Trump, Pompeo et Bolton © Reuters

Les États-Unis seuls contre le reste du monde: le plus belliqueux n’est pas celui qu’on croit

Muriel Lefevre

Les esprits s’échauffent à la Maison-Blanche. L’Iran aurait, selon eux, des intentions va-t-en-guerre. Mais ce n’est pas le seul pays qui fait l’objet de leur courroux. Ils adoptent aussi une attitude de plus en plus musclée envers la Corée du Nord et le Venezuela. A la manoeuvre, on ne retrouve pas forcément toujours Trump, mais bien deux faucons : John Bolton et Mike Pompeo, respectivement conseiller à la sécurité nationale et ministre des Affaires étrangères.

Trump est convaincu que la menace d’une puissance militaire est le chemin le plus court vers le succès diplomatique. Trump a une aversion profonde pour les organisations internationales et le multilatéralisme. Mais Trump est aussi un président qui déteste les guerres. De quoi modérer la ferveur de deux faucons qui aiment mettre le feu aux poudres et prônent l’interventionnisme.

Derrière les dernières positions musclées des États-Unis, on retrouve systématiquement un duo: Pompeo et John Bolton.

Donald Trump a beau avoir adressé une ferme mise en garde ce lundi à l’Iran, il ne souhaite pas vraiment se lancer dans une guerre avec ce pays. Dans ce cas précis et comme souvent, le président ne menace de recourir à la violence que pour faire respecter les négociations. Ce qui ne semble pas être le cas de son équipe de sécurité qui ne s’intéresse que peu à la diplomatie dit De Morgen. Ces derniers sont nettement plus partisans d’actions musclées.

Pompeo, ancien chef de la CIA, a pris la place de Rex Tillerson, qui a été limogé de son poste de chef de la diplomatie le 13 mars 2018, après des mois de tensions et d’humiliations de la part de M. Trump sur la stratégie diplomatique américaine. Pompeo, ce « faucon » venu de l’aile droite du parti républicain, a rapidement gagné la confiance d’un président inexpérimenté sur la scène internationale.

Pompeo
Pompeo© AFP

A la fois imposant et affable, l’ex-élu du Kansas, 55 ans, maîtrise ses prises de parole, pour ne pas faire d’ombre à Donald Trump et éviter toute divergence visible avec le verbe présidentiel. C’est sa manière à lui de résoudre l’impossible équation: comment travailler avec ce patron impulsif et imprévisible. Dans les rangs républicains, nombreux apprécient son intelligence politique et sa capacité à faire la synthèse entre les instincts trumpistes et une ligne conservatrice plus traditionnelle, notamment lorsqu’il s’agit d’afficher sa fermeté face à la Russie.

Lorsqu’il prend ses fonctions le 26 avril 2018 à la tête de la diplomatie américaine, l’ancien militaire doit d’emblée porter le retrait de l’accord de 2015 sur le nucléaire iranien, et le rapprochement inattendu avec une Corée du Nord désormais dotée de l’arme atomique. Mike Pompeo s’approprie ces deux axes emblématiques de la présidence Trump. Quitte à se désintéresser d’autres points chauds de la planète, qui ne sont pas dans l’écran radar du milliardaire républicain — ce qui lui a valu, au sein de la communauté diplomatique, le surnom de « ministre pour l’Iran et la Corée du Nord ». Un an plus tard, ces deux dossiers semblent s’être enlisés (voir encadrés). Car Mike Pompeo endosse la délicate tâche de théoriser une doctrine Trump en politique étrangère, cette « Amérique d’abord » qui résonne aux oreilles de ses alliés comme une Amérique de plus en plus seule.

Les États-Unis seuls contre le reste du monde: le plus belliqueux n'est pas celui qu'on croit
© Reuters

Bolton, l’autre faucon ultra

Peu de temps après avoir nommé Pompeo, celui sera renforcé par Bolton, un super-faucon qui, depuis des décennies, prône une version musclée du America first. Ce n’est pas un hasard que la communauté diplomatico-médiatique de Washington voit volontiers la main du bouillant conseiller aux fines lunettes et à l’épaisse moustache blanche derrière toutes les manigances imputées à l’administration Trump. « Connaissant Bolton, ça ne m’étonnerait pas qu’il soit en train de tenter de fabriquer une crise de toutes pièces », dit à l’AFP Barbara Slavin, du cercle de réflexion Atlantic Council. « Le président des États-Unis dit toujours qu’il ne veut pas de nouvelle guerre », « mais John Bolton plaide depuis toujours pour frapper l’Iran », résume-t-elle, en s’interrogeant: « s’agit-il vraiment de la politique étrangère de Trump ou joue-t-il perso? »

John Bolton
John Bolton© AFP

Celui qui a fait ses armes avec les néoconservateurs de l’équipe de George W. Bush au début des années 2000, notamment comme ambassadeur à l’ONU, n’a jamais regretté d’avoir été un des artisans de l’invasion de l’Irak en 2003. Et certains, jusque dans le camp républicain, continuent de se méfier de ce faucon recruté en mars 2018 à la Maison-Blanche après avoir martelé ses opinions belliqueuses pendant des années sur Fox News, la chaîne préférée du président. Trump et Bolton partagent plusieurs convictions: un unilatéralisme radical, une défense viscérale de la souveraineté nationale et une critique qui confine à la haine pour les organisations multilatérales comme l’ONU ou la Cour pénale internationale. Néanmoins les avis divergent sur le rôle réel du « National Security Advisor » — poste hautement stratégique dans la mise en oeuvre de la politique étrangère des États-Unis. « John Bolton n’a pas tant d’influence que ça », nuance un diplomate européen, estimant que Donald Trump est « le seul qui compte » au moment des choix. Selon lui, « Bolton a montré qu’il était prêt à travailler pour un président qui est prêt à négocier avec la moitié de la planète » qu’il voulait lui-même « bombarder ». D’autres pensent que ses vues en faveur du changement de régime, du Venezuela à l’Iran, sont en train de gagner du terrain.

John Bolton semble en fait vouloir pousser à l’extrême la doctrine officielle en matière de sécurité nationale, « la paix par la force », quitte à aller plus loin que Donald Trump. Avec le risque, redoutent ses détracteurs, que l’escalade ne dégénère en conflit. Sauf qu’à la différence de Bolton et Pompeo qui veulent résoudre tous les problèmes par un changement de régime, si nécessaire par la force, Trump n’est pas un fervent défenseur des interventions militaires. Le président isolationniste a promis de se désengager des « conflits interminables » jugés trop coûteux. « John est très bon. John a une vision très dure des choses, mais ça va », a-t-il lâché. « En fait, c’est moi qui modère John, ce qui est assez incroyable n’est-ce pas », a même plaisanté l’homme d’affaires, peu connu pour sa propre modération. Avant de donner la clé de cette étrange cohabitation: « J’ai John, et j’ai d’autres gens qui sont davantage des colombes que lui. Et in fine, je prends les décisions ».

Du coup, on peut légitimement se demander ce que vaut une politique étrangère ou un président utilise la menace pour faire avancer les négociations alors que sa propre équipe de sécurité mise sur l’interventionnisme? La réponse est probablement une accumulation de flop comme le montre l’exemple de la Corée du Nord, du Venezuela ou encore de l’Iran.

La Corée du Nord

Même avec la Corée du Nord, le gouvernement Trump semblait, au départ, se diriger vers un conflit militaire. Trump menaçait de mettre le pays à  » feu à sang » s’il poursuivait ses menaces, ses essais nucléaires et ses tirs de missiles à longue portée. Soit exactement ce que Bolton et Pompeo préconisent depuis un certain temps. Pour Bolton, une attaque préventive était nécessaire. « Parler avec la Corée du Nord est pire que de perdre son temps « , écrivait-il en 2017. Pompeo lui voyait le renversement du dirigeant nord-coréen Kim Jong-un comme la meilleure solution. « Le plus dangereux est celui qui contrôle l’arsenal nucléaire. Nous devons séparer les deux. » Mais les menaces de Trump ont semblé porter leurs fruits. La Corée du Nord a arrêté ses essais nucléaires et ses tirs de roquettes et a convenu d’un sommet entre Kim Jong-un et Trump.

Kim Jong-un et Donald Trump : une rencontre au sommet totalement inattendue.
Kim Jong-un et Donald Trump : une rencontre au sommet totalement inattendue.© Jonathan Ernst/Reuters

Selon Trump, cela a donné lieu à une percée : Lors du sommet de Singapour l’année dernière, Kim a accepté la dénucléarisation complète de la péninsule coréenne. Bien qu’aucune mesure concrète ne sera prise. L’enthousiasme de Trump pour Kim Jong-un – « nous sommes tombés amoureux » – va ramollir le bâton de Bolton et Pompeo. Un deuxième sommet à Hanoi va ensuite échouer parce que Kim attendait trop de son  » ami  » Trump. Après avoir dénoncé les méthodes de « gangster » de Pompeo, Pyongyang vient de réclamer sa mise à l’écart des tractations sur la dénucléarisation. Du coup on est de retour à la case départ.

Le Venezuela

Les menaces ont aussi été utilisées par le gouvernement Trump pour tenter de mettre le président vénézuélien Maduro à genoux le mois dernier. Pompeo et Bolton ont tous deux insisté sur le fait que « toutes les options étaient sur la table » et tous se demandaient si les États-Unis oseraient entreprendre une action militaire contre le pays. Car il n’y avait pas que le Venezuela en jeu. La Russie, qui reste nettement derrière Maduro, avait envoyé quelque troupe. Pas assez pour résister à une invasion, mais suffisamment pour faire passer un message que ce genre d’action ouvrait la possibilité d’un conflit direct avec la Russie.

Juan Guaido et Nicolas Maduro
Juan Guaido et Nicolas Maduro© AFP

Le coup d’État déguisé dans lequel Juan Guaidó, président par intérim soutenu par l’Occident, a tenté de mettre l’armée de son côté à la fin du mois dernier s’est soldé par un échec. Les récits sur l’impatience du milliardaire républicain commencent à émerger. D’après le Washington Post, il en veut à son conseiller de l’avoir induit en erreur sur la possibilité de pousser aussi rapidement que facilement le président socialiste Nicolas Maduro vers la sortie. Donald Trump a donc dû publiquement voler au secours de John Bolton. Quoi qu’il en soit le commandement militaire est resté derrière Maduro et les paroles menaçantes de Pompeo et Bolton ont paru bien creuses. Seul résultat l’opposition en est ressortie plus découragée que jamais.

l’Iran

La décision prise par Trump en mai de l’année dernière de retirer les États-Unis de l’accord nucléaire avec l’Iran est une victoire pour Pompeo et Bolton. Selon eux, l’accord n’empêchera pas l’Iran de développer des armes nucléaires. Toutefois, en levant les sanctions économiques, l’Iran a bénéficié d’une injection financière substantielle qui, selon eux, lui a permis de financer ses opérations militaires en Syrie et l’approvisionnement en armes du Hezbollah libanais.

Les États-Unis seuls contre le reste du monde: le plus belliqueux n'est pas celui qu'on croit
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Le conseil de Bolton est depuis des années : le seul moyen d’empêcher une bombe nucléaire iranienne est de bombarder l’Iran. Dans un article d’opinion paru dans le Wall Street Journal, il a rêvé à haute voix de renverser le régime iranien. Les opposants à l’intervention militaire se demandent si le Pentagone est capable de résister aux impulsions de Pompéo et de Bolton, maintenant que le général Jim Mattis, expérimenté et respecté, n’est plus le ministre de la Défense. Ils doutent que son successeur Patrick Shanahan, un dirigeant de Boeing n’ayant aucune expérience militaire ou politique, soit à la hauteur face à tyran pur jus comme Bolton.

On notera que dans les faits la République islamique n’a rempli à ce jour aucune des douze conditions draconiennes énoncées en mai dernier par Mike Pompeo pour renouer avec l’ennemi numéro un des États-Unis, malgré des sanctions américaines toujours plus dures. « L’objectif est d’avoir une coalition mondiale contre l’Iran », estime un diplomate européen. « Jusqu’ici, c’est un échec total », ajoute-t-il avec satisfaction, tant le retrait de Washington de l’accord censé empêcher Téhéran de fabriquer la bombe a ulcéré le Vieux Continent. Dans un contexte de plus en plus explosif qui multiplie les risques de confrontation militaire entre les deux ennemis (voir encadré ci-dessous), le président américain souffle comme souvent le chaud et le froid. Ainsi, malgré le ton martial, il a fait plusieurs appels du pied aux dirigeants iraniens. Des gestes d’ouverture snobés, pour l’instant par les Iraniens qui écartent « toute possibilité » de négociations avec les États-Unis et qui ont au contraire accusé Washington de provoquer une escalade « inacceptable ».

Plus qu’une guerre, ce énième flop pourrait bien pousser Bolton vers la sortie

Les médias américains se font en effet l’écho de divisions au sein du gouvernement américain, et d’un Donald Trump de plus en plus agacé par les faucons, à commencer par son propre conseiller à la sécurité nationale John Bolton. Selon le New York Times, il a prévenu son ministre de la Défense Patrick Shanahan qu’il ne voulait pas d’une guerre avec l’Iran. Pour de nombreux observateurs, John Bolton serait même désormais sur la sellette. « Une guerre avec l’Iran est possible, ce qui est inquiétant, mais je pense qu’il est plus probable que Trump limoge Bolton », a estimé Tom Wright, du cercle de réflexion Brookings Institution.

Dix jours d’escalade des tensions dans le Golfe

Déploiements militaires américains dans le Golfe, « menaces » présumées émanant de l’Iran, « actes de sabotage » contre des pétroliers et attaques de drones sur un oléoduc saoudien, rappel de dix jours d’escalade des tensions au Moyen-Orient.

– « Menace crédible » –

Le 5 mai, le conseiller à la sécurité nationale américain John Bolton annonce le déploiement du porte-avions USS Abraham Lincoln et d’une force de bombardiers dans la région du Moyen-Orient.

Le lendemain, le ministre américain de la Défense par intérim Patrick Shanahan qualifie ce déploiement de « réponse à des indications d’une menace crédible de la part des forces du régime iranien ».

Le 7, les États-Unis annoncent dépêcher plusieurs bombardiers B-52 dans le Golfe. Depuis, le Pentagone a annoncé l’envoi d’un navire de guerre et d’une batterie de missiles Patriot.

– Sanctions contre Téhéran –

Le 8, l’Iran décide de cesser de limiter ses réserves d’eau lourde et d’uranium enrichi, des mesures auxquelles il s’était engagé dans le cadre de l’accord international de 2015 limitant son programme nucléaire.

Un an après la dénonciation de l’accord par les États-Unis, qui ont rétabli leurs sanctions contre l’Iran, Téhéran donne « 60 jours » aux pays restant parties à ce pacte (Allemagne, Chine, France, Grande-Bretagne et Russie) pour « rendre opérationnels leurs engagements » dans les secteurs pétrolier et bancaire ».

Le président américain Donald Trump impose de nouvelles sanctions contre « les secteurs iraniens du fer, de l’acier, de l’aluminium et du cuivre ».

– « Actes de sabotage » –

Le 12, quatre navires, dont deux pétroliers saoudiens, sont la cible d' »actes de sabotage » au large de l’émirat de Fujairah, membre de la Fédération des Emirats arabes unis (EAU).

Le port de Fujairah est le seul terminal des Emirats situé sur la côte de la mer d’Arabie, qui contourne le détroit d’Ormuz, par où passent la plupart des exportations de pétrole du Golfe.

Téhéran, qui a menacé à plusieurs reprises de fermer ce détroit stratégique, juge « alarmants » les « actes de sabotage ».

– « Pas de guerre » –

Le 13, les Européens signifient au secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo leur préoccupation face au risque d’un conflit « par accident » dans le Golfe.

Le lendemain, celui-ci réfute toute volonté de guerre avec l’Iran de la part des États-Unis.

Donald Trump dément tout projet d’envoyer 120.000 soldats au Moyen-Orient pour contrer l’Iran, une hypothèse évoquée la veille par le New York Times.

Le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, affirme qu' »il n’y aura pas de guerre » avec les États-Unis.

– Attaque de drones près de Ryad –

Le 14, des rebelles Houthis pro-iraniens du Yémen lancent des attaques à l’aide de sept drones dans la région de Ryad, endommageant deux stations de pompage d’un oléoduc reliant l’est à l’ouest du royaume saoudien, premier exportateur de pétrole au monde.

Le 15, les Emirats arabes unis prônent une « désescalade » dans le Golfe, tout en imputant au « comportement de l’Iran » les tensions croissantes dans cette région.

– Retrait de diplomates américains d’Irak –

Le 15, le département d’Etat américain ordonne à son personnel diplomatique non essentiel de quitter l’ambassade de Bagdad et le consulat d’Erbil (nord).

« Il s’agit d’une menace imminente contre notre personnel », déclare un haut responsable américain, évoquant notamment la responsabilité de « milices irakiennes sous commandement et contrôle des Gardiens de la Révolution iraniens ».

Les armées allemande et néerlandaise suspendent leurs opérations de formation militaire qu’elles dispensaient en Irak.

– Raids saoudiens sur Sanaa –

Le 16, la coalition sous commandement saoudien au Yémen mène une série de raids aériens sur Sanaa, contrôlée par les rebelles Houthis.

Ryad accuse l’Iran d’être derrière l’attaque des rebelles yéménites contre l’oléoduc pétrolier saoudien.

Le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, juge « inacceptable » « l’escalade de tensions provoquée par les États-Unis ».

Il écarte « toute possibilité » de négociations avec Washington, rejetant les affirmations de Donald Trump selon lesquelles « l’Iran voudra bientôt discuter ».

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