Alice Schwarzer © Unkel/ullstein bild via Getty Images

« Les femmes aussi abuseront de leur pouvoir »

Le Vif

De plus en plus de femmes conquièrent le pouvoir politique. Pour la journaliste et écrivaine allemande Alice Schwarzer, elles y ont droit, mais « elles ne rendront pas le monde plus juste ».

Angela Merkel est chancelière allemande depuis des années. Depuis le mois dernier, Theresa May est première ministre du Royaume-Uni, et Hillary Clinton pourrait devenir la première présidente des États-Unis. Le monde s’améliorera-t-il si les femmes prennent le pouvoir ?

Alice Schwarzer: Il sera différent en tout cas. Les femmes ont une histoire très différente des hommes et cette donnée aura des répercussions. Merkel adopte un style très professionnel, et il est clair que Theresa May s’en inspire. Ce n’est pas un hasard si le premier voyage à l’étranger de May était à Berlin.

Comment se fait-il que les femmes fassent de la politique différemment?

Lors d’une discussion, les hommes veulent surtout sauver la face. Le seul honneur que les femmes avaient à perdre pendant des siècles se trouvait entre leurs jambes. Et les femmes ont évidemment compris qu’elles aussi doivent répondre à d’autres normes. Si une femme souhaite gravir les échelons, elle est considérée comme une carriériste. Parmi les hommes, le succès est apprécié.

Est-il bon pour une société que la dominance masculine soit brisée ?

Les femmes ont droit à la moitié du pouvoir. Mais je ne crois pas qu’elles rendront le monde plus juste. Les femmes ne sont pas meilleures que les hommes par définition. Elles ont simplement eu moins de possibilités de faire du mal.

Risque-t-on d’avoir un jour un Hitler féminin?

Les monstres comme Hitler sont rares. Mais oui, les femmes aussi abuseront de leur pouvoir.

À cet égard, est-il normal de voir apparaître une série de politiciennes populistes de droite, comme Marine Le Pen (FN) en France ou Frauke Petry (AfD) en Allemagne ?

Oui, les femmes sont de gauche et de droite, honnêtes et viles, bêtes et intelligentes. Marine Le Pen est d’ailleurs un cas très intéressant. Son père était fasciste et antisémite, mais Marine a rompu avec lui et s’est prononcée pour le mariage gay. Ne vous méprenez pas, je n’éprouve pas de sympathie pour ses idées, mais elle est intéressante à la lumière de la lutte entre les sexes.

Les politiciennes doivent-elles s’engager pour d’autres femmes ?

Absolument pas. J’espère qu’elles le feront, mais je n’y compte pas.

Angela Merkel a été très critiquée, parce qu’elle ne l’a pas fait du tout.

Je comprends. Beaucoup d’hommes d’Allemagne de l’Ouest trouvaient déjà problématique qu’une Allemande de l’Est devienne chancelière. Si en plus elle avait défendu les droits de la femme, elle aurait torpillé sa carrière.

Beaucoup de féministes américains en ont voulu à Hillary d’avoir continué à soutenir son mari, le président Bill Clinton, quand son adultère avec Monica Lewinsky a été révélé.

Cette dernière décennie, aucune femme n’a été aussi humiliée qu’Hillary. C’est un miracle qu’elle ne soit pas encore en psychiatrie. Quand Bill a mené sa campagne pour la présidence, il a dit : « Si vous m’élisez, vous choisissez aussi ma femme. » Du coup, tous les misogynes se sont mis à viser Hillary Clinton. Elle est devenue la méchante sorcière de la Maison-Blanche.

Évidemment, cela l’a touchée, elle s’est montrée plus modeste. Elle est passée de « Première dame » à « Première Femme au foyer », qui préparait des cookies et créait un foyer agréable pour Bill.

Mais tout cela n’a servi à rien. Quand l’affaire Lewinsky a éclaté, on a dit : Hillary est très intelligente et elle connaît très bien la politique, mais son époux ne la désire pas. C’était terriblement blessant, comme si les femmes ne pouvaient pas être à la fois attirantes et intelligentes.

Pourquoi les femmes qui veulent conquérir le pouvoir sont-elles à ce point jugées sur leur physique?

Parce que les femmes ont longtemps été des objets qui ne pouvaient rien faire sans l’aide des hommes. On véhicule toujours cette image. C’est pourquoi les femmes qui réussissent continuent à s’affubler de jupes courtes et de talons hauts. Je doute que ce soit la bonne stratégie. Il vaut mieux trouver son propre style et ne pas trop le changer. Ainsi Merkel porte des tenues assez ternes, mais en accord avec sa personnalité. Je regrette que certaines femmes se cachent derrière leurs vêtements, comme Hillary Clinton. Mais dans son cas, je comprends.

© Der Spiegel

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