne sont que des mots : il faut juger Trump sur ses actes, non sur ses paroles « , reprend Bailey Marshall, qui se dit davantage intéressée par la baisse des impôts que par le débat sur les minorités.

Slogans racistes

Quoi qu’il en soit, l’immigration demeure un sujet central aux yeux de l’électorat de Donald Trump, y compris chez les moins de 30 ans. Selon Chase, âgé de 20 ans, c’est bien à la politique très dure du président contre les migrants que l’on doit le retour des emplois dans la région industrielle où il vit, celle des Grands Lacs.  » J’ai vu l’impact de l’immigration de masse sur la classe ouvrière, affirme-t-il, répétant les catéchismes de Donald Trump. Les étrangers prennent nos emplois, c’est un fait.  » Le mur à la frontière mexicaine ?  » C’est sans doute la seule chose à faire, croit savoir Chase. Un mur, ça pose une vraie frontière. Il ne va pas arrêter tout le monde, mais au moins les terroristes et les gens violents auront plus de mal à traverser. Et, compte tenu du niveau de criminalité qui règne au Mexique, il est légitime qu’on se protège.  » Ce partisan fera bientôt campagne en faisant du porte-à-porte près de chez lui pour défendre les idées de son champion.

 » Donald Trump ne s’encombre pas du politiquement correct « , se réjouit Zac Tressel, 20 ans.© B. kascel

Moins prompts à verser dans la théorie du complot que leurs aînés, qui sont souvent enfermés dans une bulle d’information trumpiste, les jeunes républicains regardent eux aussi Fox News. Mais ils ne s’en contentent pas. Beaucoup s’informent via YouTube, où des stars conservatrices exercent une influence considérable, tels le journaliste trentenaire Ben Shapiro (voir ci-contre), la pasionaria afro- américaine Candace Owens ou l’humoriste-polémiste Steven Crowder. Plus étonnant : certains lisent le New York Times, que le président voue aux gémonies, mais, précisent-ils, sans s’attarder sur les pages Opinions, trop prévisibles et anti-Trump à leurs yeux.  » L’important, c’est de ne pas rester enfermé dans un moule, résume Eddi qui suit, comme tout le monde, le compte Twitter du président aux 70 millions de followers. Les médias conventionnels veulent tout juger et penser à notre place, mais, grâce à Trump, nous pouvons enfin penser différemment et par nous-mêmes.  »

Bien décidé à convaincre la jeunesse en l’électrisant par son discours mobilisateur, Donald Trump peut compter sur un trésor de guerre de plus de 150 millions de dollars, amassés en quelques mois seulement, pour financer sa campagne. Sur les réseaux sociaux et à la télévision, son équipe dépense sans compter en diffusant des clips habilement montés qui réagissent en fonction de l’actualité.  » L’équipe de Trump possède énormément d’argent et elle s’en servira pour réduire son retard sur ce segment électoral, pointe Barry Burden, professeur à l’université de Wisconsin-Madison. Gagner un point ou deux peut faire la différence au moment du résultat final. En 2016, Trump était complètement désorganisé, il n’avait aucun représentant sur les campus ou dans les médias pour parler aux jeunes. D’où son score si bas chez les moins de 30 ans. Son équipe en a tiré les leçons : voilà trois ans qu’elle réfléchit à sa stratégie, qui sera de plus en plus offensive à mesure que la campagne montera en régime.  »

Sur le terrain, les équipes s’organisent. Les associations des jeunes républicains sont déjà présentes dans tous les campus du pays depuis les années 1960 – bien que toutes ne soient pas séduites par la personnalité du président. D’autres apparaissent, spécifiquement créées pour son soutien, à l’instar de Students for Trump. Présente dans 300 universités et dotée d’un budget de 15 millions de dollars, elle est dirigée par Ryan Fournier, 24 ans. Celui-ci s’était fait connaître durant les primaires républicaines de 2015 en créant un compte Twitter pour appuyer le candidat Trump.  » J’écrivais mon opinion sur la campagne, je postais des photos d’étudiants et d’étudiantes avec des casquettes MAGA, raconte-t-il. A ma grande surprise, mon compte a rapidement explosé.  » Fournier transforme alors son activité en ligne en une véritable organisation politique et porte la parole du magnat de l’immobilier sur les campus. En bon disciple du milliardaire, le communicant, à peine diplômé, mise sur la provocation et organise des actions chocs à travers le pays. Il crée ainsi le  » jour de la craie  » : les étudiants de droite sont invités à écrire leurs messages pro-Trump sur les murs de leur université. Certains sont allés plus loin, en inscrivant des slogans racistes… Des  » dérapages regrettables et isolés « , plaide Ryan Fournier, pour qui l’important est surtout que l’on parle de Students for Trump. Comme dit son maître à penser : Even bad publicity is publicity ( » même la mauvaise publicité est de la publicité « ).

 » Nous ne sommes pas une organisation politique traditionnelle, justifie le jeune homme bien coiffé. Nous visons les jeunes, et ils peuvent avoir des perceptions différentes de ce qui est provocateur ou non.  » Afin d’atteindre une visibilité maximale sur les réseaux sociaux, Students for Trump mise parfois sur le sexy et les photos de jeunes sympathisantes en bikini. Lorsqu’on demande à Ryan Fournier de définir en un mot la campagne présidentielle qu’il s’apprête à mener, un seul lui vient :  » Agressive.  » Ça promet.

la droite américaine à l’ère de YouTube

Voix métallique au débit de mitraillette, regard noir assorti à ses cheveux, Ben Shapiro, éditorialiste antiavortement et proarmes à feu, fait un tabac : sur son podcast quotidien (suivi par des millions d’auditeurs), sur Fox News, où il intervient régulièrement, ou sur YouTube. Partout, son énergie à  » détruire ses adversaires  » ravit les jeunes conservateurs. A 35 ans, la  » nouvelle rock star de la droite  » rappelle Steve Bannon par son style antipolitiquement correct. Né à Los Angeles, Shapiro a publié dix best-sellers aux titres éloquents : Lavage de cerveau : comment l’université endoctrine les jeunes ; Génération porno : comment le socialisme corrompt l’avenir ; Obama contre le peuple, etc. Ancien chroniqueur vedette du site ultraconservateur Breitbart, puis créateur de son propre média en 2015, The Daily Wire, Shapiro se place dans la lignée des conservateurs traditionnels. A cette différence près qu’il n’hésite pas à critiquer le président quand il l’estime nécessaire. D’après cet oracle, l’intolérance de Donald Trump et ses innombrables erreurs de communication pourraient lui coûter sa réélection.

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