Gérald Papy

Les espoirs trompeurs d’une implosion du FN

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Quand elle ne frappait pas encore aux portes du pouvoir, l’extrême droite européenne se singularisait par la figure du leader omnipotent et par les luttes intestines et picrocholines.

Le Front national français avait réussi ces dernières années à surmonter le premier écueil grâce à un passage de flambeau, entre père et fille, en douceur et conforme aux règles du parti. Il n’a pas, en revanche, échappé à la seconde tare. La suspension du parti de Jean-Marie Le Pen, son cofondateur, dans l’attente de la suppression du dernier titre qu’il y portait, président d’honneur, en est la pathétique démonstration. Elle n’est pourtant pas qu’une bataille d’ego et qu’une bisbille familiale…

L’apparition aussi éphémère que provocatrice du patriarche à la tribune du meeting du 1er mai à Paris et les applaudissements nourris qu’elle a suscités traduisent à suffisance l’affrontement qui se joue désormais au Front national. Affaibli et au crépuscule de sa vie, Jean-Marie Le Pen n’en conserve pas moins une impressionnante capacité de nuisance, qui plus est au moment où la formation qu’il a longtemps façonnée rêve de briguer le pouvoir suprême. Or, la gestion de l’exclusion – de facto – du père Le Pen n’annonce pas un apaisement des tensions.

Depuis son accession à la présidence, Marine Le Pen a oeuvré à la mutation progressive du Front national d’une formation protestataire en un parti de gouvernement. Le rejet de l’antisémitisme paternel participait de cette évolution comme, demain, le renoncement annoncé à la promesse électorale d’une sortie de l’euro, impraticable pour les chefs d’entreprises. Pour autant, la rupture avec l’héritage du Front national-canal historique est loin d’être consommée. Des principes fondamentaux (l’anti-immigration, la préférence nationale, l’anti-européanisme, la sacralisation de l’Etat-nation, la fermeture des frontières…, hors l’économie devenue moins libérale et plus protectionniste sous Marine Le Pen) continuent de constituer la colonne vertébrale idéologique du parti.

Par la répétition obsessionnelle de son credo contre les juifs, le prédécesseur de la nouvelle présidente ne pouvait pas ignorer qu’il dépassait la ligne rouge de la rupture. La virulence des critiques à l’égard de sa fille – « honteux qu’elle porte son nom » – et son obstination à contester son éviction augurent une guérilla permanente et dévastatrice. Deux options s’offrent à Marine Le Pen. Elle fait le gros dos à la tempête pour conserver la partie de la base électorale restée fidèle à son père, mais s’expose à traîner un boulet au-delà même de l’élection présidentielle de 2017. Ou elle pousse la rénovation du parti jusqu’à un aggiornamento à l’italienne quand le Mouvement social italien s’est transformé, en 1995 déjà, en Alliance nationale, sous l’impulsion de Gianfranco Fini, quittant ses oripeaux fascistes pour intégrer la droite de gouvernement. Et comme dans la Péninsule, elle prend alors le risque d’une scission du parti avec la création d’une dissidence radicale.

Dans les deux cas, droite et gauche françaises auraient tort de se contenter béatement de récolter les dividendes d’une implosion de leur meilleur ennemi. D’une part, parce qu’il n’est pas acquis que ces dissensions aient l’effet escompté de désaffection sur les électeurs. D’autre part, parce que c’est indubitablement sur les terrains de la confrontation idéologique et de l’action concrète pour répondre à un certain désenchantement français que le combat contre le Front national se gagnera sur la durée.

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